Il y a un peu plus d’un an, l’Académie Vétérinaire de France (AVF), a adopté un avis sur la nécessité de renforcer la prévention et la lutte contre les « hypertypes » canins. De quoi s’agit-il exactement ?
Définitions
La notion d’hypertype est une notion relativement récente en élevage ; on peut caractériser l’hypertype comme l’accentuation à l’extrême de traits distinctifs propres à certaines races domestiques.
Selon Chaudieu, la production d’individus « hypertypés » doit être considérée comme une erreur de sélection.
Pour le Dr vet. Gilles Chaudieu qui s’est intéressé à l’espèce canine, on entend par « hypertype » toute déviance sélective à partir d’un type racial idéal, concernant soit la conformation du chien dans son ensemble, soit un élément de celle-ci, se traduisant par une expressivité extrême, voire excessive, de particularités inscrites au standard de la race considérée qui peuvent parfois résulter d’une interprétation tendancieuse de ce dernier.
On pense sans doute en premier lieu aux races brachycéphales qui, en dehors de poser des problèmes obstétricaux (le volume de la tête conduit à une disproportion fœto-pelvienne), se caractérisent par des atteintes fréquentes des voies respiratoires supérieures (sténose des narines, anomalies du voile du palais). C’est le cas du Bulldog anglais, du Pékinois, du Carlin… On pourrait rapprocher de ces exemples le cas du Cavalier King Charles.
Des exemples dans l’espèce canine
Les excès sélectifs du Teckel, du Basset Hound et autres bassets sont à l’origine de problèmes locomoteurs. Les grandes races à l’inverse, telles le Terre-Neuve, ne sont pas à l’abri d’autres problèmes ostéo-articulaires. Le Chow-chow et le Shar Pei connaissent leurs listes d’affections (dermatologiques, oculaires…) qui ne sont que le pur résultat d’excès sélectifs qui sont en fin de compte autant de caprices de l’homme.
Les exemples de races canines touchées par ces excès ou dérives de la sélection sont en réalité très nombreux. Les races qui semblent les plus touchées sont celles pour lesquelles des critères esthétiques ont été majoritairement pris en compte dans la sélection.
L’avis académique
Il ne porte que sur l’espèce canine, là où sans doute le concept « d’hypertype » a émergé. Cet avis met l’accent sur le fait que les « hypertypes », définis comme l’exagération de certaines caractéristiques physiques, sont recherchés par le public et accentués par un effet de mode. Il fait état des alertes antérieurement lancées par des organismes vétérinaires internationaux. Il rappelle les principales catégories d’affections pathologiques graves ainsi favorisées : affections respiratoires, locomotrices, cutanées, oculaires. Ces affections sont sources de douleurs. L’AVF assimile ces troubles à des maltraitances programmées. Elle émet des recommandations en direction des responsables administratifs (pour ne pas dire des recommandations au pouvoir politique), des éleveurs et du monde de la cynophilie mais aussi et en premier lieu en direction des vétérinaires qui doivent notamment informer et sensibiliser, non seulement le public mais aussi et surtout les éleveurs. Elle recommande notamment une contribution des vétérinaires à la rédaction des standards de races.
Une prise de conscience déjà plus ancienne dans le monde vétérinaire international
En France, l’AVF se manifeste bien après que des associations vétérinaires internationales (World Small Animal Veterinary Association, WSAVA et Federation of European Companion Animal Veterinary Association, FECAVA) se soient emparées du sujet, la première depuis près de quarante ans. Il s’agissait de sensibiliser l’ensemble des vétérinaires praticiens intervenant sur les animaux de compagnie.
Et au-delà du seul monde vétérinaire, la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie, préoccupée de l’émergence des « hypertypes », avait déjà pris une résolution en mars 1995, résolution argumentée et très développée.
Le Kennel Club au Royaume Uni, la Société centrale canine en France, ont tiré depuis plusieurs années la sonnette d’alarme.
On peut penser qu’en France la prise de conscience a été plus tardive que dans les pays du Nord de l’Europe. On peut dire aussi qu’il n’est pas illogique que les premières réactions se soient manifestées dans les pays anglophones, lesquels sont historiquement à l’origine de tous ces excès.
L’avis de l’AVF a en tout cas le grand mérite d’exister maintenant et ses recommandations, multiples, concernent différents publics. La question est de savoir si cet avis va assez loin en ce qui concerne l’espèce canine et si l’Académie ne serait pas bien inspirée de considérer maintenant l’ensemble des espèces domestiques.
Élargir la vision
Les chats ne sont pas en reste en effet. Les excès sélectifs sont connus chez le Persan mais l’Exotic Shortair, le Burmese sont également concernés, de même sans doute que le Maine Coon…
Toujours chez les animaux de compagnie, on signale des excès concernant le lapin hollandais, le lapin tête de lion…
Le Cheval arabe est concerné depuis longtemps par le phénomène d’hypertype. Mais c’est surtout du côté du Quarter Horse ou du Paint Horse qu’il conviendrait sans doute de diriger aujourd’hui le projecteur : la recherche d’une musculature sculptée peut conduire à des affections musculaires ou musculo-squelettiques.
Il s’agit de ne pas en rester là et de s’intéresser également aux espèces dites de production. L’exemple du porc Piétrain a souvent été cité en raison de son caractère dit culard.
Mais c’est dans la race bovine Blanc Bleu Belge que l’excès est sans doute aujourd’hui le plus manifeste et le plus connu : la sélection sur le gène culard a rendu la race, en raison d’une disproportion fœto-pelvienne rendant le part (mise-bas) systématiquement dystocique, totalement dépendante pour sa survie d’une intervention chirurgicale, la césarienne. L’irrespect de l’animal a même été aggravé par le fait que l’éleveur s’est longtemps octroyé la possibilité de réaliser lui-même cette opération de chirurgie abdominale, au mépris du bien-être animal et aussi de la santé publique, la réglementation sur les médicaments (anesthésiques, antibiotiques) étant systématiquement bafouée. Cette race est de surcroît sensible, en raison de sa masse musculaire, aux problèmes osseux et aussi aux problèmes cardio-respiratoires.
Dans une morphologie en quelque sorte inverse, la sélection sur une production laitière de haut niveau quantitatif de la race Prim’Holstein conduit à d’autres fragilités et sensibilités pathologiques…
Conclusion
Cette question interroge pour le moins les articles 3 et 6 de la Déclaration des droits de l’animal, promue par la LFDA.
Alors ne faudrait-il pas, pour l’AVF, aller plus loin encore, sans en rester au seul cas de l’espèce canine?
N’est-ce pas surtout une vraie question éthique pour la profession vétérinaire mondiale qui devrait, à travers ces outrances, reconsidérer son rôle dans la modération des excès de l’élevage? Un rôle qui, au lieu de se contenter le plus souvent, comme ce fut le cas jusqu’à maintenant, de se situer sur le registre des solutions curatives, ferait sans doute bien d’évoluer vers une vraie volonté et stratégie de prévention. Une question dont en France le Comité d’Éthique Animal Environnement Santé pourrait opportunément être saisi.
Michel Baussier