Le nouvel arrêté du 8 octobre 2018 modifie la réglementation relative à la détention d’animaux d’espèce sauvage. Une initiative qui aurait pu permettre d’améliorer le sort des animaux sauvages captifs et de renforcer la lutte contre le trafic d’espèces protégées. Cependant, la nouvelle réglementation n’améliore pas la réglementation existante, voire assouplit, sur certains points, les normes en vigueur depuis 2004, au risque de favoriser le trafic illégal d’espèces sauvages protégées.
Des animaux d’espèce sauvage peuvent être détenus en captivité par des particuliers (nouveaux animaux de compagnie – NAC), des éleveurs, des établissements de vente (animalerie) et des établissements de présentation au public (zoos, etc.) Depuis 2004, la détention d’animaux d’espèces sauvages était réglementée par deux arrêtés du 10 août 2004 :
- le premier fixant les règles générales de fonctionnement des installations d’élevage d’agrément d’animaux d’espèces non domestiques,
- le second fixant les conditions d’autorisation de détention d’animaux de certaines espèces non domestiques dans les établissements d’élevage, de vente, de location, de transit ou de présentation au public d’animaux d’espèces non domestiques.
Avec la nouvelle loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016 et le décret d’application 2017-230 du 23 février 2017 (relatif aux conditions d’identification et de cession des animaux d’espèces non domestiques détenus en captivité), un nouvel arrêté vient remplacer ceux du 10 août 2004 : l’arrêté du 8 octobre 2018 fixant les règles générales de détention d’animaux d’espèces non domestiques. Est-ce que cet arrêté améliore le sort des animaux sauvages captifs ? Est-ce qu’il est plus efficace pour lutter contre le trafic d’animaux d’espèces sauvages ? Est-ce qu’il protège mieux les espèces protégées ?
La LFDA avait dénoncé ce projet d’arrêté
Lorsque le ministère de l’Environnement a soumis la première version du projet d’arrêté à consultation du public en mars 2018, la LFDA et la Fondation Brigitte Bardot (FBB) ont décidé de répondre conjointement à cette consultation. Nous avons utilisé notre expertise pour dénoncer ce projet d’arrêté qui nous paraissait non seulement ne pas améliorer la réglementation existante mais qui de plus l’assouplissait, au risque notamment de favoriser le trafic illégal d’espèces sauvages protégées. Nous avons signalé plusieurs points alarmants, comme des incohérences dans la nécessité ou non de détenir un certificat de capacité en fonction de l’espèce captive et du nombre d’individus détenus, ou encore dans l’abrogation des articles régissant la chasse au vol dans les arrêtés de 2004 alors que la nouvelle réglementation sur le sujet n’est pas encore élaborée.
Dans un deuxième temps, après échanges avec Eurogroup for Animals, dont la LFDA est membre, la LFDA et la FBB ont décidé d’envoyer au ministre de l’Environnement un courrier commun avec Eurogroup for Animals afin de lui faire part des dangers que comportait ce projet d’arrêté pour les animaux. En plus des éléments énoncés précédemment, nous avons dénoncé les points suivants :
- La suppression de la distinction entre les élevages d’agréments (particuliers détenant au moins un animal sauvage) et les élevages à but lucratif, animaleries et établissements de présentation au public, assouplissant les formalités pour ces derniers.
- Une liste interminable d’espèces animales sauvages qui peuvent être détenues en captivité, y compris des espèces protégées, alors que la captivité et la vente d’animaux d’espèces sauvages favorisent le trafic illégal.
- Des termes employés qui ne sont pas définis : « bien-être », « espèces non domestiques »…
- Des mesures d’identification dont l’applicabilité et le contrôle sont irréalistes.
- Aucune mention des sanctions encourues en cas de non-respect de la législation.
- Un document d’information sur l’espèce à fournir en cas de cession uniquement à titre onéreux, de plus, sans garantie quant à la véracité des informations fournies.
- Un temps de conservation du registre d’entrée et de sortie des animaux d’un élevage réduit de 10 à 5 ans, ce qui peut poser problème pour la lutte contre le trafic illégal.
- Un risque de vide juridique entre l’adoption de cet arrêté, qui abroge ceux de 2004, et l’adoption d’un arrêté spécifique aux animaleries prévu par le ministère, permettant ainsi à celles-ci de faire des stocks d’animaux d’espèce sauvages sans formalités particulières.
Que retrouve-t-on dans l’arrêté adopté ?
L’arrêté a finalement été adopté le 8 octobre 2018, avec peu de modifications par rapport à la version que nous avions dénoncée. Les mesures sur la chasse au vol dans les arrêtés de 2004 n’ont finalement pas été abrogées. Le terme « bien-être animal » a été défini comme la « [satisfaction] des besoins physiologiques et comportementaux » de l’animal. Cependant, suggérer la possibilité de satisfaire les besoins physiologiques et comportementaux des animaux d’espèces sauvages nous semble être un vœu pieu, car ceux-ci ne peuvent pas atteindre un état de bien-être en captivité (contraintes physiques, frustrations comportementales…).
L’arrêté est imprécis quant à son champ d’application, c’est-à-dire sur les espèces animales auxquelles il s’applique. L’article 1 ne précise pas son champ d’application mais le champ auquel il ne s’applique pas : les « animaux appartenant aux espèces domestiques, dont la liste est fixée par l’arrêté du 11 août 2006 ». Ainsi, il est censé s’appliquer à toutes les autres espèces animales, mais certaines ne figurent pas dans la liste des espèces établie en annexe 2 de cet arrêté.
L’arrêté fait également mention du fichier national d’identification des animaux d’espèces non domestiques. Il a été créé en juin sous le nom d’I-fap (identification de la faune sauvage protégée). Tous les animaux sauvages captifs doivent être inscrits dans ce fichier. Mais les contrôles sont peu probables. La LFDA souhaiterait avoir accès à ce fichier, notamment pour avoir un état des lieux des espèces et du nombre d’individus captifs dans les cirques, mais le fichier n’est pas consultable. Nous ne comprenons pas bien pourquoi…
Le registre d’entrée et de sortie n’est pas obligatoire pour les établissements d’élevage, de vente et de transit des espèces de gibier chassable (article 8). Pourtant, cela permettrait de préciser les chiffres sur la chasse et mettrait en lumière les besoins (ou non !) de régulation. Ce registre n’est pas non plus obligatoire pour les établissements de pisciculture et d’aquaculture. En effet, il n’y a pas de recensement officiel du nombre de poissons élevés. Leur comptage se fait en kilogrammes ou tonnes de poissons.
L’article 11 prévoit que lorsqu’un animal est vendu, un document d’information doit être remis au nouveau propriétaire ; le document indique les noms scientifique et vernaculaire de l’espèce, son statut de protection, sa longévité, sa taille adulte, son mode de vie sociale, son comportement, son mode de reproduction, son régime alimentaire, les conditions d’hébergement, et toute information complémentaire jugée utile pour garantir la satisfaction des besoins physiologiques et comportementaux. Premièrement, ce document n’est pas obligatoire pour la cession d’un animal à titre gratuit. Des animaux peuvent donc se retrouver entre les mains de personnes n’ayant aucune idée de leurs besoins physiologiques et comportementaux. Deuxièmement, l’arrêté ne précise pas qui établit cette fiche, ni comment les cédants se la procurent. Il n’y a donc aucun moyen de savoir si les informations fournies sont exactes ! Il est impératif que ces fiches soient établies par des spécialistes de chaque espèce.
En outre, l’annexe 2 établit la liste des espèces qui peuvent être détenues et le régime de formalité qui est associé à chacune d’elle :
- dans la colonne (a), les seuils du nombre de spécimens des espèces en-dessous desquels il n’y a pas de formalités particulières (ni autorisation, ni même simple déclaration !). Cette colonne concerne uniquement les particuliers ;
- dans la colonne (b), les seuils du nombre de spécimens des espèces en-dessous desquels il est nécessaire de faire une déclaration de détention auprès de la préfecture. Cette colonne concerne uniquement les particuliers ;
- dans la colonne (c), les seuils du nombre de spécimens des espèces au-dessus desquels il est nécessaire de demander une autorisation d’ouverture et un certificat de capacité auprès de la préfecture. Cette colonne concerne les particuliers et les professionnels.
Tableau : régimes de détention d’animaux d’espèces non domestiques en fonction des effectifs (inscrits en annexe 2 de l’arrêté du 8 octobre 2018)
Colonne (a) | Colonne (b) | Colonne (c) |
Pas de formalités | Déclaration de détention* (Cerfa n° 15967*01) | Autorisation de détention + certificat de capacité* |
S’applique aux particuliers | S’applique aux particuliers | S’applique aux particuliers et aux professionnels |
* auprès de la préfecture.
Ce régime est difficilement compréhensible. Certaines espèces sauvages auparavant soumises à autorisation sont désormais soumises à simple déclaration. D’autres espèces, si elles sont détenues par des particuliers, ne sont soumises à aucune formalité ! En outre, le niveau de formalité dépend parfois de l’effectif. Par exemple, un particulier détenant entre un et dix perroquet gris du Gabon n’aura pas besoin d’obtenir un certificat de capacité. En revanche, s’il décide d’en avoir un onzième, il lui faudra posséder un certificat de capacité. Les perroquets gris du Gabon ont des besoins biologiques très spécifiques qui nécessitent a minima la détention d’un certificat de capacité, peu importe le nombre de spécimens possédés. La détention d’un animal sauvage devrait obligatoirement nécessiter la détention d’un certificat de capacité.
De plus, la déclaration de possession doit justifier que les installations répondent au bien-être de l’animal. Pourquoi la même chose n’est pas applicable aux animaux de la colonne (a) détenus par des particuliers ? Et comment la préfecture peut apprécier, sur simple déclaration, qu’un environnement est adapté à un animal ?
De même, le tableau de l’annexe précise que ces niveaux de formalités s’appliquent pour des « effectifs d’animaux adultes ». Dès lors, tous les animaux juvéniles des espèces inscrites dans l’annexe 2 pourraient ne pas être concernés par les formalités, quel que soit leur effectif !
Enfin, les autres problèmes soulevés dans les parties précédentes persistent : contrôles irréalistes, pas de sanctions, abaissement du temps de conservation du registre d’entrée et de sortie, risque de vide juridique pour les animaleries.
Des ONG saisissent le Conseil d’État
À la suite de la publication de l’arrêté au Journal Officiel, des ONG de protection des animaux et de la nature ont saisi le Conseil d’État pour dénoncer cet arrêté. Elles estiment qu’il « porte une atteinte suffisamment grave et immédiate à la protection de la biodiversité et au bien-être animal ». Elles dénoncent notamment l’assouplissement des formalités pour certaines espèces, en particulier des espèces protégées, la possibilité de détenir un nombre illimité d’animaux d’espèces sauvages d’un jeune âge sans formalité quelconque, le manque de traçabilité des mouvements des animaux cédés avec en guise de justificatifs un simple ticket de caisse, et le non-respect du bien-être animal.
Après une séance publique organisée pour entendre les avocats des deux parties (ONG face au ministère de l’Environnement), le Conseil d’État a rendu sa décision le 23 janvier 2019. D’après l’institution, le régime de déclaration et d’autorisation tel qu’inscrit dans l’arrêté du 8 octobre 2018 est prévu par la loi pour la reconquête de la biodiversité de 2016. Le Conseil d’État estime que d’après les échanges en séance publique, les règles d’identification par marquage et enregistrement dans le fichier I-fap sont plus contraignantes que les règles antérieures car elles s’appliquent à un nombre plus élevé d’espèces.
Le Conseil d’État a rejeté l’urgence de la suspension de l’arrêté car il considère comme un effet indirect le fait que cet arrêté, selon les ONG, augmente le nombre de personnes désireuses de détenir un animal sauvage « rare », et donc contribue au trafic d’espèces protégées. Le Conseil d’État explique aussi qu’en pratique, la déclaration ne changera pas réellement le régime prévu par les arrêtés de 2004. En effet, de nombreuses autorisations étaient accordées tacitement sans avoir été traitées, passé les deux mois du délai d’expiration du traitement de l’autorisation.
Le Conseil d’État a tout de même consenti à suspendre une partie de l’arrêté : la colonne (c) de l’annexe 2, qui précise les seuils à partir desquels un certificat de capacité et une autorisation d’ouverture sont nécessaires pour détenir certaines espèces. En effet, il admet que l’inscription « Régime de détention en fonction des effectifs d’animaux adultes » pourrait, « dans un contexte où existent des réseaux de trafic d’animaux, être utilisée par ces réseaux pour proposer à la vente des bébés animaux en contournant les interdits formulés par d’autres textes et en portant atteinte à la conservation des espèces, au bien-être animal et à la sécurité des personnes ».
En pratique, cela signifie que la colonne (c) (nombre de spécimens nécessaires pour demander l’autorisation d’ouverture et un certificat de capacité) ne s’applique plus. Les annexes 1 et 2 de l’arrêté du 10 août 2004 fixant les conditions d’autorisation de détention d’animaux de certaines espèces non domestiques dans les établissements d’élevage, de vente, de location, de transit ou de présentation au public d’animaux d’espèces non domestiques remplacent cette disposition suspendue. Ces annexes dressent la liste des espèces non domestiques dont la détention est soumise à autorisation préfectorale et dont le marquage est obligatoire, et la liste des espèces non domestiques dont la détention ne peut être autorisée, avec obligation de marquage ou non, qu’au sein d’un établissement d’élevage ou de présentation au public d’animaux d’espèces non domestiques.
Conclusion
La modification de la réglementation sur la détention d’animaux d’espèces sauvages aurait pu permettre le renforcement de la lutte contre le trafic d’espèces protégées, la restriction du nombre d’animaux sauvages détenus, l’amélioration de leur condition de vie et la diminution des risques sanitaires liés à la détention d’animaux sauvages. Au lieu de cela, la nouvelle réglementation n’apporte rien de mieux que la précédente, voire, sur certains points, assouplit les normes en vigueur depuis 2004. Un véritable durcissement de cette réglementation, avec pour commencer une liste largement réduite des espèces pouvant être détenues en captivité, notamment par les particuliers, aurait été souhaitable. C’est une occasion manquée.
Nikita Bachelard
Article publié dans le numéro 101 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences