Belgique: l’interdiction flamande de l’abattage sans étourdissement en question

En 2019, suite à la volonté d’interdire l’abattage sans étourdissement de la part de la Flandre et de Wallonie la Cour de Justice de l’Union Européenne a été saisie afin de décider si ce type d’abattage est compatible avec le bien-être animal. Le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à l’article 13 dit garantir à la fois le respect des convictions religieuses de ces citoyens mais il a aussi des « obligations envers le bien-être de ces êtres sensibles« . Cependant, le considérant 18 de ce même règlement rappelle bien que compte tenu des diverses réglementations nationales, une certaine marge de manœuvre est laissée aux États dans leurs choix. C’est ainsi que le Danemark, le Luxembourg ou la Slovénie ont promulgués l’interdiction de l’abattage sans étourdissement.

Respect des droits fondamentaux ?

En 2019, la Flandre et la Wallonie ont interdit l’abattage sans étourdissement. Ces mesures ont immédiatement été contestées par les autorités religieuses musulmanes et juives devant la Cour constitutionnelle belge. Cette dernière, consciente des enjeux en termes de droits fondamentaux et de protection animale, a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par le biais d’une question préjudicielle. Il s’agit de savoir si l’interdiction de l’abattage sans étourdissement est compatible avec le respect des droits fondamentaux, en premier lieu la liberté de culte, sachant que ces droits sont garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH).

Dans ce cadre, l’avocat général1 de la CJUE a rendu ses conclusions. Afin de répondre à la question principale, il a examiné particulièrement deux articles du règlement 1099/2009 sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort : l’article 4 et l’article 26. Le premier constitue la fameuse dérogation permettant l’abattage rituel tandis que le second permet à un État d’adopter des règles nationales plus strictes que celles contenues dans le règlement.

Posant d’emblée la protection du bien-être animal comme objectif de principe de ce règlement, l’avocat général rappelle l’importance de l’étourdissement en termes de protection animale (affaire C-497-17 du 26 février 2019) d’une part mais également que la dérogation ne « s’étend pas au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour assurer le respect de la liberté de religion » d’autre part.

Liberté de culte… et liberté de conscience

Il en déduit donc qu’il est impossible d’interdire l’abattage sans étourdissement au risque de vider la dérogation de son sens, mais aussi que les consommateurs doivent être bien informés du type de viande qu’ils consomment. Insistant longuement sur cette dernière exigence, qui fait échos aux demandes de nombreuses ONG pour un étiquetage des techniques d’abattages, il précise qu’une situation où de la viande résultant d’un abattage d’animaux selon des rites religieux serait consommée par des clients « qui n’ont pas connaissance – et n’ont pas été informés – de la manière selon laquelle il s’avère que l’animal a été abattu ne serait conforme ni à l’esprit ni à la lettre de l’article 13 TFUE ». En effet, l’État est tenu de respecter les convictions religieuses de ces citoyens mais il a aussi des « obligations envers le bien-être de ces êtres sensibles », comme indiqué dans l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

S’il est certain, comme il est souligné dans les conclusions, que l’article 4 souffre d’une imprécision dans sa rédaction – qui ne manque pas de permettre une interprétation bien trop large et en défaveur de la protection animale –, il est également avéré que cette imperfection ne peut à elle seule justifier l’impéritie du Gouvernement français en la matière. En effet, dans deux réponses parlementaires des 20 août et 27 novembre 2019, la Commission européenne a clairement précisé que, conformément à l’esprit de la dérogation prévue par le règlement 1099/2009, les États membres étaient tenus de veiller à ce que « la réglementation soit appliquée uniquement pour répondre à des besoins religieux », et qu’en conséquence les États membres devaient « veiller à ce que la viande [issue d’animaux abattus sans étourdissement] ne se retrouve pas sur le marché général, y compris au moyen de mécanismes appropriés d’étiquetage et de traçabilité ». Juridiquement, cette évolution est tout à fait possible, outre sa nécessité éthique.

Harmonisation vs. principe de subsidiarité

Pour ce qui concerne l’article 26 – lequel permet d’adopter des règles nationales plus strictes –, selon l’avocat général, cela peut conduire seulement à l’édiction de normes techniques plus exigeantes (longueur du couteau…) qui n’auront que peu d’efficacité au regard de la douleur engendrée lors de l’abattage sans étourdissement. Une telle opinion, si elle était suivie, reviendrait à empêcher toute mesure visant à limiter la souffrance animale, incluant la pratique du soulagement (étourdir l’animal immédiatement après la saignée).

Mais une autre lecture peut être faite de cet article, compte tenu notamment de la liberté particulière laissée aux États, dans le cadre du principe de subsidiarité2. En effet, le considérant 18 de ce même règlement rappelle bien que compte tenu de l’hétérogénéité des diverses réglementations nationales, une certaine marge de manœuvre est laissée aux États. D’ailleurs, certains d’entre eux comme le Danemark, le Luxembourg ou la Slovénie ne s’en sont pas privés, l’interdiction de l’abattage sans étourdissement y a été promulguée.

La Cour décidera

Ces conclusions aussi intéressantes soient-elles ne demeurent qu’une opinion. Elles sont souvent suivies mais pas systématiquement – rappelons-nous par exemple la décision en faveur de l’OABA en février 2019 dans l’affaire bio/halal (affaire C-497-17) allant contre les conclusions de l’avocat général.

Il ne nous reste donc qu’à attendre la décision de la Cour. En tout état de cause, celle-ci sera déterminante et décisive pour la protection des animaux au moment de leur mise à mort, espérons donc qu’une force nouvelle sera donnée à l’article 13 du TFUE par la Cour de justice de l’Union européenne. Elle s’inscrirait alors dans le sens de l’histoire…

Dimitri Nguyen

[1] L’avocat général « [assiste] la Cour de justice, par le prononcé public de conclusions en toute indépendance et en toute impartialité » in Clément-Wilz L. 2011. La fonction de l’avocat général près la Cour de justice. Ed. Bruylant. Retour

[2] « [Le] principe de subsidiarité entend protéger la capacité de décision et d’action des États membres » (Parlement européen). Retour

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