Le ministre de la Transition écologique et solidaire François de Rugy a organisé le 24 avril dernier une réunion sur la faune sauvage captive. Cette réunion avait pour but d’introduire une concertation de deux mois qui portera sur quatre thèmes : les animaux sauvages dans les cirques, les delphinariums, les parcs zoologiques et l’élevage de visons pour la production de fourrure. Cette concertation avec les organisations de défense des animaux et les professionnels concernés a pour but d’éclairer le ministre sur les actions envisageables dans chacun de ces domaines. À l’issue de ce processus, le ministre proposera 20 mesures qu’il annoncera en septembre prochain. Louis Schweitzer, président de la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences, a été invité lors de cette réunion à faire un discours en tant que Grand Témoin et président du comité d’éthique de Conseil national de l’Ordre des vétérinaires.
Monsieur le Ministre d’État,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie M. le Ministre d’État d’organiser cette concertation sur le bien-être de la faune sauvage captive. Je mesure l’importance de cette concertation et de ces enjeux et je sais la difficulté pour ne pas dire l’impossibilité d’arriver à des solutions qui recueillent un accord unanime. Je m’y exprimerai à titre personnel et non au titre du président du comité d’éthique de l’Ordre des vétérinaires qui n’a pas eu l’occasion d’examiner ces sujets, les deux sujets qu’il a choisi de traiter en premier lieu étant l’euthanasie des animaux et les objets connectés.
La captivité des animaux sauvages est réglementée au niveau européen depuis 1999, et cette réglementation a été transposée en France en 2004. Mais les progrès qui font l’objet de cette concertation sont d’autant plus nécessaires que c’est un thème qui fait aujourd’hui l’objet d’une évolution rapide de l’opinion, évolution qui a conduit un certain nombre de pays européens à prendre des mesures réglementaires allant bien au-delà des règles européennes.
Je rappelle que le bien-être ne se limite pas à la bientraitance où à l’absence de souffrance liée à la faim, à la soif, aux blessures, à la maladie ou à la peur : le bien-être c’est aussi, pour un animal, la capacité d’exprimer pleinement les comportements naturels physiologiques et sociaux propres à son espèce. On voit bien dès lors qu’il y a une antinomie de principe entre la captivité et le bien-être d’un animal sauvage. Mais on ne peut ni ne doit se borner à rappeler ce fait, et on ne peut assimiler toutes les formes de captivité des animaux.
Parlons en premier lieu de l’élevage de visons pour la fourrure. 84 % des Français, selon un sondage de 2018, estiment que la France devrait l’interdire. Neuf pays européens ont déjà suivi cette voie ou fixé une date pour cette interdiction. Les animaux n’ont plus de sauvage que le nom et vivent dans des conditions qui sont celles des animaux d’élevage. Ma conviction est qu’à terme, la France devra suivre cette voie et d’ici-là, mettre en place des normes de bientraitance applicables à l’élevage des visons.
Le cirque pose des problèmes plus complexes. D’une part, la vie des animaux de cirque, du fait du dressage, des conditions de transport et d’enfermement, est à l’évidence contraire au bien-être. Cela explique que 67 % des Français soient favorables à l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques, opinion partagée par 80 % des 1356 vétérinaires ayant répondu à une enquête sur ce sujet. Cela explique aussi que 18 États membres de l’Union européenne aient interdit l’utilisation d’animaux sauvages dans les cirques et que d’autres soient en voie de le faire. En France, nombre de villes ont pris position contre les cirques avec animaux sauvages.
Mais d’autre part, les cirques présentent des spectacles souvent de grande qualité, leur itinérance sur le territoire national est un élément de la vie locale, les professionnels du cirque sont des personnes expérimentées et souvent talentueuses. La conclusion logique est de décider d’une interdiction au terme d’un délai suffisant pour permettre aux cirques de se reconvertir, ainsi que des cirques qui ne présentent pas de numéro de dressage paraissent l’avoir fait avec succès. Cela implique peut-être un soutien financier. Une étude des conditions d’évolution de la profession circassienne chez nos voisins éclairerait certainement les mesures à prendre.
Parlons des delphinariums. 70 % des Français sont opposés à la captivés des cétacés dans des parcs aquatiques à des fins de divertissement, comme 78 % des vétérinaires interrogés dans le cadre de l’enquête déjà citée. Cinq pays européens ont interdit les delphinariums en fait ou en droit après avoir noté que l’espace offert ne correspondait pas aux besoins des cétacés et que l’espérance de vie de ceux-ci en captivité était beaucoup plus faible que dans leur espace naturel. La France a déjà pris une mesure de limitation et d’encadrement des delphinariums, mesure annulée pour un vice de la consultation nécessaire par le Conseil d’État, et qu’il convient donc de reprendre, le cas échéant, en l’adaptant. En particulier, la reproduction en captivité des cétacés pourrait être interdite.
Enfin, le cas des zoos est le plus difficile. Il s’agit d’établissements nombreux (environ 300), divers par leur taille, l’espace accordé aux animaux et leurs conditions de vie. Nombre d’entre eux bénéficient d’un public familial. Il est difficile de prescrire une mesure générale au-delà de celle interdisant la capture d’animaux sauvages afin de les placer dans des zoos. Plusieurs questions et pistes d’actions doivent être examinées :
- Les zoos servent-ils à la préservation d’espèces sauvages, qui sans cela seraient menacées d’extinction ? Cette question est débattue.
- Les zoos permettent-ils une étude scientifique des animaux : la grande majorité des scientifiques considèrent aujourd’hui que la seule étude scientifique légitime des animaux sauvages est leur étude et leur observation dans leur milieu naturel.
- Quelle est la nature et la portée pédagogique des zoos ?
- Certains zoos offrent des conditions de vie indignes aux animaux qui y sont enfermés : leur fermeture – je pense notamment au Jardins des Plantes à Paris – devrait être envisagée.
- Est-il légitime que l’État subventionne ou accorde des avantages fiscaux aux zoos ?
- Faut-il interdire toute nouvelle ouverture de zoo ?
Après cet examen trop sommaire des quatre thèmes de la concertation, je souhaite ajouter deux réflexions transversales :
- Un renforcement de la surveillance vétérinaire de tous les établissements détenant des animaux sauvages en captivité, accompagné de normes plus strictes sur les conditions de vie de ces animaux devrait être assuré.
- Il faut poursuivre les travaux sur la réinsertion des animaux élevés en captivité dans leur milieu naturel : quelques succès remarquables, cinq à ma connaissance ont été enregistrés, par exemple pour les vautours, des travaux ont été engagés sur les cétacés. De façon globale, la question du sort des animaux actuellement captifs, soit en cas de fermeture, soit en cas de surnombre, soit en cas d’inaptitudes à présentés les spectacles attendus, doit être traitée.
Une dernière réflexion : nous n’abordons pas ici le problème de ce qu’on appelle les « nouveaux animaux de compagnie » : le plus souvent, des animaux sauvages détenus dans des conditions de captivité souvent détestables. Je crois que l’étape franchie avec l’arrêté de 2018 n’est qu’une étape. Sans doute une autre concertation devra, le moment venu, permettre d’avancer sur ce sujet qui ne met pas en jeu, comme ceux que nous traitons aujourd’hui, des intérêts professionnels et d’économie importants et légitimes.
Merci encore M. le Ministre d’État d’avoir ouvert cette concertation orientée vers l’action.
Louis Schweitzer
Article publié dans le numéro 102 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences