Le 24 janvier, l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoir (OABA) et la Fondation Brigitte Bardot (FBB) organisaient un colloque sur l’abattage sans étourdissement. Cette réunion se tenait à la Représentation permanente du Parlement européen à Paris, sous le parrainage du député européen Pascal Durand.
Devant une salle comble, pendant plus de trois heures, une douzaine de conférenciers sont intervenus sur un sujet majeur de protection animale qui sera certainement évoqué lors des prochaines élections européennes. L’objectif de ce colloque était de faire un état des lieux, en France et en Europe, et d’envisager des perspectives d’évolution pour un compromis acceptable, sans stigmatisation de toute communauté, mais sur le volet unique du respect de l’animal, être sensible.
Un étourdissement pour éviter la souffrance
Le point de départ de ce colloque était une des recommandations d’un rapport du CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux) : « l’abattage sans étourdissement est mal adapté à l’espèce bovine ». Les experts recommandent un abattage avec étourdissement. Il était donc nécessaire de recueillir l’avis des scientifiques, des juristes, des professionnels, des politiques, mais aussi des cultes. La question était aussi de connaître la situation dans les autres pays d’Europe.
Les derniers travaux des chercheurs sur la conscience animale, présentés lors de cette réunion, remettent en cause l’acceptabilité de l’abattage d’un animal en pleine conscience. Selon Pierre Le Neindre, docteur en éthologie et chercheur à l’Inra, il convient donc pour éviter toute souffrance aux animaux à l’abattoir d’obtenir un état d’inconscience (semblable à un coma) préalablement à la saignée. Pour parvenir à cet état d’inconscience le plus rapidement possible, la règle générale est d’étourdir l’animal avant la saignée, en agissant au niveau des structures nerveuses impliquées dans la conscience et dans la douleur.
Comme l’a expliqué Claudia Terlouw, chercheure à l’Inra, une perte de conscience peut être réversible en utilisant l’électronarcose à deux points et sera irréversible avec le pistolet à tige perforante ou l’électronarcose à trois points. En dépit parfois d’échecs lors de la réalisation de l’étourdissement avec le pistolet à tige perforante (qui doit être rapidement corrigé par un second tir), le recours à cette méthode est indispensable pour éviter la longue agonie après la saignée de l’animal lors de l’abattage rituel. La perte de conscience varie d’un peu plus d’une dizaine de secondes pour les moutons à parfois plus d’une dizaine de minutes chez les bovins.
Marylène Nau, inspectrice générale de santé publique vétérinaire honoraire a expliqué certaines particularités des bovins : la taille et le poids du rumen qui écrase les poumons lorsque l’animal est placé sur le dos pour son égorgement rituel, mais surtout l’importance de l’artère vertébrale qui n’est pas sectionnée lors de la jugulation et qui continue à irriguer le cerveau retardant la perte de conscience. S’ajoute à ce problème de la vascularisation collatérale, la formation de « faux anévrismes » qui obstruent partiellement les carotides sectionnées.
L’avis des professionnels
« INTERBEV et les organisations de protection animale signataires (OABA, CIWF, LFDA et Welfarm) s’associent aujourd’hui, et pour la première fois, pour vous faire part de leur volonté partagée de généraliser l’étourdissement à toutes les formes d’abattage, à condition que cette demande d’évolution des pratiques soit partagée par les cultes.
Nous demandons au gouvernement de s’emparer du sujet et de relancer les discussions avec l’ensemble des parties prenantes. »
« Du point de vue de la protection des animaux et par respect pour l’animal en tant qu’être sensible, la pratique consistant à abattre les animaux sans étourdissement préalable est inacceptable, quelles que soient les circonstances. »
Fédération des vétérinaires européens, 2002.
« Tout animal abattu doit être privé de conscience d’une manière efficace, avant la saignée et pendant toute la durée de celle-ci. »
Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, 2015.
« Les vétérinaires en Congrès demandent :
Le recours à des méthodes permettant de mettre un terme à la longue agonie des animaux égorgés lors des abattages rituels
Un étiquetage informatif clair pour identifier la viande provenant d’animaux abattus sans étourdissement » SNVEL (organisation professionnelle des vétérinaires libéraux),
Congrès de Bordeaux, 2010.
La dérogation à l’obligation d’insensibilisation
Un sujet sensible et complexe
Le problème réside dans la dérogation accordée pour les abattages rituels de ne pas respecter la réglementation européenne qui impose un étourdissement avant la saignée, assurant une insensibilisation.
La difficulté réside aussi dans la confusion entretenue entre étourdissement et mort de l’animal. Or dans l’abattage conventionnel, c’est bien la perte du sang (exsanguination) qui entraîne la mort et non pas le pistolet d’abattage. Mais surtout, ce sont des enjeux financiers qui bloquent les avancées. La certification des viandes d’animaux abattus selon un rite religieux représente un revenu considérable. La production en France de viandes halal et casher représente un chiffre d’affaires de plus de deux milliards d’euros. Environ 50% des exportations françaises de viande sont halal ou casher…
Des alternatives existent
À défaut de pouvoir supprimer la dérogation à l’obligation d’étourdissement (ce que souhaitent les ONG de protection animale), certaines alternatives existent pour que l’abattage respecte les règles religieuses des cultes juif et musulman. Ces règles imposent que « l’animal doit être vivant, en bon état sanitaire et la saignée doit être efficace et complète, tout en respectant la bientraitance des animaux et en limitant la souffrance ».
Comme le recommande le rapport du CGAAER, l’étourdissement immédiatement après la saignée (post-jugulation) aussi appelé « soulagement » est un compromis acceptable dans plusieurs pays pour l’abattage rituel musulman mais plus rarement juif. Dans une thèse vétérinaire soutenue fin 2018, Léa Letessier explique que le recours au pistolet à tige perforante immédiatement après la jugulation permet la perte de conscience et donc l’insensibilisation. Ce qui évite l’agonie d’un bovin pendant plusieurs minutes.
L’avis des cultes
L’invitation du Docteur Dalil Boubakeur, Recteur de la Grande Mosquée de Paris, devait lui permettre de réaffirmer ses prises de position vers des avancées qu’il exprime régulièrement et en particulier dans un courrier adressé à Brigitte Bardot le 19 juin dernier que Christophe Marie, porte-parole de la Fondation a lu : « Je vous avais fait part de ma position conforme à celle de plusieurs théologiens du monde musulman. Elle rejoignait votre souci légitime, qui est aussi le nôtre, de lutter contre la souffrance animale au moment particulier de la saignée dans les abattoirs. Je me suis rendu compte par la suite que d’autres avis plus archaïques insistaient sur le non étourdissement des animaux d’abattage continuant ainsi à ne tenir aucun compte de ces aspects un peu primaires et que nous récusons vous et moi ».
Malheureusement retenu par d’autres engagements, il avait délégué une porte-parole qui a renvoyé vers une éventuelle modification de la législation : « Il revient à l’Etat de légiférer sur la question, une éventuelle modification de la législation européenne ne manquera pas d’avoir des répercussions nationales, nous serons attentifs à tout changement réglementaire ». Décevant !
Liliane Vana, docteur ès-sciences des religions et spécialiste en droit hébraïque se déclare végétarienne. Elle déclare : « La défense de l’abattage rituel juif n’exclut pas les nouvelles réflexions sur la souffrance animale. L’abattage rituel est sensé tenir compte des connaissances actuelles de la science, dans la mesure où les lois juives le permettent. De fait la question de l’étourdissement se pose aujourd’hui surtout au sujet de l’abattage des bovins ». L’étourdissement post-jugulation lui apparait comme un compromis acceptable. Un espoir !
Motion des associations de protection animale
Frédéric Freund (OABA) et Christophe Marie (FBB) ont présenté une motion signée par les ONG de protection animale :
« Les organisations signataires demandent au Chef de l’État et à son gouvernement de modifier le 1er alinéa de l’article R214-70 du code rural afin de ne plus déroger à l’obligation d’insensibilisation des animaux lors de leur abattage. »
Conclusion de Pascal Durand, député européen
Il est probable qu’à terme, l’abattage sans étourdissement soit interdit en France, mais cela prendra du temps et se fera avec beaucoup de souffrances. Faisons en sorte qu’un dialogue émerge pour éviter encore une fois que la souffrance animale ne soit la dernière courroie d’une lutte entre lois laïque et religieuse.
Jean-Pierre Kieffer
Vétérinaire, président de l’OABA
Retrouvez l’article complet dans le magazine INFOMAG du 1er semestre 2019 de l’OABA.
Article publié dans le numéro 101 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences