F. Marano, P. Hubert, L. Geoffroy, H. Juin (coord.), Éditions Quae, 186 p., 2020 (29 €)
Ce compte rendu permet de mieux comprendre les alternatives à l’expérimentation animale, les avancées et les méthodes mises en place pour utiliser le moins d’animaux possible. Bien que l’expérimentation animale doit se baser sur la règle des 3R, le livre de P.Hubert, L.Geoffroy, H.Juin dresse toutes les spécificités des méthodes de recherches appliquées: in vivo, in vitro, in silico mais aussi ex vivo et bien plus encore.
Pas toujours facile d’y voir clair dans le domaine des alternatives à l’expérimentation animale, même quand on s’intéresse de près au sujet. C’est probablement la faute en revient à la complexité du sujet bien sûr, ainsi qu’à la diversité des méthodes alternatives, mais également à un manque de visibilité accordé à certaines approches, et à un manque de pédagogie et de vulgarisation en la matière.
Dans l’optique d’établir une cartographie actuelle des méthodes existantes et des enjeux qu’elles recouvrent, la présidente, le directeur et la secrétaire scientifique de Francopa (plateforme française dédiée au développement, à la validation et à la diffusion des méthodes alternatives en expérimentation animale), ainsi qu’un chercheur de l’Inrae, ont entrepris de coordonner cette publication parue en septembre 2020 aux éditions Quae. Les 27 auteurs de l’ouvrage contribuent à un état des lieux le plus complet possible des méthodes existantes et des réglementations et principes éthiques qui les encadrent.
En introduction, Jean-Pierre Clot et Francelyne Marano rappellent les origines du développement des méthodes alternatives, qui découlent du principe éthique des 3R appliqués en expérimentation animale, à savoir : remplacer les animaux utilisés, réduire le nombre d’animaux utilisés et raffiner les méthodes d’expérimentation sur les animaux. Ils définissent ce que sont les méthodes dites alternatives.
Ensuite, la première partie s’intéresse aux différentes méthodes utilisées en recherche : in vivo (sur le vivant), in vitro (sur des micro-organismes, organes ou cellules en dehors de leur contexte naturel) et in silico (par informatique), mais aussi ex vivo (cultures cellulaires), l’observation des espèces dans leur milieu naturel ou encore l’étude sur les individus ou populations humains. Philippe Hubert insiste sur la complémentarité des méthodes pour comprendre la complexité des sciences. Bien souvent, les méthodes alternatives sont utilisées en compléments de tests sur les animaux, permettant ainsi non pas de remplacer totalement l’utilisation de l’animal, mais de réduire le nombre d’individus utilisés.
Dans la deuxième partie, Céline Boudet décrit les processus de validation scientifique et réglementaire des méthodes alternatives. En effet, les méthodes développées doivent être validées par les pairs puis, en fonction et leur finalité, normalisées, voire validées réglementairement pour les méthodes concernant les tests toxicologiques, qui sont rendus obligatoires par la réglementation européenne.
La troisième partie s’intéresse au développement des méthodes alternatives en expérimentation animale dans le cadre des différentes réglementations (Reach, cosmétiques, pharmacopée…). Isabelle Fabre, Sylvie Morgeaux et Paul Houeto s’attardent sur le développement des vaccins – sujet d’actualité en cette période de crise sanitaire due à la Covid-19 – et sur les perspectives réglementaires (pour les cellules souches par exemple).
La quatrième partie s’intéresse aux comités d’éthique, qui rendent un avis sur chaque projet d’utilisation de l’animal en recherche, en veillant au respect des 3R et donc de la recherche d’alternatives à l’utilisation d’animaux. Les auteurs Silvia Vincent-Naulleau, Christophe Joubert, Géraldine Pottier, Olivier Sandra, Patrick Gonin et Rémi Maximilien posent les bases réglementaires des comités d’éthique, qui sont prévus par la directive européenne sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques. Ils abordent ensuite la transposition française des règles européennes sur le sujet, avant de les mettre en perspectives avec les règles d’autres pays de l’UE et hors UE.
En cinquième partie, Armelle Baeza, Saadia Kerdine-Römer et Franck Yates nous renseignent sur les méthodes alternatives in vitro : quelles sont les différents types de cellules et leurs intérêts ? Comment fonctionne les modèles en 2D et en 3D ? Quels sont leurs avantages et leurs limites ? Quelle est l’utilisation des méthodes alternatives in vitro en toxicologie ? Toutes les réponses sont dans cette partie.
S’en suit une partie consacrée aux méthodes in silico, qui consistent à mettre en relation des données issues d’expériences diverses permettant d’effectuer des prédictions, le tout grâce à l’informatique. Les auteurs de ce texte Enrico Mombelli, Irene Vignon-Clementel et Dirk Drasdo se penchent d’abord sur le concept des « chemins de l’effet néfaste » (ou adverse outcome pathways), qui met en relation les connaissances entre un évènement moléculaire initiateur et un effet néfaste pertinent pour l’évaluation des risques sanitaires. Puis, ils expliquent la modélisation QSAR (Quantitative structure activity relationship), qui établit des relations entre structure chimique et activité biologique. Ces méthodes sont très utiles pour les tests toxicologiques.
Lire aussi : Existe-t-il une liste des méthodes alternatives à l’expérimentation animale?
Dans la septième partie, Alain Le Pape s’intéresse aux techniques de l’imagerie appliquées à la souris. Il ne s’agit donc pas ici de se passer totalement de l’animal, mais de faire appel à des techniques non invasives pour étudier la souris, qui est l’espèce la plus utilisée en expérimentation animale, notamment parce que son génome est similaire à 90 % à celui de l’humain. Techniques de bioluminescence, fluorescence ou encore photo-acoustique sont utilisées en infectiologie et en cancérologie. Dans ce dernier domaine, les techniques d’imagerie permettent même d’induire des tumeurs chez des petits rongeurs sans intervention chirurgicale.
Les omiques sont l’objet de la huitième partie. Elles consistent à mettre en œuvre une ingénierie d’analyse systématique du contenu du vivant à l’échelle moléculaire pour l’ADN (génomique), l’ARN (transcriptomique), les protéines (protéomique), les métabolites cellulaires (métabolomique) et les lipides (lipidomique). Thierry Rabilloud explique que -Les techniques omiques permettent de maximiser l’information obtenue lors d’une expérience, qu’elle soit faite sur un animal ou non.
L’avant dernière partie aborde les modèles animaux utilisés à la place d’autres animaux et considérés comme des méthodes alternatives. En effet, les méthodes alternatives ne concernent pas uniquement le remplacement de l’utilisation d’un animal, car les 3R incitent aussi à faire attention à l’utilisation d’espèces les mieux adaptées en fonction du résultat recherché. D’autres éléments entrent en compte dans le choix du modèle animal, et notamment le fait que l’espèce utilisée soit considérée comme moins problématique aux yeux de l’opinion publique. Pour cette raison, des amphibiens et des poissons, surtout le poisson-zèbre, sont largement répandus dans les laboratoires, permettant d’éviter l’utilisation de mammifères. En outre, les espèces animales non concernées par la règlementation européenne sur la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques (c’est-à-dire toutes les espèces d’invertébrés sauf les céphalopodes), sont considérées comme des alternatives. Laure Geoffroy et Hervé Tricoire développent les exemples de l’oursin, du ver Caenorhabditis elegans et des mouches drosophiles.
Dans la dernière partie, Martine Kolf-Clauw et Fanny Pilot-Storck s’intéressent aux méthodes alternatives utilisées dans le cadre de l’enseignement et de la formation professionnelle. Dans l’enseignement secondaire, seules les méthodes substitutives (sans animaux) sont autorisées. Dans l’enseignement supérieur et la formation professionnelle, de plus en plus de méthodes alternatives sont utilisées, telles que l’utilisation de mannequins, les cultures de cellules, les modèles invertébrés ainsi que des morceaux d’animaux provenant des abattoirs ou d’autopsies.
Les deux auteurs de la conclusion Hervé Juin et Olivier Sandra recommandent d’« harmoniser les réglementations internationales portant sur le recours des animaux à des fins scientifiques ». Il s’agirait, selon eux, d’un « levier majeur » car la disparité qui subsistent entre les États « peut encore contribuer à limiter l’investissement nécessaire au développement et au recours des méthodes alternatives ».
Cette publication est fort utile pour bien saisir l’état des lieux actuel des méthodes alternatives en expérimentation animale. Le sujet étant extrêmement complexe, l’ouvrage ne conviendra pas aux profils non-scientifiques et non-initiés. En revanche, ceux qui ont déjà des connaissances dans les domaines évoqués apprécieront le tour d’horizon concis (186 pages) et pourtant complet.
Nikita Bachelard
Parce que la dissémination des méthodes alternatives auprès des chercheurs est un des gros enjeux du remplacement du modèle animal dans la recherche, l’ONG allemande Doctors Against Animal Expriments a créé une base de données sur les méthodes alternatives permettant de se passer des animaux pour la recherche. La base de données s’appelle NAT Database (NAT pour Non animal technologies) et est disponible en anglais et en allemand. Elle permet d’établir des recherches selon les critères suivants : domaine de recherche concerné, méthode, année et pays de publication.