Cet été, une vidéo de l’association C’est Assez ! a révélé l’absurdité d’enfermer les ours polaires dans des enclos, a fortiori dans le sud de la France. Cette vidéo montrait l’ours polaire Raspoutine, détenu par Marineland à Antibes, faisant les cent pas et bavant, sous une chaleur estivale. Ces images nous ont paru insupportables, comme aux 211 000 personnes qui ont signé la pétition de C’est Assez ! pour transférer l’ours polaire et sa codétenue Flocke vers un environnement adapté à leur physiologie.
À la suite de cette vidéo, La Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA) a décidé de s’associer avec C’est Assez ! et d’autres ONG pour demander un rendez-vous au ministre de l’Environnement au sujet de la captivité des ours polaires, et particulièrement des conditions de vie de Raspoutine et Flocke. Lors de notre rendez-vous avec le ministre au sujet des delphinariums, nous avons eu l’occasion d’aborder le sujet de la captivité des ours polaires. Afin de lui démontrer que les ours polaires n’ont rien à faire dans un zoo, nous lui avons exposé les arguments suivants.
Une espèce particulièrement inadaptée à la captivité
L’ours polaire fait partie des espèces sauvages qui s’adaptent le plus mal à la captivité. En effet, les espèces carnivores à aire de distribution étendue comme l’ours polaire sont celles qui souffrent le plus de stress et de troubles psychologiques en captivité. Les troubles du comportement (balancements, va-et-vient, etc.), appelés stéréotypies, qui sont très souvent observés chez les ours polaires captifs, en sont les conséquences.
Des températures trop élevées en France
L’habitat naturel des ours polaires se situe en Arctique. Pour prendre l’exemple de l’archipel de Svalbard dans l’Arctique norvégien, où évoluent des ours polaires à l’état sauvage, la température moyenne annuelle a atteint le maximum de 0°C ces dernières années. Le climat français, tempéré, n’est donc pas adapté à la biologie de l’ours polaire (à Antibes, la température moyenne minimale est de 8 °C !).
Des enclos inévitablement trop petits
L’ours polaire parcourt des distances impressionnantes pour accomplir un de ses comportements naturels qu’est la chasse. À l’état naturel, son habitat peut aller de 5000 à 500 000 km². De plus, un ours polaire parcourt en moyenne entre 14 et 18 km par jour. Cela est largement supérieur à la taille des enclos des ours polaires captifs en France (environ 2000 m² pour deux ours à Marineland).
Un régime alimentaire inadéquat
Le régime alimentaire d’un ours polaire est essentiellement constitué de gras de phoque, dont son métabolisme tire tout ce dont il a besoin. Or, dans les zoos, les ours polaires sont principalement nourris de poissons, de viande crue et de nourriture sèche d’animaux d’élevage et de petites proies (lapins et rats), ce qui est, à long terme, mauvais pour leur santé car cela induit une suractivité rénale.
Une espèce de nature solitaire, pourtant hébergée en groupe
L’ours polaire est solitaire. Le mâle et la femelle se rencontrent une semaine pendant la période de reproduction afin de s’accoupler, puis la femelle élève seule ses petits. En captivité, les ours polaires sont parfois hébergés en groupe de deux individus, un mâle et une femelle, afin qu’ils se reproduisent, à l’instar de Flocke et Raspoutine. Dans les enclos, les ours polaires ont tendance à avoir très peu d’interactions avec leur congénère et à l’éviter le plus possible. Les héberger en groupe est donc contre-nature.
Le leurre de la réhabilitation : un moyen de conservation inefficace
La captivité est inutile à la conservation des ours polaires car les animaux prisonniers ne pourront jamais être relâchés dans leur environnement naturel. En effet, ils ne connaissant pas les comportements essentiels pour y survivre et leur apprendre est trop coûteux pour un risque d’échec trop élevé. De plus, le taux de reproduction des ours polaires en captivité est très faible, ce qui complique les espoirs de réhabilitation dans le but de densifier une population. Cela s’explique notamment par du cannibalisme ou le rejet des oursons par la mère si elle estime que sa tanière artificielle ne lui convient pas. En outre, la réhabilitation peut être néfaste pour la population d’ours polaires vivant en milieu naturel : les animaux captifs réhabilités peuvent être porteurs de maladies ou transmettre des parasites. Des spécimens habitués à la présence des humains peuvent aussi être dangereux pour l’humain.
Un non-sens pédagogique
L’impact positif des parcs zoologiques dans le domaine de l’éducation des visiteurs à la conservation de la biodiversité ne fait pas l’unanimité parmi les scientifiques. Il n’y a pas d’attitude de changement durable constatée. Les visiteurs de parcs zoologiques ne viennent pas pour apprendre mais pour se divertir. Tout y est fait pour amuser les enfants notamment. Pour preuve, de nombreux zoos français proposent des activités de divertissement tels que des spectacles avec animaux (otaries, oiseaux…), des activités de « soigneurs » pour les enfants, des tyroliennes au-dessus des enclos, des parcs d’attractions, etc. De plus, le public n’est pas incité à protéger l’environnement puisqu’on leur montre que l’on parvient à maintenir et faire se reproduire des espèces en captivité. Enfin, les animaux exhibés dans les parcs zoologiques ont des comportements artificiels et souvent pathologiques à cause de la captivité. Ils ne ressemblent pas à leurs congénères en liberté.
Conclusion
Nous avons pu démontrer au ministre de l’Environnement M. François de Rugy l’absurdité de maintenir des ours polaires en captivité. Nous souhaitons qu’il se saisisse du problème à l’échelle nationale. En parallèle, une solution plus respectueuse des besoins biologiques des ours polaires doit être trouvée pour Flocke et Raspoutine. C’est ce que demandent 82 % des Français, qui sont opposés à la présence d’ours polaires dans les parcs situés dans des régions méditerranéennes*. À bon entendeur…
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Article publié dans le numéro 100 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences