Le panda géant est une espèce emblématique, notamment au regard des moyens de conservation dont elle a bénéficié depuis les années 1980. Si l’espèce n’est pas tirée d’affaire, elle est en bonne voie, contrairement à d’autres espèces qui partagent son aire de répartition, comme le léopard ou le loup. De plus, des scientifiques ont estimé que le panda était un « cul-de-sac » évolutif. Alors, les moyens mis en œuvre pour préserver l’espèce en valent-ils vraiment la peine ?
Qui ne connaît pas le panda géant ? Il fait partie de ces espèces que l’on dit « emblématiques », à l’instar du lion d’Afrique, de l’ours polaire ou encore du chimpanzé, qui sont très connues du public et contribuent par leur charisme à éveiller les consciences sur le sort des animaux et particulièrement l’état de préservation des espèces animales. La Chine n’est pas étrangère au statut d’espèce-phare du panda : elle en a fait un animal emblématique car celui-ci n’existe à l’état sauvage que dans ce pays.
L’animal est extrêmement représentatif de la disparition des espèces. En effet, dans les années 1980, il ne restait plus que 1200 individus à l’état sauvage et l’espèce était considérée comme en danger d’extinction selon les critères de préservation de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Des efforts sans commune mesure ont été entrepris pour sauver l’espèce de l’extinction.
1864 PANDAS
DANS LA NATURE
Les résultats sont encourageants et porteurs d’espoir. Mais il y a une ombre au tableau : les efforts de préservation de l’espèce n’auraient pas bénéficié aux grands prédateurs qui partagent son territoire. En outre, certains scientifiques ont émis l’hypothèse que le panda serait un cul-de-sac évolutif, c’est-à-dire qu’il serait voué à une extinction irrémédiable. Les efforts colossaux déployés pour préserver l’espèce ont-ils donc été gaspillés au détriment d’autres espèces ?
Le panda géant presque sauvé de l’extinction
Dans les années 1960, le gouvernement chinois, accompagné d’acteurs internationaux de la protection des espèces animales, ont entrepris des mesures de préservation du panda géant, en créant une première réserve. D’importants efforts ont suivi et le statut de préservation de l’espèce est passé de « en danger » à « vulnérable » selon l’UICN.
Les mesures de préservation entreprises par les spécialistes et le gouvernement chinois pour sauver l’espèce Ailuropoda melanoleuca sont multiples : établir des réserves au sein de l’aire de répartition du panda géant pour limiter au maximum les menaces dues à l’activité humaine, réglementer très strictement sa détention et son commerce, établir des programmes d’élevage et des réintroductions dans le milieu naturel…
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L’espèce n’est pas encore tirée d’affaire et les efforts ne doivent pas être relâchés tant que le statut de préservation n’est pas revenu à un niveau plus favorable. Cependant, ces efforts de préservation sont considérés comme efficaces car, selon le dernier recensement de population, le nombre d’individus évoluant dans le milieu naturel était de 1864 en 2016.
Des efforts de préservation qui n’ont pas profité aux grands prédateurs
En août 2020, Sheng Li, William McShea, Dajun Wang et al. ont publié une étude révélant que les mesures de préservation du panda géant n’ont pas été bénéfiques pour des espèces de grands prédateurs qui partagent l’aire de répartition du panda et dont le statut de préservation est particulièrement critique.
De 2008 à 2018, les scientifiques ont étudié, à l’aide de pièges-caméra, les populations de léopard, léopard des neiges, loup et dhole (aussi appelé chien sauvage d’Asie) évoluant dans 73 aires protégées du panda géant. Ils ont constaté un large recul de la présence de ces quatre espèces de grands prédateurs. Le nombre de détections des caméras était très limité et suggère une baisse marquée des aires de répartition dans lesquelles évoluent ces espèces. Dans certaines régions, le loup et le dhole peuvent même être considérés comme fonctionnellement éteints : cela signifie que ces espèces ne remplissent plus leur rôle écologique dans l’écosystème dans lequel elles évoluent.
D’après l’étude, les causes originelles du déclin de ces populations sont la perte de leur habitat due à l’exploitation commerciale forestière, la chasse de ces espèces et de leurs proies et potentiellement des infections et maladies provenant d’espèces domestiques. Comme en France, les grands prédateurs souffrent particulièrement des conflits humains-faune sauvage : conflits sur la chasse de leur proie, mais aussi l’attaque d’animaux d’élevage.
La raison principale avancée par les auteurs de l’étude pour expliquer que la préservation du panda n’a pas bénéficié aux espèces léopard, léopard des neiges, loup et dhole est qu’elle a été pensée en fonction de la taille moyenne du domaine vital du panda (entre 5 et 13 km²), qui est largement inférieure à celle des domaines vitaux des quatre espèces de grands carnivores, dont certains peuvent dépasser les 100 km². De plus, les espèces de grands prédateurs font face à une pression cynégétique bien supérieure au panda, qui s’avère être d’ailleurs épargné par la chasse aux trophées.
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Les chercheurs estiment donc que ces menaces empêchent le panda géant de remplir pleinement son rôle d’espèce parapluie, c’est-à-dire que la protection de l’espèce bénéficie aux autres espèces de son écosystème. Il faut toutefois relativiser : si elles n’ont pas été bénéfiques pour les grands prédateurs, ces mesures de préservation ont eu un impact positif pour la préservation d’autres espèces animales, comme les petits carnivores, les faisans et les oiseaux chanteurs, selon Sheng Li.
L’étude suggère des solutions possibles pour étendre la protection de l’espèce panda géant aux espèces des grands prédateurs qui peuplent le même territoire. Il faudrait adopter une approche de préservation multi-espèces qui comprenne la restauration des habitats, la lutte contre le braconnage et la chasse des proies, la connexion entre les différents territoires pour reconnecter les diverses populations de ces espèces entre elles, la limitation du nombre d’animaux d’élevage et la préférence pour l’élevage d’espèces d’ongulés endémiques pour atténuer les conflits humains-animaux sauvages.
Un cul-de-sac évolutif, vraiment ?
Des scientifiques ont émis l’hypothèse que le panda serait un cul-de-sac de l’évolution. Autrement dit, l’évolution de l’espèce la conduirait inévitablement à l’extinction dans un futur proche, pour mauvaise adaptation à son écosystème. À quoi bon alors mettre en place des efforts considérables pour préverser une espèce vouée à disparaître ?
Ces allégations se basent sur plusieurs arguments, parmi lesquels :
- Le régime alimentaire du panda a évolué pour se spécialiser sur le bambou, qui fournit peu d’énergie et n’est pas très nourrissant ;
- Le nombre de pandas vivant à l’état sauvage est faible ;
- Le panda a une mauvaise capacité de reproduction ;
- La diversité génétique de la population de Ailuropoda melanoleuca est faible.
Une revue pluridisciplinaire de Wei et al. de 2014 tente de démonter ces affirmations. Certes, le panda est un carnivore… qui se goinfre de bambou ! Il possède des caractéristiques propres aux espèces carnivores sur le plan digestif. Pourtant, 99 % de son alimentation provient du bambou. Du fait de son estomac de carnivore, il n’absorbe qu’une petite quantité de macronutriments, l’obligeant à manger une bonne partie de la journée pour avaler de grosses quantités. Mais son crâne, sa mâchoire et ses dents semblent bien adaptés à la mastication du bambou. Une faible absorption d’énergie coïncide aussi avec des déplacements réduits. Le panda géant s’est adapté génétiquement à cette évolution de son régime alimentaire : sa flore intestinale serait adaptée à une alimentation riche en fibre.
La population de panda a largement diminué ces dernières décennies, mais selon Wei et al., les menaces principales qui pèsent sur l’espèce proviennent d’activités humaines qui font pression sur son environnement, en détruisant son habitat. Son déclin est similaire à celui de son cousin le petit panda, qui a le même régime alimentaire que le géant, ou à celui d’autres espèces de la région. Son déclin actuel n’est donc pas lié à une mauvaise évolution.
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À propos de sa capacité de reproduction, elle serait très bonne pour les animaux vivant à l’état de liberté. Quant à la reproduction en captivité, elle s’est largement améliorée. En milieu captif, le taux de survie des petits aurait atteint 90 %. Enfin, malgré une population avec un faible nombre d’individus en liberté, les données scientifiques suggèrent que la diversité génétique au sein de la population est relativement élevée.
Conclusion
Le panda géant est peut-être considéré par certains comme une étrangeté de la nature, pour d’autres comme une merveille à la biologie unique. Sa présence et sa persistance – aidées par des moyens de préservation uniques – dans des provinces chinoises reculées, font de lui un animal hautement adaptable et adapté à son milieu. Cependant, à l’instar de nombreuses espèces à l’ère de l’Anthropocène induisant une extinction de masse des espèces, le panda géant a fait face à un déclin important de sa population. Les efforts de préservation de son milieu naturel, qui abrite également de nombreuses autres espèces peut-être moins charismatiques mais tout aussi importantes, ne doivent pas être relâchés. En tout cas, que ce soit pour son état de préservation, sa bouille de nounours ou son utilisation diplomatique pour le soft power chinois, le panda géant n’a pas fini de faire parler de lui !
Nikita Bachelard