Un article dans Le Monde du 5 et 6 janvier 2020 expose les manœuvres politiques qui ont lieu au sein du comité d’experts sur la gestion adaptative (CEGA) des espèces. Il semblerait que le lobby de la chasse ait de beaux jours devant lui.
Le comité d’experts sur la gestion adaptative des espèces
Le CEGA est un petit nouveau : il a été créé par décret ministériel en mars 2019 et s’est réuni pour la première fois en mai. Il est composé de 15 membres, nommés « selon des critères d’excellence scientifique » d’après l’appel à candidature. Au final, aux côtés de 6 chercheurs académiques, l’on retrouve 2 experts de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et 6 experts proposés par la Fédération nationale des chasseurs (FNC). Cherchez l’erreur !
Le but de ce CEGA est de fournir « au ministre chargé de la chasse des recommandations en termes de prélèvements des espèces à partir des données, études et recherches portant sur ces espèces et leurs habitats » (article D421-51 du code de l’environnement). Car la gestion adaptative « consiste à adapter les prélèvements [NdA : entendre : la chasse] [de certaines espèces] en fonction de leur état de conservation ». Cet état de conservation est déterminé par le recensement des populations en Europe grâce aux baguages des oiseaux et aux observations de terrain notamment. Les quotas doivent être fixés en tenant compte des tableaux de chasse de l’année précédente. Le CEGA est donc chargé d’évaluer l’état de conservation de certaines espèces (listées par le ministère de l’Écologie) grâce à ces données et d’établir des quotas de chasse, et ce de manière scientifique – et l’on aurait espéré indépendante.
Selon le vice-président du CEGA, sa composition finale empêche son fonctionnement optimal. En effet, les 6 membres proposés par la FNC auraient tendance à faire bande à part et n’ont pas pris part aux trois premières réunions préparatoires du mois de mai. Le CEGA a donc validé sans eux la recommandation pour la tourterelle des bois d’un arrêt provisoire de sa chasse ou, éventuellement, de ne pas excéder 18 300 oiseaux tués. De leur côté, les chasseurs ont envoyé leur avis directement au ministère, en recommandant un quota de 30 000 à 40 000 tourterelles tuées. Et c’est ainsi que le ministère a proposé à consultation publique un arrêté autorisant la chasse de 30 000 tourterelles des bois, avant de finalement abaisser le quota à 18 000… Son de cloche similaire pour le courlis cendré : le CEGA a recommandé une suspension temporaire de sa chasse, alors que les 6 membres « pro-chasse » ont proposé un quota de prélèvement à 5 500 oiseaux. Le ministère a adopté un arrêté autorisant la chasse de 6 000 courlis cendré, lequel a été suspendu par le Conseil d’État…
Sous couvert de « gestion adaptative » et d’expertise scientifique, l’État n’en fait finalement qu’à sa tête (et à celles des chasseurs). Sur le papier pourtant, la gestion adaptative semble être un progrès pour la protection et le respect de la biodiversité et notamment de la faune sauvage. Enfin, cela dépend pour qui. En analysant des données sur les espèces, le nombre d’individus dans les populations d’espèces et les diverses pressions qui s’exercent sur ces populations, la gestion adaptative peut permettre d’évaluer chaque année l’état de conservation d’une espèce et de déterminer si elle peut être chassée et à hauteur de combien d’individu. Ainsi, concernant la vingtaine d’espèces d’oiseaux en mauvais état de conservation mais pourtant chassables en France, la LPO espère que ce système permettra de les retirer au moins temporairement de la liste des espèces chassables. Au contraire, la FNC espère avec la gestion adaptative que des espèces jusqu’alors non chassables pourront finalement être chassées. D’où la nécessité d’un comité d’experts indépendants…
L’Office français de la biodiversité
La gestion adaptative des espèces a été inscrite dans la loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 portant création de l’Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l’environnement. Dans le numéro 102 de juillet 2019 de la revue Droit Animal, Éthique & Sciences, il était question de la fusion de l’Agence française de la biodiversité (AFB) et de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) résultant en ce nouvel office. Plusieurs organisations dont la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences et la LPO se sont mobilisées contre ce projet de loi. Il prévoyait notamment un délit d’entrave à la chasse passible d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende, et 10 % des sièges du conseil d’administration de l’OFB réservés aux chasseurs et aux pêcheurs.
L’OFB a bien été créé en janvier 2020. Visiblement, la communication de la FNC de 2018 « les chasseurs, premiers écologistes de France » a bien fonctionné auprès du gouvernement. Dans la plaquette de présentation de l’office, il est indiqué que « la lutte contre la dégradation de la biodiversité est un enjeu prioritaire pour la société et le gouvernement ». C’est bien vrai pour la société, mais de gros doutes persistent concernant le gouvernement. La plaquette reconnaît pourtant qu’une des cinq causes de la disparition des animaux sauvages en France est « la surexploitation des espèces sauvages », autrement dit : la chasse. Plus loin, il est indiqué que l’OFB est censé « apporter une expertise en matière de gestion adaptative de certaines espèces ». Si on résume, les chasseurs participent à la raréfaction de la faune sauvage mais font partie des instances de préservation de la biodiversité, en proposant comme mesure de protection… la chasse.
Si le délit d’entrave à la chasse n’a finalement pas été adopté – sous promesse du gouvernement de proposer un projet de loi sur le délit d’entrave applicable non seulement à la chasse mais aussi à d’autres activités, pour le reste, les chasseurs peuvent dormir sur leurs deux oreilles. Dans le même temps, les rapports sur la perte de biodiversité poussent comme des champignons, et les scientifiques alertent sur les différentes causes, y compris la chasse. Les animaux sauvages ont du souci à se faire.
Nikita Bachelard
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