Les insectes jouent un rôle indispensable dans le maintien de la vie sur Terre. Pourtant la modification de leur habitat, conséquence directe des activités humaines, par l’agriculture intensive, la pollution et le réchauffement global de notre planète, est responsable d’un déclin précipité des insectes. La situation est dramatique. Cependant, certaines actions bénéfiques aux insectes commencent à apparaître.
Premiers pas vers l’extinction
Les insectes disparaissent. Une équipe internationale de chercheurs a sélectionné et examiné 73 articles faisant état du déclin de ces petites bêtes à six pattes, qui représentent les deux tiers des espèces terrestres de notre planète. Leur étude a montré que 41 % des espèces d’insectes sont en fort déclin, que 31 % sont menacées d’extinction, et que 10 % des espèces un jour observées sont aujourd’hui éteintes – c’est-à-dire non observées depuis plus de 50 ans. Ainsi, nous perdons 1 % des espèces d’insectes chaque année, tandis que leur biomasse totale décroit de 2,5 %. Pour l’un des auteurs, Francisco Sánchez-Bayo, de l’université de Sydney : « À ce rythme-là, d’ici un siècle, il ne restera plus d’insectes sur la planète, ou alors quelques espèces nuisibles qui se seront développées au détriment des autres » (1). Pour comparaison, le déclin touche deux fois plus d’espèces d’insectes que de vertébrés (mammifères, oiseaux, poissons…) et leur disparition est huit fois plus rapide.
Des conséquences graves
Or, les insectes jouent un rôle indispensable dans le maintien de la vie sur Terre. En dégradant les matières organiques, ils fertilisent le sol et nourrissent les végétaux. Les bousiers en sont un exemple emblématique. Imaginons les pâturages de vaches sans eux : ce serait des champs de bouses à perte de vue… En transportant le pollen des plantes à fleurs, les insectes permettent leur reproduction. L’humain est d’ailleurs très dépendant de cette action pollinisatrice, et l’on voit déjà certaines cultures de fruits et légumes dans le monde souffrir à cause du déclin des abeilles. Ces hyménoptères représentent le tiers des pollinisateurs. Les insectes sont aussi très utiles lorsqu’il s’agit d’éliminer d’autres insectes ravageurs de cultures, ou considérés comme des nuisances. Les syrphes, les coccinelles, se nourrissent de pucerons, les libellules de moustiques. De plus, beaucoup d’insectes sont à la base du régime alimentaire d’autres animaux : hérissons, lézards, amphibiens, chauves-souris, poissons, musaraignes… Si la biomasse des insectes continue à diminuer aussi drastiquement, celle de leurs prédateurs suivra fatalement. Par effet boule de neige, à terme, c’est la Vie elle-même qui est en danger.
Les insectes atteints en premier lieu sont les « spécialistes », c’est-à-dire ceux qui se nourrissent d’un nombre limité de plantes ou de proies, qui ne peuvent survivre que dans des habitats très particuliers (température, nutriments…), et/ou qui sont les plus sédentaires (ils ont une moindre capacité de dispersion). En toute logique, ils sont plus sensibles aux modifications du climat et de l’environnement.
Un habitat chamboulé
Près de la moitié des 73 études citées désigne la modification de l’habitat comme facteur principal du déclin des insectes. C’est une conséquence directe des activités humaines. Les forêts sont abattues, les terres sont aménagées pour construire des habitations humaines, des routes, des industries ; 12 % de la surface terrestre est occupée par l’agriculture (FAO, 2015). Cette activité a un impact majeur sur les populations d’insectes. En particulier, c’est le passage d’une agriculture « traditionnelle » à une agriculture intensive qui est liée aux plus grands déclins d’insectes. Les monocultures et leur uniformité génétique, l’utilisation de fertilisants et de pesticides, la modification des systèmes de drainage et l’élimination des arbres et des haies ont bouleversé les populations d’insectes, qui ont perdu pour beaucoup leur habitat et la source de nourriture sur laquelle ils s’étaient spécialisés. Un quart des études examinées a cité spécifiquement ces pratiques agricoles comme responsables du déclin des insectes.
Un milieu empoisonné
En lien avec ces activités agricoles, la pollution est le deuxième facteur du déclin le plus cité. Les produits phytosanitaires sont en cause ; ce sont eux qui entament le plus la biodiversité. En particulier, les insecticides à base de néonicotinoïdes ou de fipronil ont un effet dévastateur sur les insectes, y compris les insectes aquatiques, ou d’autres insectes non visés mais touchés néanmoins. Les traitements anthelminthiques et insecticides des animaux en élevages peuvent également impacter les bousiers, dont les larves ne se développent plus. Les fertilisants synthétiques sont aussi dévastateurs. Ils sont cités comme responsables du déclin des abeilles en Angleterre au début du XXe siècle. Les engrais azotés en particulier ont surchargé les sols en azote pour accroitre le rendement des cultures. Les effets sont destructeurs : l’ammoniac acidifie les sols, le nitrate pollue les eaux souterraines et de surface (et entraîne leur eutrophisation, étouffant ainsi la biodiversité), et l’azote nitreux, gaz à fort effet de serre, détruit l’ozone atmosphérique.
Des facteurs biologiques en cause
Les pesticides ont un effet secondaire tragique même lorsqu’ils ne tuent pas immédiatement l’insecte : par exemple, en affaiblissant le système immunitaire des abeilles qui récoltent le pollen de fleurs contaminées, ils augmentent le risque pour ces insectes d’être contaminés par des parasites et des pathogènes, ce qui explique en partie leur déclin – et pose évidemment un problème majeur aux apiculteurs. En France, un tiers des colonies d’abeilles sont mortes pendant l’hiver 2017-2018 (2).
Par ailleurs, la compétition avec des espèces invasives est une menace pour les espèces autochtones. Par exemple, la coccinelle asiatique, introduite en Europe pour sa voracité pour les pucerons, s’est adaptée à nos hivers au fil des générations et de la sélection naturelle. Elle laisse aujourd’hui peu de place aux espèces endémiques. Des effets de cascade sont observés au niveau des écosystèmes avec l’introduction d’espèces invasives. Une étude a montré que dans plus de la moitié des cas, l’introduction d’espèces végétales invasives a eu pour conséquence une baisse de la biodiversité globale dans l’écosystème et de la capacité de survie des espèces natives, notamment les insectes.
Des modifications climatiques aux effets variés
La moitié des populations d’insectes déclineraient dans le monde à cause du réchauffement global de notre planète. Cette tendance met en danger un grand nombre d’insectes vivant dans des climats tropicaux par exemple. Dans nos régions tempérées, le réchauffement peut permettre à certaines espèces d’occuper des espaces plus étendus, et plus au Nord (comme certains papillons ou d’autres insectes plus tolérants à une température plus élevée). Cela pose déjà problème en France, où se sont installés des moustiques originaires des régions plus au Sud et porteurs de maladies.
Que faire maintenant ?
Les journalistes du Monde résument très bien la situation dramatique dont nous sommes témoins (et principaux acteurs) dans leur éditorial du 13 mars : « Le cercle vicieux est redoutable : plus l’agriculture moderne utilise de pesticides pour améliorer ses rendements et nourrir l’humanité, plus elle fait disparaître les puissants mécanismes naturels de pollinisation par les insectes – et favorise, en outre, le développement d’insectes ravageurs, résistants aux insecticides et qui s’attaquent aux cultures. »
Sophie Hild
1. Thiberge C. « Insectes, l’hécatombe invisible ». Le Monde du 14 février 2019. Pour une revue thématique, lire le hors-série « SOS Animaux », Le Monde, avril 2019.
2. Kokabi A.-R. Les abeilles, premières victimes des pesticides. Le Monde du 8 juin 2018.
Article publié dans le numéro 101 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences