Après avoir rappelé, dans la Revue n° 99 précédente, que la chasse fait d’innombrables victimes animales, appauvrit la biodiversité et génère d’incommensurables souffrances, nous rappellerons ici qu’elle fait aussi de nombreuses victimes humaines.
Nous nous fondrons sur le communiqué de presse publié le 4 septembre 2018 par l’ONCFS – Office national de la chasse et de la faune sauvage, dont le réseau « Sécurité à la chasse » a procédé à « l’analyse détaillée des circonstances des accidents répertoriés durant la dernière saison de chasse » (entre le 1er juin 2017 et le 31 mai 2018).
Le nombre total d’accidents de chasse relevés durant cette saison s’élève à 113, en net recul par rapport à celui de la saison précédente (143 accidents). Sur ces 113 accidents relevés, 13 accidents ont été mortels, dont 3 personnes « non chasseurs ». Dans leur majorité, les accidents sont survenus lors de chasses collectives au grand gibier (57 %), ce qui est à rapporter à l’importance de ce mode de chasse en France (c’est l’explication qu’en donne l’ONCFS), mais probablement aussi au fait que le grand gibier (principalement sanglier) nécessite d’utiliser des armes et des munitions plus puissantes, balles et grosses chevrotines.
Dans notre Revue, chaque année, nous dénonçons la chasse et ses accidents, d’autant plus insupportables qu’en très grande majorité, ces « accidents » sont dus à des manquements aux règles les plus élémentaires de sécurité, dont le tir sans identification absolue de la cible, le tir de côté, une maladresse de manipulation du fusil.
L’ONCFS ne manque pas de noter que le nombre de victimes humaines par accidents de chasse est en constante diminution depuis deux décennies, ce dont elle s’approprie le mérite en l’attribuant à sa politique de formation à l’examen du permis, à la sensibilisation à la sécurité dans les fédérations locales avec la présentation de DVD, de posters, etc. Mais l’analyse de l’ONCFS est parcellaire et incomplète. Reprenons les statistiques des deux dernières décennies. On voit en effet que les nombres des accidents de chasse ont diminué de façon notable, approchant les 300 pour la campagne de chasse 1999/2000 et réduits à 113 pour la période 2017-2018. Mais on constate que la diminution est irrégulière, chutant une année pour remonter considérablement l’année suivante.
L’ONCFS n’a pas affiné son analyse sur ce point : pour quelles raisons ces variations ? Saison pluvieuse ? Nombre de jours favorables ou défavorables aux sorties ? Gels ? Connaitre les causes de ces variations serait instructif, mais cela n’est pas dans nos possibilités. En revanche, nous devons rechercher ce qui pourrait être la cause de la diminution générale constatée, une autre cause que celle qu’avance l’ONCFS et à laquelle nous ne portons qu’un crédit très limité…
Nous pensons que dans une population humaine, la palette des caractéristiques psychologiques, sociales, mentales et autres aboutit à constituer des catégories diverses regroupant des individus ayant des caractéristiques communes ou proches, ou compatibles. Parmi ces catégories, doit logiquement exister celle d’individus potentiellement « imprudents » (faible capacité d’anticipation, bon sens spontané insuffisant, faible sens de l’observation, excès de confiance en soi), sur qui l’information (surtout telle qu’on imagine qu’elle puisse être dispensée) n’a pas l’influence déterminante évoquée par l’ONCFS. Puisque le nombre d’accidents est lié au nombre des imprudences commises (c’est l’ONCFS qui l’affirme), et que la proportion des imprudents est (vraisemblablement) constante, on en déduit que le nombre des accidents pourrait être directement lié au nombre des chasseurs, et à l’inverse, que le nombre des chasseurs pourrait être déduit du nombre des accidents ! Voilà qui devient très intéressant, parce que les renseignements sur ce nombre total de chasseurs sont imprécis. D’un côté les fédérations locales de chasse déplorent constamment une décroissance générale des effectifs et des assemblées générales désertées, alors que de leur côté les voix officielles citent des effectifs quasi inchangés et encore importants.
Retournons aux chiffres disponibles et faisons un peu d’arithmétique.
Les 5 premières années de la décennie 1999-2018 (de 1999 à 2003) totalisent 948 accidents : (282 + 184 + 167 + 180 + 203 ; on notera au passage la variabilité signalée ci-dessus !). Durant les 5 dernières années (de 2014 à 2018), le total descend à 538 (114 + 122 + 146 + 143 + 113). Ainsi, le nombre d’accidents a diminué de 56 % entre 1999 et 2018. Il en résulte que, si notre hypothèse est exacte, de 1999 à 2018 le nombre total de chasseurs a diminué de 56 %. Cela est cohérent avec les observations que font les fédérations locales : nous pouvons donc poursuivre.
Appliquons ces 56 % à l’effectif des chasseurs de 1999, qui peut être estimé de 1 500 000 : nous obtenons 840 000 chasseurs en 2018, total très inférieur aux 1 130 000 que revendique la Fédération Nationale des Chasseurs (FNC). Quel est le plus vraisemblable des deux ? Celui de la FNC ? Certainement non, parce que la FNC n’a pas fait le décompte des chasseurs, mais le décompte des permis de chasser, additionnant tous les permis, nationaux et départementaux. Or les permis départementaux sont de loin les plus nombreux (90 %, Le Monde du 28 août 2018), et les chasseurs sont fréquemment porteurs de permis de chasser acquis dans un ou deux des départements voisins, ce qui permet aux chasseurs d’alentour de s’inviter mutuellement ! Le dénombrement est ainsi faussé, le nombre des chasseurs étant bien inférieur à celui des permis de chasser. Par conséquent, l’effectif « officiel » de la FNC de 1 130 000 chasseurs est inexact et surévalué !
Nous affirmons qu’il ne s’agit pas d’une erreur, mais d’une manœuvre, d’une manipulation, destinée à conserver à la chasse l’image d’un pouvoir social et électoral qu’en réalité elle est en train de perdre. Les 840 000 de notre calcul sont certainement plus proches de la vérité, et plus satisfaisants.
La chasse est réellement en voie de disparition, la population des chasseurs est vieillissante, les jeunes s’en détournent et s’en détourneront plus encore dans les années prochaines, portés par cette vague montante chez eux de l’intérêt pour l’animal. Et ce n’est pas la décision démagogique et électoraliste d’une diminution du prix du permis qui va y changer quoi que ce soit !
Article publié dans le numéro 100 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences.