Claude Baudoin, 2019, CNRS Eds, 224 pages (10 €)
À quoi pensent les animaux ? Une question dont la simplicité apparente exige pourtant une réponse nuancée, et même provisoire pour certains de ces aspects, à la hauteur de l’objet considéré : le règne animal dans toute sa diversité. Une réponse qui inclut donc autant les vertébrés, dont les capacités et prouesses comportementales nous semblent plus familières, et les invertébrés, aux premiers rangs desquels, mais pas exclusivement, les céphalopodes.
Cette difficulté n’empêche pourtant pas son auteur, Claude Baudouin, professeur d’éthologie, de nous livrer ces réflexions dans une courte introduction aussi synthétique qu’accessible. De cette manière, il nous invite à explorer la diversité du vivant dans son unité fondamentale, dont nous sommes parties prenante. Tout être vivant – humain inclus – se doit de s’adapter aux situations qui se présentent « grâce à sa perception du monde environnant, à [ses] représentations mentales et à [ses] émotions et sentiments » ; à ce titre, les « comportements sont le reflet de cette adaptation ou, au contraire, de [ses] difficultés ».
Pour ce faire, l’auteur nous présente de manière extrêmement pédagogique des notions bien plus complexes que nous pouvons l’imaginer comme les émotions, la sensibilité ou le comportement. C’est un récit foisonnant d’illustrations qui s’offre à notre entendement, une qualité d’autant plus appréciable que cet ouvrage est destiné à un public de non-spécialistes. Si certaines de ces illustrations sont plutôt connues du grand public (la danse des abeilles ou la reconnaissance d’une cinquantaine de congénères pour les moutons par exemple), d’autres peuvent constituer une véritable découverte. Il en est ainsi des formidables capacités d’apprentissage des larves de seiche en matière de préférences de nourriture, ou de l’usage de repères olfactifs pour s’orienter par certaines espèces d’oiseaux comme les Puffins des Açores. Nous passons ainsi des capacités de dénombrement ou d’orientation dans l’espace à celle de la conscience de soi et des représentations sociales.
Cette présentation n’est d’ailleurs pas sans nous laisser songeur quant au développement de capacités ou de comportements identiques chez des espèces très différentes. Il en est ainsi du jet de projectiles chez les singes mais également chez certaines espèces de fourmis, avec la réserve cependant que les mécanismes cognitifs et nerveux ne sont pas forcément les mêmes. Elle nous force à nous interroger, une fois de plus, sur la différence entre l’Homme et les autres animaux, une différence de degrés et non de nature. Cette interrogation est d’autant plus pertinente si l’on garde en mémoire que certaines espèces pourraient éprouver des émotions sociales comme l’orgueil ou la honte et que, d’un autre côté, des réactions automatiques subsistent chez l’Homme, les signaux de danger sont ainsi traités par « une structure […] induisant de la peur ou de la colère tout comme cela existe chez le singe ».
Cet ouvrage nous permet une meilleure connaissance de l’éthologie et de ses approches, notamment naturaliste, mais surtout une contemplation de l’incroyable adaptabilité du vivant face aux facteurs environnementaux, sociaux ou tout simplement internes. Des comportements qui, loin d’échapper à la monotonie, évoluent et changent ; les émotions ont ainsi été développées et sélectionnées parce qu’elles constituent un avantage adaptatif pour la survie d’une espèce. Par exemple, et bien que des incertitudes subsistent (certains spécialistes seraient en désaccord avec cette idée), l’auteur note que l’empathie, une notion qui fait appel à la capacité pour un animal de se représenter ce que ressent un congénère, serait présent non seulement chez les primates mais également chez d’autres mammifères et les oiseaux, et qu’il serait à la base des « systèmes sociaux chez les vertébrés ».
Dans une dernière partie, l’auteur nous présente les enseignements que l’on peut tirer de cette discipline nobélisée dès 1973 (Karl von Frisch, Konrad Lorenz et Nikolaas Tinbergen). Et si la capacité à s’adapter de la part du vivant est édifiante, il est certain qu’elle n’est pas suffisante pour ce qui concerne les animaux utilisés par l’Homme. Dans ce dernier cas, il revient à ce dernier de s’adapter aux besoins des animaux et non l’inverse, une constatation déjà affirmée dans le 7e avis du CIRAD qui concernait le bien-être des animaux d’élevage. Cet ouvrage nous rappelle l’importance non seulement de garder ce constat à l’esprit mais également qu’il soit mis en pratique.
Dimitri Nguyen
http://www.cnrseditions.fr/sciences/7825-a-quoi-pensent-les-animaux-.html
Article publié dans le numéro 102 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences