À la suite de la publication le 17 octobre 2019 dans Le Figaro de l’appel de 41 personnalités contre une proposition de loi visant à interdire la corrida aux mineurs (« La corrida est un art et nul ne doit en être exclu »), notre administrateur le Dr vétérinaire Alain Grépinet répondait le 19 octobre dans une lettre ouverte que nous reproduisons ici.
Mesdames, Messieurs,
Vous venez de publier […] une Tribune collective qui n’a pas manqué de m’attrister profondément car, non seulement on y découvre des arguments qui ne peuvent que susciter indignation et incompréhension, mais encore celles-ci sont d’autant plus pesantes qu’il s’agit bien de savoir ici – c’est LA question du jour – si le législateur doit interdire, ou non, la corrida aux mineurs. Et là, votre plaidoirie, aujourd’hui, au XXIe siècle, ne manque pas de surprendre et de choquer…!
Vous commencez par mettre en avant le fait que vous êtes des « femmes et hommes de lettres, d’arts et de culture » qui entendent s’opposer à cette proposition. Huit femmes et trente-deux hommes, sans doute de grand talent chacun dans son domaine ; mais à cet appel de quarante personnalités, je pourrais tout aussi bien, vous le savez parfaitement, vous en citer au moins dix fois plus, elles aussi très connues et de grand renom, qui pensent exactement le contraire, sans doute parce que, au centre de l’arène, nous ne faisons pas la même analyse et ne portons pas le même regard sur le spectacle de la corrida vu par des mineurs ; car c’est bien de cela qu’il s’agit – des mineurs – et non pas d’adultes qui aiment voir souffrir des animaux et couler le sang, au cours d’un combat inégal et d’un autre âge.
J’observe aussi qu’aucun de mes confrères vétérinaires ne figure dans votre liste, ce qui, quelque part, me rassure un peu car j’imagine mal qu’un vétérinaire – qui, par nature et définition, devrait être le premier protecteur de son ami, l’animal – puisse trouver un quelconque plaisir à voir souffrir des taureaux, puis couler leur sang ; alors que nous sommes faits pour les soigner et les respecter.
Alors, voici ce que j’en pense, moi un petit quidam inconnu et, qui plus est, vétérinaire :
Vous dites, d’emblée, que « l’enfant, comme l’adolescent, est doué d’intelligence, apte à l’émotion, sensible à l’héroïsme, disponible à la beauté, à la culture et à l’art »… Je crois rêver en lisant cela. Avez-vous demandé à des psychologues, à des pédiatres, voire à des psychiatres ce qu’ils en pensent ? Je n’en ai trouvé aucun cité dans votre liste de quarante personnalités. C’est étrange, n’est-ce pas ? Lorsque vous parlez d’émotion, d’héroïsme et de beauté, portez-vous votre regard sur le torero ou sur l’animal qu’il affronte ? Ou vous imaginez-vous que c’est ce que ressent l’enfant ou l’adolescent qui assiste non seulement à un spectacle, mais, plus encore, à une forme d’art ? J’ai assisté, dans ma vie, à deux corridas : la première se déroulait dans les arènes de Bayonne, dans les années 1960, j’étais adolescent, j’en ai été profondément traumatisé ; la 2e, dans les arènes de Nîmes, beaucoup plus tard, à la suite d’un malheureux concours de circonstances dont je n’étais pas l’initiateur ; je me suis juré de ne plus jamais revoir de tels spectacles, totalement dégradants, indignes de notre civilisation occidentale et, en effet, d’un autre âge…
Vous évoquez aussi l’artiste, le courage, l’honneur, la tradition, la culture taurine millénaire et que sais-je encore mais vous ne parlez jamais de la condition de l’animal – cet être sensible, enfin reconnu comme tel dans notre Droit –, jamais de sa détresse, jamais de sa souffrance, jamais des circonstances de sa mise à mort et jamais de ce que pourraient en ressentir ceux qui ne supportent pas ce type de spectacles avilissants. Êtes-vous, à ce point, des êtres insensibles ? Alors, vous avez trouvé le meilleur alibi qui soit, en nous affirmant ex abrupto que la corrida est un art ; donc, tout est dit ; et, par conséquent, si l’on veut interdire les corridas, cela veut dire tout simplement que l’on s’en prend à l’art ! Rien que ça ! Et vous ajoutez, péremptoirement, que « interdire un art, est indigne d’une démocratie moderne » ; un comble ! Et vous enfoncez le clou : « ceux qui l’envisagent* ne peuvent le faire qu’au nom d’une moralisation indue et paternaliste de la vie publique ». Ben voyons !
Vous n’êtes pas sans savoir que la corrida est, actuellement, en perte de vitesse, même dans certaines régions d’Espagne. Ce n’est pas le seul fruit du hasard ; et cela vous inquiète, évidemment, puisque, dites-vous, « instrumentaliser les enfants pour combattre la corrida, c’est la condamner dans vingt ans ». C’est exact. Je vais vous rassurer : ceux qui pensent comme moi espèrent bien que l’on n’attendra pas 20 ans pour interdire définitivement les corridas en France et ailleurs, comme on est de plus en plus nombreux, également, à vouloir faire interdire la mise en spectacle des animaux dans les cirques. Là, je crois que nous sommes sur la bonne voie puisque plusieurs villes de France en ont déjà décidé ainsi. Et ce n’est pas, non plus, par hasard. En politique, le courage est une vertu rare, mais il existe, je le sais, on le rencontre quelquefois.
Pourquoi faire – et laisser faire – souffrir des animaux, alors qu’on pourrait l’éviter et qu’au regard d’une certaine conception de l’éthique, on devrait tout faire, en effet, pour en combattre les causes et les effets, sinon par la persuasion, au moins par l’effet de la Loi.
Pour terminer, j’en reviens à l’objet initial de votre tribune, que je n’ai pas perdu de vue et qui est au cœur de la proposition de loi qui semble vous inquiéter au plus haut point : s’agissant de l’enfant, comme de l’adolescent, vous dites que « vouloir lui épargner la complexité du réel, la violence et le sacré, c’est mépriser son devenir ». La profondeur de cette assertion et tout ce que l’on peut y voir de tragique, voire de comminatoire, devraient inciter – je l’espère – le législateur à prendre, précisément et courageusement, le parti de l’enfant et de l’adolescent en les protégeant résolument contre la corrida, cette forme de violence archaïque, gratuite, et qui n’a rien à voir avec l’Art, le vrai.
La corrida, en effet, n’est pas un art contrairement à ce que vous affirmez. Elle est un spectacle tragique créé pour le plaisir de l’homme par des gens dont je doute qu’ils aiment vraiment les animaux…
Alain Grépinet
*Le législateur, à l’initiative de quelques députés LREM qui voudraient interdire la corrida aux mineurs.