En avril, le ministre de la Transition écologique et solidaire François de Rugy a annoncé la création d’une concertation sur la faune sauvage captive*, qui comprend quatre groupes de travail sur : les cirques avec animaux sauvages, les delphinariums, les élevages de visons pour la fourrure, les parcs zoologiques.
Parmi ces quatre groupes, la particularité du groupe de travail sur les cirques avec animaux sauvages est que son fonctionnement est assuré par la commission nationale des professions foraines et circassiennes (CNPFC), présidée par le préfet Gérard Lemaire. Elle a été créée en 2016 et reconduite en 2017. Cette commission est composée de 12 représentants des professionnels du cirque, 8 représentants de l’Association des maires de France (AMF) et 8 représentants de l’État. Plusieurs ONG, dont la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA), avait demandé par courrier au ministère à faire partie du groupe de travail sur le bien-être des animaux sauvages organisé par cette commission. Nous y avons donc été invités.
L’objet de ce groupe de travail est, d’après un courrier du ministre envoyé au président de la commission, d’« examiner les évolutions et mesures envisageables qui tiennent compte à la fois du nécessaire bien-être des animaux et de la situation sociale et économique des entreprises de cirque ». Il s’est réuni quatre fois entre mars et juin pour discuter des différents aspects du sujet. Un rapport sera transmis au ministre en juillet, pour que celui-ci annonce des mesures en septembre.
Première réunion : découverte du fonctionnement
La première réunion a eu lieu le 28 mars. Des représentants des vétérinaires étaient présents, en plus des ONG et des trois collèges qui composent la commission. Les ONG ont été frappées dès cette première réunion par le manque de diversité des points de vue et le parti-pris des trois collèges de la commission en faveur des cirques avec animaux sauvages. Aucun représentant de l’AMF ne s’est exprimé contre les cirques avec animaux sauvages, alors même que plus de 350 communes se sont prononcées en ce sens, et certains représentants ont même tenu des propos déplacés à l’égard des ONG, qui harcèleraient les élus. Quant aux deux vétérinaires présentes, dont l’une représente le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, et l’autre est la vétérinaire attitrée des cirques, elles n’ont pas remis en cause l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques, la première estimant la réglementation actuelle suffisante pour le bien-être des animaux. En réaction, une soixantaine de vétérinaires défavorables à la présence d’animaux sauvages dans les cirques a publié une tribune en ligne pour demander une meilleure représentation des points de vue présentés par l’Ordre des vétérinaires au sein de ce groupe de travail.
Fort contrariées par le déroulement de cette réunion, plusieurs ONG, dont la LFDA, ont écrit un courrier à M. Lemaire pour lui demander une meilleure représentation des points de vue au sein de la commission, afin que le ministre puisse prendre une décision éclairée. Nous avons demandé que soient présents :
- des représentants des vétérinaires opposés aux animaux sauvages dans les cirques,
- des élus ayant adopté des vœux pour l’interdiction des animaux dans les cirques,
- des représentants de cirques sans animaux.
Deuxième réunion
La réponse à cette lettre nous a été faite pendant la deuxième réunion qui s’est tenu le 25 avril. Le président du Conseil de l’Ordre des vétérinaires nous a assuré qu’il était garant de la « multipartialité des points de vue » au sein de la profession. De plus, il nous a été précisé que des villes opposées aux animaux sauvages dans les cirques avaient été invitées mais n’avaient pas souhaité venir. En ce qui concerne les cirques sans animaux, certains avaient également été invités à participer à ces réunions mais ne le souhaitaient pas car ils ne se sentaient pas légitimes pour parler du sujet.
Lors de cette deuxième réunion, des présentations sur la réglementation applicable aux cirques avec animaux sauvages ont été faites par les ministères de l’Environnement et de l’Agriculture. Ensuite, le président du Conseil de l’Ordre des vétérinaires a présenté l’évolution de la définition du bien-être animal au cours des décennies. Nous n’avons pas manqué de rappeler que les définitions applicables aux animaux sauvages captifs existent bel et bien, et qu’il n’y a pas besoin d’en inventer une : la définition du bien-être animal de l’Anses parue en 2018 s’applique aux « animaux qui sont sous la dépendance des humains ». Cette définition met bien l’accent sur les besoins comportementaux des animaux, qui ne peuvent être satisfaits dans les cirques (par exemple, chasser, fuir, explorer un territoire). Enfin, le secrétaire général de la Fédération des cirques de tradition a présenté ce qu’il estime être la situation socio-économique des cirques. Le problème est qu’il n’existe pas de données officielles et donc fiables à ce sujet.
Les ONG n’ont pas été invitées à faire de présentations de leurs constats et demandes. Elles ont donc subi un déficit de temps de parole par rapport aux professionnels du cirque. Certains de nos propos ont été déformés et des arguments scientifiques ont été qualifiés de position « philosophique ».
Troisième réunion : le boycott par les ONG
Lorsque nous avons reçu l’ordre du jour de la troisième réunion, et constaté que l’on ne nous proposait pas de faire de présentations, ni même d’aborder le scénario de l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques, nous avons décidé d’envoyer un second courrier, cette fois-ci directement au ministre de la Transition écologique et solidaire, en en faisant parvenir une copie au président de la CNPFC. Il nous semblait inenvisageable d’aborder uniquement la question de l’agrandissement des cages pour les animaux ! Neuf des douze ONG participantes ont signé cette lettre qui demandait au ministre une amélioration du fonctionnement de ce groupe de travail, avec une meilleure représentation des points de vue et la possibilité pour nos ONG de présenter des sujets non abordés mais qui nous paraissent importants, comme les atteintes au bien-être des animaux, le dysfonctionnement des contrôles, les problèmes de sécurité, les activités dérivées des cirques (locations d’animaux sauvages par des établissement de divertissement), les activités assimilées (montreurs d’ours et de loups, aquariums itinérants), etc. Le ministère nous a répondu la veille de la troisième réunion, dans un courrier vague et ne prévoyant pas d’accéder à nos demandes. Huit ONG signataires ont donc décidé de ne pas se rendre à cette réunion.
À la suite de ces événements, le président de la CNPFC a invité nos ONG à une réunion avec son équipe et l’équipe du ministère uniquement. Cette réunion nous a permis de revenir sur les problèmes de fonctionnement du groupe de travail et de discuter des sujets que nous souhaitions mettre à l’ordre du jour. Sur proposition du préfet et accord du ministère, nous avons accepté de définir ensemble une dizaine de thèmes à aborder lors de la dernière réunion le 27 juin. L’idée est que pour chaque thème, une synthèse des positions des ONG et des professionnels du cirque soit présentée par un représentant de chacun des deux collèges. Nos propos seront vraisemblablement contradictoires, mais notre position sur l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques pourra être évoquée.
Conclusion
Le fonctionnement de ce groupe de travail aura donné du fil à retordre aux ONG, mais nous avons finalement pu nous faire entendre. Si le ministère savait qu’un consensus voire même un compromis sur le sujet n’était pas possible entre les organisations de défense des animaux et les professionnels du cirque, nous savions de notre côté que l’objectif principal de ces quatre réunions étaient de confronter les points de vue des deux parties pour que le ministre obtienne la légitimité du dialogue républicain avant de se positionner sur le sujet. Nous avons pu faire valoir nos contributions écrites au ministère pour qu’il ait une idée précise de notre position, argumentée avec des preuves et des propositions de solutions pour mettre un terme à la présence d’animaux sauvages dans les établissements de spectacles itinérants. Nous attendons des mesures courageuses en ce sens de la part du ministre François de Rugy en septembre prochain.
Nikita Bachelard
*Nous reviendrons sur cette concertation, notamment sur les 3 autres groupes de travail et sur les mesures annoncées par le ministre dans le prochain numéro de cette revue (n° 103, octobre 2019).
Article publié dans le numéro 102 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences