Les poissons ont-ils des chagrins d’amour ?

Une étude préliminaire publiée en 2019 dans Proceedings of the Royal Society B par des chercheurs français du laboratoire Biogéosciences de l’université de Bourgogne Franche-Comté jette un nouvel éclairage sur la vie affective des poissons. Les chercheurs ont démontré pour la première fois que séparer une femelle cichlidé zébré de son partenaire préféré entraînait un état émotionnel négatif. Cela suggère en creux l’existence d’un attachement affectif entre les partenaires chez ce poisson.

cichlidé zébré ouvrant une boîte

Les cichlidés zébrés Amatitlania siquia, originaires d’Amérique centrale,sont des poissons assez particuliers. Il s’agit d’une espèce où les individus forment des couples monogames, fidèles pour une saison de reproduction, et où les deux parents s’occupent conjointement des soins apportés au nid et aux petits. La survie de la progéniture dépend donc étroitement de la qualité de la coopération entre les deux parents.

Les chercheurs ont suivi le protocole suivant avec 35 individus. Dans un premier temps, les femelles furent soumises à un test de préférence entre deux mâles potentiels. En se basant sur le temps que la femelle passe à proximité de chacun des mâles, on en déduit lequel des deux elle préfère. Ensuite, la moitié des femelles fut laissée en compagnie de leur mâle non préféré et séparée de leur mâle préféré, et inversement pour l’autre moitié du groupe.

Les femelles passèrent ensuite un test de biais de jugement, visant à évaluer leur état émotionnel. Ce test est issu de la recherche en psychologie humaine et s’est ensuite imposé comme une méthode privilégiée pour évaluer l’état émotionnel des animaux, en particulier dans le cadre des recherches sur le bien-être en élevage. Dans cette étude, les femelles furent d’abord entraînées à ouvrir des boîtes dites positives ou négatives. Les boîtes positives avaient un couvercle blanc, étaient placées à gauche de l’aquarium, et contenaient une récompense alimentaire. À l’inverse, les boîtes négatives, avec un couvercle noir et placées à droite de l’aquarium, étaient systématiquement vides. Après une phase d’apprentissage, on présenta aux femelles des boîtes ambigües avec un couvercle gris et situées au centre de l’aquarium. Les résultats montrèrent que les femelles séparées de leur mâle préféré et restées en compagnie du mâle non préféré présentent un biais pessimiste : elles mettent plus longtemps à ouvrir la boîte grise qu’avant la séparation, comme si elles voyaient « le verre à moitié vide » et se disaient que cette boîte étrange a plus de chances d’être une boîte négative qu’une boîte positive. Or, ce biais pessimiste est absent chez les femelles restées en compagnie de leur mâle préféré. De nombreuses études en psychologie et en éthologie ont déjà démontré que les états émotionnels négatifs augmentent le pessimisme et que les émotions positives augmentaient l’optimisme. Les chercheurs considèrent donc que ce biais pessimiste est un indicateur indirect d’un état émotionnel négatif chez les femelles séparées de leur Roméo. Cette réaction émotionnelle à la séparation serait un indicateur indirect de l’attachement émotionnel entre les partenaires.

Les auteurs pensent que cette réaction émotionnelle est liée au mode de vie des cichlidés zébrés. Ils proposent que l’attachement émotionnel au partenaire sexuel ait pu évoluer chez plusieurs espèces monogames où les deux parents prennent soin des petits. L’hypothèse est que les émotions que ressentent les individus orienteraient leurs décisions pour choisir leur partenaire, choisir de rester ou de mettre fin à la relation, et choisir de s’investir plus ou moins fortement dans le soin aux petits. Les auteurs concluent en disant que « Même si les relations humaines sont particulièrement complexes et sophistiquées, il n’y a pas de raison de nier a priori l’existence d’un attachement émotionnel au partenaire chez les espèces non humaines ».

Gautier Riberolles

Une vidéo du protocole est disponible ici

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