L’abattage sans étourdissement est incompatible avec le label AB

Le 26 février dernier, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu une décision claire et univoque en faveur de l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoir (OABA) et de la protection animale : l’abattage sans étourdissement n’est pas compatible avec le label agriculture biologique.

Maître Alain Monod, vice-président de l’OABA et Frédéric Freund, directeur de l’OABA

Un arrêt décisif dans une procédure entamée il y a maintenant 7 ans. En effet, ayant eu connaissance de la commercialisation de steak portant la double mention de « AB » et « halal », l’OABA a adressé une première demande au ministère de l’Agriculture le 24 septembre 2012 afin, notamment, que soit interdit l’usage de la mention « AB » lorsqu’il s’agit de viande bovine issue d’animaux abattus sans étourdissement préalable. Des demandes similaires ont été adressées à l’INAO, l’Institut en charge des signes de qualité, et à l’organisme certificateur, Ecocert. Compte tenu du rejet implicite des demandes, elle a dû former un recours devant le Conseil d’État lequel a renvoyé l’affaire devant le Tribunal administratif de Montreuil. Déboutée en première instance, l’OABA avait relevé appel devant la Cour administrative d’appel de Versailles, laquelle, considérant le sérieux de la question, a préféré poser une question préjudicielle à la CJUE.

Tout au long de cette procédure, l’OABA n’a cessé de soutenir la même évidence. La viande issue d’un abattage sans étourdissement ne pouvait pas se prévaloir du label « AB ». En effet, la réglementation relative à la production biologique exige l’application de « normes élevées en matière de bien-être animal ». Ce qui ne peut être le cas lors d’un abattage sans étourdissement. Une exigence d’autant plus nécessaire qu’il en va des garanties que les consommateurs peuvent attendre du label « AB » en termes de bien-être animal. Un raisonnement qui a été soutenu par la Norvège, la Grèce et la Commission européenne, la France étant le seul pays à estimer qu’égorger un bovin en pleine conscience était une valeur élevée en matière de bien-être animal…

Afin de répondre à cette interrogation aux multiples enjeux, la CJUE s’est strictement tenue à la question posée, argumentant de manière détaillée et mettant à profit une littérature scientifique quasi-unanime.

La Cour note deux éléments fondamentaux, l’importance des normes élevées en matière de bien-être animal et l’obligation de réduire au minimum la souffrance animale y compris lors de l’abattage. S’appuyant sur des études scientifiques, la Cour observe que « l’étourdissement constitue la technique qui porte le moins atteinte au bien-être animal lors de l’abattage ». Un peu plus loin, elle précise que la mise à mort sans étourdissement préalable n’est pas de nature à atténuer toute douleur, détresse ou souffrance de l’animal aussi efficacement qu’un abattage précédé d’un étourdissement. Elle prend même le temps de noter, au point 49, qu’une « incision précise de la gorge à l’aide d’un couteau tranchant, pour limiter « autant que possible » les souffrances, […] ne permet pas de réduire au minimum les souffrances de l’animal comme demandé » par la réglementation relative à la production biologique. Enfin, elle relève l’importance de la préservation de la confiance des consommateurs dans les produits étiquetés en tant que produits biologiques, notamment en matière de bien-être animal.

Ces éléments amènent la Cour à conclure que l’apposition du logo biologique ne peut être autorisée sur des produits issus d’animaux ayant fait l’objet d’un abattage sans étourdissement. Une décision qui vaut pour l’ensemble de l’Union européenne.

Une victoire, comme le précise le Docteur Jean-Pierre Kieffer, président de l’OABA, « cet arrêt vient rappeler que le bien-être animal n’est pas seulement un élément marketing ou de langage ministériel mais une notion juridique protégée par le droit européen » bien qu’il « soit regrettable qu’il faille saisir les plus hautes autorités juridictionnelles pour que le ministère de l’Agriculture fasse appliquer le droit » ! Comble de l’ironie, la même institution chargée d’appliquer une Stratégie de bien-être animal est aussi celle qui qui a tenté de faire valoir en justice que l’abattage sans étourdissement était une norme élevée de bien-être animal… Ce camouflet assené par la justice européenne a au moins un mérite, celui de mettre en lumière un double discours entre d’un côté, une communication très forte sur le bien-être animal et de l’autre, l’absence d’actions voire une opposition active contre des mesures allant dans ce sens. Par ailleurs, il rappelle à l’INAO et à Ecocert une évidence qu’un peu de réflexion critique aurait pu leur permettre de découvrir mais que peut-être le voile de l’argent avait malencontreusement recouvert…

Comme le souligne le directeur de l’OABA, Frédéric Freund, « nous avions l’évidence scientifique avec les études attestant de la souffrance des animaux non étourdis, nous avons désormais l’évidence juridique : l’abattage sans insensibilisation ne constitue pas une norme élevée de bien-être animal ».

Il ne reste maintenant qu’à la Cour administrative d’appel de Versailles de tirer l’unique conséquence de cet arrêt et de donner raison à l’OABA, ce qu’elle ne manquera pas de faire compte tenu de la place éminente de la CJUE dans l’ordre juridique national et européen !

Dimitri Nguyen

Assistant de direction de l’OABA

Article publié dans le numéro 101 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences 

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