Le colloque de La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) intitulé « Droits et personnalité juridique de l’animal » s’est tenu le 22 octobre 2019 à l’Institut de France. Les interventions de spécialistes du droit et de philosophes ont donné lieu à de riches échanges sur la place des animaux dans notre société et le régime juridique qui doit en découler.
Introduction
En introduction, Louis Schweitzer, président de la LFDA déroule le programme de la matinée : d’abord une introduction de M. Hugues Renson, député et vice-président de l’Assemblée nationale, puis une première table ronde sur la Déclaration des droits de l’animal, suivie d’échanges avec la salle. La seconde table ronde sur la personnalité juridique de l’animal est également suivie d’échanges avec la salle, puis le colloque est conclu par Robert Badinter.
Hugues Renson étant retenu à l’Assemblée nationale pour le débat sur la loi budgétaire, Louis Schweitzer lit un message de sa part. M. Renson reconnaît la considération croissante de la société pour la condition des animaux : « Jamais nous n’avons eu autant de remarques, d’interpellations, nous demandant, à nous députés, de mieux prendre en compte, de mieux considérer l’animal que nous ne le faisons aujourd’hui ». Pour lui, « défendre la biodiversité, défendre l’animal, lier le progrès humain à la considération des animaux, c’est un seul et même combat. » Il insiste sur l’importance de la réforme du code civil en 2015 qui a fait de l’animal un être vivant doué de sensibilité et qui contribuera selon lui à « l’interdiction de la corrida, de la chasse à courre, de la chasse à la glu, de la castration à vif des porcelets, des animaux sauvages dans les cirques, de l’obligation de caméras dans les abattoirs, etc. » Hugues Renson conclu son message en ayant « une pensée fidèle et affectueuse pour le Président Jacques Chirac […] qui a, très tôt dans sa vie politique, compris l’importance de la défense de l’animal, avec notamment l’interdiction d’importations de tous les « animaux vivants vertébrés » en 1974, ou par l’adoption de règles sanitaires pour les animaux et pour le fonctionnement des établissements détenant des animaux en 1977 ».
Avant d’entamer la première table ronde sur la Déclaration des droits de l’animal, Louis Schweitzer donne quelques éléments de contexte sur cette Déclaration, qui est une mise à jour datant de 2018 de la Déclaration universelle des droits de l’animal, proclamée en 1978 à la maison de l’Unesco. Le caractère universel de la Déclaration a été supprimé. De plus, M. Schweitzer explique que cette Déclaration qui « à l’origine se voulait un texte très philosophique, un peu à l’image de la Déclaration universelle des droits de l’homme, a été transformée en un texte beaucoup plus proche du droit positif, plus bref : 8 articles ». Pour lui, l’idée de cette Déclaration est de « transposer ces articles dans le droit positif pour mieux prendre en compte les intérêts des animaux ».
Table ronde sur la Déclaration des droits de l’animal
Jean-Paul Costa, juriste, ancien président de la Cour européenne des droits de l’homme, ouvre la discussion sur le sujet de la Déclaration des droits de l’animal. Tout d’abord, afin d’éviter toute critique facile, Jean-Paul Costa déclare que selon lui, « il n’y a pas d’opposition de principe, mais plutôt une convergence entre les droits de l’homme et les droits de l’animal […] tout simplement parce [qu’il est] de plus en plus convaincu que les hommes et les animaux participent du vivant ». Ensuite, il explique que les animaux bénéficient d’une protection, dans le droit pénal, le droit civil, des dispositions législatives et réglementaires plus techniques dans le code rural et de la pêche maritime ou dans le code de l’environnement. Cependant, il n’y a pas d’approche globale et commune pour tous les animaux. Il rappelle que « certains pays voisins de la France, […] l’Allemagne, […] la Suisse, le Portugal, ont introduit dans leur Constitution la notion de la sensibilité de l’animal et de la nécessité de lui éviter des souffrances ». S’agissant de la nouvelle version de la Déclaration des droits de l’animal, le texte lui « paraît préférable » à l’ancien car, même s’il « a une portée moins philosophique et moins symbolique, […] il est concis, il s’en tient à l’essentiel ». M. Costa émet tout de même deux critiques. La première est qu’il manque selon lui un préambule à la Déclaration, qui reprendrait des affirmations fortes de la version de 1978 : « Le respect des animaux par l’homme est inséparable du respect des hommes entre eux », par exemple. Il explique ensuite l’intérêt d’une telle Déclaration, qui n’est pas normative, mais qui pourrait le devenir, à l’image de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « cela pourrait tout à fait déboucher sur des textes législatifs ou réglementaires ». Le second problème soulevé par Jean-Paul Costa porte sur la notion de sensibilité de l’animal. « Est-ce que la sensibilité est quelque chose que partagent tous les animaux ? Est-ce qu’il faut la limiter à certains animaux : aux vertébrés, à ceux qui ont un système nerveux central ? Est-ce que lorsqu’on dit dans la Déclaration à l’article 8 que « tout animal appartenant à une espèce dont la sensibilité est reconnue par la science a le droit au respect de sa sensibilité », est ce que cette notion est évidente ou unanime ? Est-ce qu’il y a une unanimité de la science sur la frontière de la conscience ou de la sensibilité pour les animaux ? »
Pour la seconde partie de cette première table ronde, Olivier Duhamel, président de la Fondation nationale des sciences politiques, est chargé de poser des questions à Jean-Paul Costa, en utilisant les arguments avancés par les opposants à la cause animale. Sa première question portait sur l’argument : « il y a tant à faire pour les êtres humains qu’on s’occupera des animaux plus tard. » Il reconnaît toutefois d’emblée que c’est un mauvais argument, car cela s’applique à tout, et si l’on suit cette logique, « si la priorité absolue c’est le chômage pourquoi avoir une politique du logement ? pourquoi avoir une politique de la santé publique ? » Jean-Paul Costa a répondu que si l’on ne s’en préoccupait pas maintenant, la protection de l’animal risquait d’être repoussée « aux calendes grecques ». Il ajoute également qu’« il ne faudrait surtout pas que le droit de l’animal soit un prétexte pour abandonner la défense des droits de l’homme […] mais ça n’interdit pas d’avancer sur deux fronts ». Olivier Duhamel écarte directement l’argument souvent évoqué lorsque l’on parle de la personnalité juridique qui est qu’on ne peut pas octroyer des droits sans imposer des devoirs, car « on reconnaît des droits à des personnes sans devoirs, par exemple des handicapés mentaux graves ». La question suivante porte sur la contradiction d’un droit de toute espèce de ne pas disparaître (présente dans la première version de la Déclaration) avec la théorie de l’évolution, qui voit des espèces disparaître au profit de nouvelles, y compris pour l’évolution de l’humanité, passant de primates anthropoïdes à homo sapiens. Jean-Paul Costa rappelle que « la disparition des espèces dans les 10 ou 100 dernières années, est sans commune mesure et sans aucune proportion, avec ce qui s’est passé depuis l’aube de l’humanité ». Toutefois, la question nécessitant des compétences scientifiques qu’il ne possède pas, il décide de s’en tenir là. Olivier Duhamel pose ensuite la question du caractère sensible applicable à tout ou partie des animaux et de la protection qui en découle. Jean-Paul Costa tend à penser qu’il y aurait plusieurs catégories d’animaux et que les protections juridiques doivent varier en fonction des catégories. Louis Schweitzer est intervenu pour abonder en ce sens, en précisant que « la frontière [entre animaux sensibles et non-sensibles] évolue avec le progrès de la science, […] elle n’est pas figée et il y a des choses qui doivent être interdites qu’il y ait ou non sensibilité de l’animal ». Est ensuite venue la fameuse question de l’arbitrage « entre le droit du moustique de vivre […] et le droit de l’homme de ne pas se faire sucer son sang ». Jean-Paul Costa avance l’argument de la légitime défense : le droit de se défendre face à l’attaque du moustique. Louis Schweitzer a mentionné son oncle Albert Schweitzer, médecin et philosophe, prix Nobel de la paix en 1952, qui disait qu’on a le droit de tuer un moustique en Afrique, parce qu’il est porteur de maladie, et qu’en revanche en Europe, il faut l’éloigner et non pas chercher à le tuer, parce que justement il n’est pas porteur de maladie. Olivier Duhamel pose ensuite la question : « l’animalisme ne serait pas un anti-humanisme ? », en utilisant l’exemple de l’arrêt de l’expérimentation sur les animaux de médicaments ou traitement pour les humains. Jean-Paul Costa déclare qu’il s’agit d’une « proportionnalité à trancher » et « qu’il est possible d’imposer des règles pour éviter au maximum les souffrances, et même l’angoisse ». L’avant dernière question d’Olivier Duhamel porte sur la notion de génocide, présente dans la version de 1978 de la Déclaration. Jean-Paul Costa estime que cet emploi est maladroit étant donné la difficulté à le faire admettre pour des populations humaines encore aujourd’hui. Pour sa dernière question, Olivier Duhamel interpelle Jean-Paul Costa sur la nécessité d’une Déclaration des droits de l’animal et la pertinence d’une Déclaration des devoirs des humains envers les animaux. Pour Jean-Paul Costa, un texte écrit est important car il peut avoir un impact sur les consciences, servir d’« « outil pédagogique » […] dans les écoles, dans les collèges dans les lycées ». Il « préférerait qu’on maintienne une Déclaration des droits de l’animal à cause de sa portée de sa charge symbolique, et qu’elle soit complétée ou fusionnée avec une Déclaration des devoirs de l’être humain ».
Échanges avec la salle
Georges Chapouthier, neurobiologiste et philosophe, revient sur la notion de sensibilité et les différentes formes de sensibilité qui peuvent faire varier la protection des animaux. Selon lui, il y a la sensibilité que l’on appelle « nociception inconsciente », c’est-à-dire qu’un animal n’est pas sensible à la douleur, et la « nociception consciente », « qui permet de transformer la nociception en douleur, en souffrance, en vécu, en bien-être ».
Jean-Pierre Kieffer, président de l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoir, s’interroge sur l’arbitrage des droits humains par le Cour européenne des droits de l’homme, qui « tolère l’abattage sans étourdissement des animaux, donc avec souffrance, au nom du respect de la pratique des religions » mais ne se prononce pas sur « le respect de la conscience du citoyen lorsqu’il est amené éventuellement à consommer de la viande provenant d’un animal abattu sans étourdissement, donc selon la pratique d’un culte, sans en être informé ». Pour Jean-Paul Costa, ces « problèmes […] vont évoluer à l’avenir, mais probablement on peut trouver […] des accommodements raisonnables, c’est à dire des compromis avec certaines religions pour qu’ils continuent à pratiquer l’abattage rituel mais en faisant souffrir le moins possible les animaux, et peut-être en les étourdissant à l’avance ».
Anne-Claire Gagnon, vétérinaire et journaliste, intervient sur le mot sentience, pour rappeler que dans les textes législatifs et réglementaires européens « les animaux sont reconnus comme des êtres sentients, ils sont capables de mémoire, d’avoir une vision subjective de leur environnement et d’être doué d’émotions ». Selon Louis Schweitzer, « le concept de « sentient » est plus riche [que sensibilité], mais il est aussi moins compris. C’est un concept qu’il faut introduire ».
Luc Mirabito (Institut de l’élevage) cherche à savoir quelle serait la valeur ajoutée de la Déclaration des droits de l’animal en plus de la Convention sur la protection des animaux du Conseil de l’Europe. Jean-Paul Costa estime que la Déclaration « a une portée globale, un effet globalisant » face au droit français actuel qualifié d’ « épars » et « disparate » et aux conventions du Conseil de l’Europe qui seraient peu normatives. Luc Mirabito s’interroge également sur l’article 1 de la Déclaration des droits de l’animal, qui aborde le milieu naturel des animaux et leur droit à y vivre, ce qui amoindrirait selon lui la portée des articles suivant et notamment de l’article 2 qui fait une différence entre animaux sensibles et non sensibles. Louis Schweitzer répond que dans cette Déclaration, « il y a des articles qui s’appliquent à tous les animaux, et des articles qui tiennent compte des différentes catégories ou des différents groupes d’animaux. L’article 1 s’applique clairement aux animaux vivants à l’état de liberté. », ainsi qu’il est mentionné.
Alain Grépinet, vétérinaire et administrateur de la LFDA, pose une question sur « la contradiction fondamentale [selon lui] entre le principe de dérogation qui est accordée précisément aux abattages rituels, et l’esprit de la loi de 1905 » sur la laïcité et la liberté religieuse. Jean-Paul Costa parle de la « balance des valeurs », la santé qui prime sur la religion par exemple. Cette balance des valeurs n’a pour l’instant pas été favorable à l’animal abattu, mais peut-être que dans le futur, « il faudra revoir complètement la façon d’abattre les animaux ». De son côté, Olivier Duhamel est pour une distinction entre des positions de principe et des positions politiques. Il se dit « totalement opposé […] à l’abattage rituel, [mais] en pratique, dans le moment politique dans lequel nous sommes en France […], un interdit de ce type ne ferait que créer dans notre pays un peu plus d’islamisme radical, et que ce n’est pas vraiment souhaitable ». Alain Grépinet s’est ensuite enquis de la position d’Olivier Duhamel sur la corrida : est-elle « un art, ou un spectacle tragique pour l’animal ? » Olivier Duhamel déclare que la corrida disparaîtra bientôt mais qu’il n’est pas favorable à une « multiplication d’interdits » dans le droit français.
Florence Burgat est intervenue pour expliquer qu’en botanique, le concept d’« irritabilité » est utilisé pour les plantes, afin de laisser le concept de sensibilité aux animaux.
Table ronde sur la personnalité juridique de l’animal
La philosophe Florence Burgat est la première intervenante de cette deuxième table ronde. Selon elle, « définir les animaux par leur sensibilité, au sens de la sentience […], afin de les distinguer des biens et des choses, et continuer de les soumettre à leur régime, est une contradiction. » Elle compare le droit à une fiction qui « se mue en réalité », ainsi les animaux « soumis au régime des choses, […] deviennent dans le monde réel des choses, et plus précisément des biens consomptibles : c’est à dire dont l’usage implique la destruction. » Cela serait en contradiction avec la reconnaissance par le droit même de la sensibilité des animaux car « selon une solide tradition philosophique, la sensibilité constitue le critère nécessaire et suffisant à la reconnaissance de droits forts ». Face à cette contradiction se profile la possibilité d’« inclure les animaux parmi le cercle des personnes ». Face à l’assimilation du langage courant entre personne et être humain, Florence Burgat expose diverses traditions philosophiques pour démontrer que la notion de personne désigne non seulement des individus humains, mais des entités « aussi multiples que diverses ». Selon elle, « ranger les animaux du côté des personnes introduirait dans le droit une lisibilité autre que celle dictée, souvent en tout cas concernant les animaux, par la puissance de l’argent et des lobbys d’une part, mais aussi par le sentiment que nous sommes dans notre bon droit en instituant massivement leur mise à mort d’autre part. »
S’en suit une intervention du professeur Jean-Pierre Marguénaud, spécialiste du droit animalier et auteur d’une thèse intitulée L’animal en droit privé évoquant la personnalité juridique de l’animal. Il constate que « depuis quelques années, souffle un vent de personnification des éléments de la nature : la rivière Whanganui en Nouvelle-Zélande, le Gange, les dauphins » en Inde. Il évoque l’affaire de la femelle Chimpanzé Cécilia « qui s’est vue reconnaître la qualité de personne juridique non humaine pour lui conférer les droits de l’Habeas Corpus de façon à la transporter dans un sanctuaire au Brésil ». Il souligne d’ailleurs que cette décision issue du tribunal de Mendoza « doit beaucoup à la Déclaration universelle des droits de l’animal, puisque Madame la juge Mauricio cite expressément l’article 4 de la première version de la Déclaration universelle des droits de l’animal ». Le professeur fait remarquer que la personnification juridique des animaux est également à l’œuvre en France, dans le code de l’environnement des Îles Loyauté en Nouvelle-Calédonie, qui affirme que « certains éléments de la nature peuvent se voir reconnaître une personnalité juridique et dotés de droits qui leurs sont propres » : les tortues et les requins, non pas en tant qu’individus mais en tant qu’espèces totémiques, y seraient en voie de personnification. Selon Jean-Pierre Marguénaud, la personnalité juridique de l’animal serait « commode […] de deux points de vue » car elle permettrait de faire disparaître la contradiction évoquée par Florence Burgat d’une part, et d’autre part, cela mettrait un terme à une « situation d’ambiguïté, qui trouble beaucoup de juges qui se prononcent sur des questions de droit animalier depuis 2015 ». De plus, selon lui « pour arriver au bien-être des animaux […], il faut des obligations positives derrière lesquelles il n’y a pas nécessairement une infraction pénale. »
Le troisième intervenant est Laurent Neyret, spécialiste du droit de l’environnement et de la santé. Il commence par donner son analyse des évolutions sociétales à l’origine du mouvement pour la personnification des animaux en tant qu’individus ou des éléments de la nature. Il s’agit pour lui d’une part de l’« augmentation de notre sensibilité, au sens de notre émotion, à l’égard de l’animal au singulier » et de « l’augmentation de la vulnérabilité […] des animaux » dans le contexte de la 6e crise d’extinction massive constatée par le rapport de l’IPBES. Laurent Neyret livre ensuite ses réflexions sur le mouvement de personnification de la nature par rapport à celui de la personnification individuelle des animaux. Il observe que « ce ne sont pas les mêmes personnes qui travaillent sur et qui œuvrent à la question de la personnification de la nature, et à la personnification de l’animal », etque le mouvement de la « personnification de la Nature prise globalement » semble plus fort. Il se demande par ailleurs si « reconnaître la qualité de personne à la Nature ce serait également, en creux, reconnaître cette qualité à l’animal ? » Il affirme qu’ « on ne peut pas avoir à l’esprit qu’on passerait d’un statut tragique « l’animal est une chose“ […] à un statut magique, qui est « l’animal est une personne » ». Il prend pour exemple les atteintes à l’environnement ayant lieu en Équateur malgré la proclamation de la personnalité juridique de la Pachamama (la Terre mère) dans la Constitution. Il évoque les débats en droit français tenant à l’idée que « reconnaître le préjudice écologique dans le code civil c’est dire que la nature est un sujet de droit », alors que cela ne correspondait pas à l’idée initiale de certains des parlementaires qui ont voté cette loi. Pour conclure, Laurent Neyret appelle à « l’alliance entre ceux qui œuvrent pour le même combat » rappelant que les parties prenantes des débats conflictuels qui entourent la personnalité juridique de l’animal ont en commun la volonté d’aller vers une plus grande protection des animaux.
Échanges avec la salle
Jean-Paul Richier, psychiatre, s’interrogé sur les effets réels produits par la reconnaissance en tant qu’êtres sensibles des animaux dans le code civil en 2015. Jean-Pierre Marguénaud présente son analyse selon laquelle cette réforme qui « aurait dû entraîner des modifications des réponses aux questions civiles, […] a plutôt dynamisé la répression pénale ». Il a également cité deux affaires où la loi de 2015 a influé. La reconnaissance d’un chien nommé Delgado comme un « être vivant unique et irremplaçable » par la cour de cassation le 9 décembre 2015, obligeant l’éleveur du chien à dédommager l’acheteuse des frais vétérinaires engendrés par la maladie du chien, plutôt que de remplacer le chien. La seconde affaire est liée à une ordonnance du premier président de la cour d’appel de Poitier, qui en vertu de l’article 515-14 du code civil, a considéré que l’expulsion d’un fermier de sa propriété « devait s’accompagner de la prise en considération […] [du] sort [de ses animaux], de manière à ce qu’ils ne soient pas abattus immédiatement ».
Muriel Falaise, juriste et maître de conférences en droit privé, s’enquit de la capacité de la personnalité juridique de l’animal à faire disparaître les incohérences de traitement juridique entre les animaux appropriés, considérés dans leur individualité, et les animaux sauvages libres, appréhendés « sous le prisme de l’espèce ». Elle sollicite l’avis des intervenants sur la possibilité qu’aurait la personnalité juridique de susciter une prise de conscience des devoirs de l’homme à l’égard des animaux êtres sensibles. Laurent Neyret déclare que, bien que la personnalité juridique « rehausserait le niveau de protection », cela n’entraînerait pas un bouleversement total car les intérêts des personnes animales seraient mis « en perspective avec des intérêts contradictoires, conflictuels, d’autres personnes, qui peuvent êtres humaines ou non ». Il émet des doutes quant à la volonté de la majorité d’aller vers ce type de statut à moyen ou long terme. Cela fait réagir Jean-Pierre Marguénaud, citant un sondage récent avançant le chiffre de 66 % de français favorables à la personnalité juridique de l’animal. Le professeur rappelle ensuite le combat de Steven Wise, juriste se battant pour la reconnaissance de la personnalité juridique des grands singes outre-Atlantique, en évoquant qu’en droit anglo-saxon l’on se heurte à l’obstacle d’une impossibilité de reconnaissance de droits dissociée de la reconnaissance de devoirs. Il tient à préciser qu’en droit français, nous n’avons pas cet obstacle, car des personnes morales juridiques, telle « la masse des obligataires » sont déjà titulaires de droits sans devoirs.
Loïc Dombreval, député et président du groupe d’études « condition animale » à l’assemblée nationale, se tourne vers les intervenants et les membres du public concernés pour demander : « pouvez-vous nous fournir à nous, parlementaires, des argumentaires […] très convaincants, qui vont nous permettre de convaincre à notre tour nos collègues que de nouvelles lois, et de nouveaux règlements, avec une évolution législative majeure comme celle que vous proposez, va permettre de résoudre l’immense majorité des problèmes […] auxquels sont confrontés les animaux aujourd’hui dans leur quotidien et dans leur bien-être ? » Faces aux problématiques concrètes évoquées par le député, comme le broyage des poussins et la castration à vif des porcelets, Jean-Pierre Marguénaud plaide pour des premières interventions « plus concrètes […] qui passent plutôt par le droit pénal ». Il cite notamment « l’extension de la protection contre les actes de cruauté aux animaux sauvages », et la mise en place de moyens suffisants pour rechercher les méthodes alternatives à l’expérimentation animale. Laurent Neyret souligne pour sa part la pertinence d’une « réglementation d’affichage » en évoquant le succès de l’étiquetage des classes de consommation énergétiques pour l’électroménager, et la possibilité d’une obligation de « reporting » de l’État et des entreprises en matière de bien-être animal. Quant à Florence Burgat, elle assure se tenir à disposition du député pour « apporter quelque chose à la rédaction de cet argumentaire ».
Conclusion
Robert Badinter, président honoraire du Conseil constitutionnel et ancien garde des Sceaux, conclut le colloque en faisant part de son optimisme sur l’avenir de la condition animale au regard des progrès accomplis dans les dernières décennies. Il fait part de sa préférence pour une Déclaration des devoirs des hommes envers les animaux plutôt que pour une Déclaration des droits de l’animal. Pour finir, M. Badinter fait une proposition : « il faudrait créer un défenseur, on pourra dire des droits des animaux, […] une autorité indépendante qui s’en occupera », soulignant l’efficacité des autorités indépendantes, à même de s’occuper du concret plutôt que du débat.