Globalement, le nombre d’animaux utilisés à des fins scientifiques dans l’UE baisse, selon le rapport de la Commission européenne du 5 février 2020 (1). Les statistiques courent des années 2015 à 2017, la précédente enquête datant de 2011. La baisse du nombre d’animaux utilisés à des fins scientifiques dans l’UE n’est cependant pas spectaculaire et les efforts doivent être poursuivis. Il convient malgré tout de reconnaître que toute baisse, aussi faible soit-elle, et toute amélioration des conditions d’utilisation des animaux sont des bonnes nouvelles pour les millions d’individus concernés.
Ce rapport vient en complément des publications statistiques annuelles de chaque État membre et y apporte une analyse critique.
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Les animaux utilisés pour la recherche*
Le nombre total d’animaux utilisés
Le nombre d’animaux utilisés pour la première fois à des fins de recherche et d’essais dans l’UE en 2017 s’élève à 9,4 millions. Le nombre a très légèrement diminué depuis 2015 (9,6 millions) et 2016 (9,8 millions).
La comparaison avec les données de 2011 est difficile étant donné que la méthode de collecte et de déclaration des données a quelque peu changé depuis, et les données n’étaient pas uniformisées entre États membres. On peut tout de même se risquer à comparer le nombre global déclaré d’animaux (en sachant que les statistiques de 2011 ne comptabilisent pas les céphalopodes qui n’étaient alors pas protégés par la précédente directive de 1986). De plus, les données de 2011 ne comptabilisaient pas non plus les données pour la Croatie, qui n’était pas encore membre de l’Union. Cette année-là, le nombre total d’animaux utilisés s’élevait à près de 11,5 millions. Compte-tenu de tous les éléments précédemment cités et du fait que l’interdiction de tests sur les animaux pour les cosmétiques n’étaient pas encore entrée en vigueur, nous pouvons raisonnablement nous réjouir d’une baisse du nombre d’animaux utilisés, même si celle-ci reste faible.
Les espèces utilisées
En 2017, 60,8 % des animaux utilisés étaient des souris, suivis par les poissons (13 % dont 41 % sont des poissons zèbres), les rats (12,2 %), la volaille domestique (4,9 %), les lapins (3,7 %) et les cochons d’Inde (1,5 %). Les catégories d’espèces les moins utilisées étaient les céphalopodes tels que les pieuvres et les calmars (514 individus), les reptiles (2937 spécimens) et les primates (8238 individus, en grande majorité des macaques et aucun grand singe dont l’utilisation est interdite). Parmi les autres catégories d’espèces utilisées : des animaux de rente, des amphibiens…
Le nombre de primates a augmenté de 15 % entre 2015 et 2017, de même que le nombre de bovins, reptiles et ce que l’UE appelle « autres mammifères » : il s’agit apparemment de chauves-souris importées et utilisées pour étudier les maladies infectieuses (coronavirus par exemple). En outre, 90 % des animaux utilisés sont nés dans l’Union, le reste a été importé depuis des pays-tiers.
Comparaison entre États membres
Le champion de l’utilisation d’animaux pour la recherche est le Royaume-Uni, avec plus de 1,83 millions d’animaux utilisés pour la première fois, suivi de près par l’Allemagne avec 1,79 millions et la France avec 1,76 millions. La bonne nouvelle pour l’UE, c’est que le départ du Royaume-Uni va faire chuter les statistiques de près de 20 %… La mauvaise nouvelle, c’est que cela ne va rien changer pour les animaux, qui continueront à être utilisés, peut-être même en plus grand nombre si le Royaume-Uni ne conserve pas les règles en vigueur dans l’UE qui sont réputées pour être les plus strictes au monde. L’Espagne arrive loin derrière le trio de tête, avec 715 651 animaux utilisés en 2017.
L’utilisation des animaux
Le nombre total d’utilisation
En 2017, le nombre total de procédures utilisant un animal s’élevait à 9,6 millions, contre 10 millions en 2016 et 9,6 millions en 2015. Il n’est pas possible d’établir une comparaison avec les données de 2011 car le nombre de procédures utilisant un animal n’était pas comptabilisé.
Les domaines d’utilisation des animaux
L’utilisation principale d’animaux concerne la recherche fondamentale pour 45 %, d’abord sur le système nerveux, le système immunitaire et la cancérologie fondamentale. 23 % des utilisations concernent la recherche appliquée, soit la recherche de traitement principalement sur les cancers humains, les maladies liées au système nerveux, les maladies infectieuses et les problèmes de santé touchant les animaux. La même proportion (23 %) concerne des expériences visant à satisfaire des exigences législatives, telles que des tests de toxicité et du contrôle de la qualité de substances exigés principalement par l’UE (pour 95 % d’entre eux) pour les tests de médicaments à usages humains et vétérinaires et de produits chimiques. Ensuite, 5 % des utilisations sont réalisées pour des productions de routine, 1,6 % pour l’enseignement supérieur et la formation continue, 0,8 % pour la protection de l’environnement pour des questions de santé et de bien-être des humains et des animaux et enfin, 0,7 % pour la préservation des espèces.
La gravité des procédures infligées
Les procédures sont classées selon leur gravité potentielle pour les animaux. Il existe quatre catégories :
- Gravité « légère » : « les procédures en raison desquelles les animaux sont susceptibles d’éprouver une douleur, une souffrance ou une angoisse légère de courte durée, ainsi que celles sans incidence significative sur le bien-être ou l’état général des animaux ».
- Gravité « modérée » : dans ce cas-là, la douleur, souffrance ou angoisse est modérée de courte durée ou légère de longue durée et a une incidence modérée sur l’état des animaux.
- Gravité « sévère » : dans ce cas, la douleur, souffrance ou angoisse est intense ou modérée de longue durée et a une incidence grave sur l’état des animaux.
- « Sans réanimation » : « les procédures menées intégralement sous anesthésie générale, au terme desquelles l’animal ne reprend pas conscience » (Annexe VIII de la directive 2010/63/UE).
Le rapport de la Commission européenne révèle que 51 % des procédures utilisant des animaux étaient de gravité « légère », 32 % de gravité « modérée », 11 % de gravité « sévère » et 6 % « sans réanimation ».
Les domaines d’expérimentation avec le plus de procédures « sévères » concernent les tests de toxicité, la recherche fondamentale sur le système nerveux et le diagnostic de maladies.
La réutilisation d’animaux
Sur le nombre total de procédures utilisant des animaux, 2 % (193 579) d’entre elles réutilisaient des animaux ayant déjà été soumis à une utilisation expérimentale auparavant. Ces animaux sont donc à ajouter aux 9,4 millions d’animaux utilisés pour la première fois mais leur nombre exact n’est pas révélé par ce rapport. En valeur, les espèces les plus réutilisées sont les souris, les moutons, les rats, les lapins, et enfin les chevaux, ânes et leurs croisements. En proportion, 82 % des chevaux, ânes et leurs croisements sont réutilisés, 71 % des moutons et 55 % des reptiles.
Les réutilisations d’animaux sont jugées au cas par cas, y compris en tenant compte des conditions de santé et de l’état de bien-être de l’animal. Par exemple, les animaux ayant été soumis à une utilisation de gravité sévère ne peuvent pas être réutilisés.
Les animaux génétiquement modifiés
Sur l’ensemble des animaux utilisés pour l’expérimentation animale en 2017 (pour la première fois et réutilisés), 2,6 millions étaient génétiquement modifiés. En valeur, les souris, les poissons zèbres puis les rats arrivent en tête des animaux génétiquement modifiés. En proportion, 64 % des souris, 38 % des poissons zèbres et 10 % des rats utilisés sont génétiquement modifiés.
Parmi les animaux génétiquement modifiés, 16,7 % étaient modifiés avec un phénotype nocif, c’est-à-dire que la modification génétique entraîne un trouble ou une maladie susceptible d’altérer la santé et/ou le bien-être de l’animal.
Les animaux cachés de l’expérimentation animale
Tous les cinq ans, les États membres doivent désormais fournir des données sur les animaux élevés à des fins scientifiques et mis à mort mais sans avoir été utilisés dans des procédures. Ces données ne se retrouvent pas dans les statistiques annuelles publiées par les États membres, ni dans le rapport statistique de la Commission européenne. Il s’agit d’animaux qui ne convenaient pas pour être utilisés, par exemple car ils sont tombés malades ou sont décédés pendant l’élevage, ou bien d’animaux élevés et mis à mort pour récupérer leurs organes et tissus, ou encore des animaux reproducteurs qui arrivent à la fin de leur activité de reproduction.
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Le rapport (3) d’évaluation de la mise en œuvre de la directive relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques fait état d’un total de 12,6 millions d’animaux non utilisés, dont 83 % de souris et 7 % de poissons zèbres en 2017. En France, 2,1 millions d’animaux n’ont pas été utilisés (rapport du ministère de la Recherche). Il s’agit principalement de souris et de rats (86 %) ainsi que des poissons (13 %). 32 % de ces animaux étaient modifiés génétiquement. Parmi eux, certains n’ont pas d’autres utilités que de participer aux croisements pour établir des lignées d’animaux génétiquement modifiés, et nombreux sont surnuméraires car ils ne présentent pas la modification génétique recherchée. D’après ce rapport, le nombre d’animaux génétiquement modifiés devrait augmenter dans les prochaines années.
À titre d’information, les chats et les chiens représentaient 0,003 % du total, et les primates 0,0005 %.
Conclusion
Le sujet de l’expérimentation animale est complexe et ces statistiques le prouvent : difficile d’y voir clair entre les animaux utilisés pour la première fois, ceux réutilisés au moins une fois, ceux qui au contraire n’ont jamais été utilisés… Au total, le nombre d’animaux concernés par la recherche (utilisés au moins une fois et/ou élevés sans être utilisés) serait de plus de 22 millions d’animaux.
L’objectif final de la directive de 2010 sur la protection des animaux utilisés en expérimentation est de remplacer définitivement les animaux par des méthodes n’impliquant pas leur utilisation ou élevage. On en est vraisemblablement encore loin. Mais la tendance globale est à la diminution, certainement aidée par une législation contraignante et une interdiction des tests pour les produits cosmétiques. Afin d’accélérer cette diminution, des mesures pourraient être prises, notamment pour favoriser le développer de méthodes substitutives à l’utilisation d’animaux. Ces mesures nécessitent de la volonté, aussi bien du monde politique que du monde scientifique.
Nikita Bachelard
* L’ensemble des statistiques présentées ne comptabilise pas les formes fœtales de mammifères, les animaux élevés et mis à mort pour prélever leurs organes ou tissus, les animaux n’ayant pas été utilisés dans des procédures, à l’exception des animaux génétiquement modifiés.