Notre éthique, nos lois et la recherche sont influencées par l’image que nous avons des animaux

L’espèce humaine a tendance à oublier qu’elle n’évolue pas seule au sein de son environnement. Le manque de respect pour les animaux et l’environnement traduits des relations souvent négatives entre l’humain et les autres espèces animales, sur lesquelles sont basées nos lois et notre éthique. Pourtant, l’humain ne peut plus se considérer comme un élément extérieur au monde qui l’entoure. Nous devons repenser notre rapport aux animaux.

Perception des animaux par les humains

Les animaux non humains vivent aujourd’hui dans des écosystèmes fortement impactés par l’accroissement de la population humaine et ils ont développé avec nous ou entre eux, des relations construites sur ses sociétés urbaines. Bien que certaines de ces relations soient positives et permettent aux animaux de profiter des environnements anthropisés, la plupart sont négatives et désastreuses. Cependant, le comportement humain varie selon les sociétés et les humains des sociétés animistes ou totémistes se comportent différemment avec les animaux que ceux des sociétés de type WEIRD (Western, educated, industrialized, rich and democratic, c’est-à-dire « occidental, éduqué, industrialisé, riche et démocratique »). La perception humaine des espèces animales, en termes de fonction, d’utilisation des animaux ou de partage d’espace, dépend de nombreux facteurs biologiques et socioculturels. De cette perception découle de la discrimination des humains envers les espèces animales. Donaldson et Kymlicka ont récemment classé les animaux non humains en trois catégories selon leur proximité avec nous, leur rôle et leur distribution : sauvage, liminaire et domestique :

  • Les animaux sauvages forment leur propre communauté et sont souverains.
  • Les animaux liminaires sont sauvages, mais vivent dans des milieux urbains, ayant donc le statut de résident.
  • Les animaux domestiques sont pleinement impliqués dans les sociétés humaines et devraient être considérés comme nos concitoyens.

De l’utilisation des biais cognitifs humains en éthique animale

La discrimination des espèces animales est appelée spécisme . Au-delà de la classification par Donaldson et Kymlicka, une discrimination première se fait sur la distance phylogénétique avec l’espèce humaine. En général, nous préférons les espèces à sang chaud, avec des poils et de grands yeux. Mais la discrimination est aussi différente selon les cultures comme illustrées avec la consommation traditionnelle de porc, mais pas de chien par les sociétés occidentales, alors que ces deux espèces ont une longévité, une sensibilité et une cognition similaires. Enfin, l’anthropomorphisme est influencé par le fait de posséder un animal, de travailler avec des animaux ou d’être membre d’une association de protection animale. D’un autre côté, la surreprésentation d’espèces à la télévision ou sur les réseaux sociaux décroit notre perception de leur danger d’extinction.

Les émotions que nous portons envers une espèce animale ont d’importantes conséquences sur les efforts de conservation et de bien-être. Des espèces telles que les carnivores ou les serpents, inspirant dégout et peur dans certaines sociétés, sont appréciées dans d’autres et donc mieux protégées. Ainsi, dans les sociétés occidentales, les connaissances scientifiques font progresser notre perception des traitements (élevage et abattage) que nous faisons subir aux animaux de consommation et de nombreuses recherches sont ainsi effectuées pour mettre au point la viande cellulaire. Cette viande cellulaire, en diminuant l’élevage intensif, permettrait de diminuer les risques de zoonoses et le réchauffement climatique, en plus du mal-être animal.

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Concevoir de nouveaux concepts en éthique animale

Les recherches scientifiques permettent le développement de l’éthique animale, du droit animalier et de la recherche elle-même. Cependant, certains concepts sont difficiles à formaliser et à démêler au fur et à mesure de ces avancées scientifiques : pouvons-nous ne pas catégoriser les animaux qui nous entourent ? Si nous les catégorisons, comment ? Selon quels critères ? Premièrement, nous ne devrions pas regarder l’animal selon notre perspective humaine, l’utilité que nous en avons, notre affection, mais selon le concept de souffrance. Cette discrimination selon la capacité de souffrance des espèces appelle à la responsabilité radicale de notre part, c’est-à-dire une responsabilité morale étendue non seulement à nos actes directs, mais aussi à leurs conséquences sur la souffrance animale et les changements environnementaux .

Cette responsabilité morale est influencée par notre perception d’une espèce animale : le hamster d’alsace, qui est aujourd’hui protégé par un important programme de conservation, était considéré comme une espèce nuisible il y a trente ans, et donc exterminé. Si son statut a changé entre temps d’un point de vue législatif, sa perception par les agriculteurs ou les villageois peut mettre du temps à évoluer . Cependant, les programmes de conservation fonctionnent si la société est incluse dans la démarche et si les cohabitants humains d’une espèce animale l’acceptent. Il faut donc une évolution sociétale et ceci ne peut se faire qu’à travers des programmes de conservation impliquant de l’éducation et des campagnes de sensibilisation. Le principe de conservation impliqué dans de tels programmes est dit Conservation compatissante et nécessite une conservation éthique envers chaque espèce animale dont l’espèce humaine sur un territoire donné. Jusqu’à maintenant, des populations humaines ou animales pouvaient être déplacées, voire même supprimées d’un territoire, pour en sauvegarder une autre. Ces stratégies se révèlent aujourd’hui catastrophiques, car créant de nombreux conflits. La Conservation compatissante combine les problématiques d’éthiques animale, humaine et environnementale afin de résoudre les problèmes plutôt que de les déplacer.

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Le concept de One Health

L’idée de combiner ces trois éthiques — animale, humaine, et environnementale — existe depuis plus de dix ans maintenant et s’appelle « One Health » (Une seule santé) . Le trafic illégal d’espèces animales sauvages qui seront ensuite entassées avec des espèces domestiques stressées par de telles conditions de captivité mène à l’émergence de zoonoses transmissibles à l’humain telle que le SARS-CoV-2. Ainsi, la Chine a vite répondu à la pandémie de Covid-19 en limitant le trafic et la consommation de certaines espèces sauvages et domestiques. Pour résumer, la Chine a souhaité améliorer la santé humaine en améliorant la santé animale et environnementale. La survie et le bien-être des humains dépendent donc de leurs interactions avec le monde vivant, concept autrement appelé éthique évolutive où l’humain doit être réintégré dans une approche évolutive, une approche du Vivant. De simples décisions telles que la réduction de la consommation de viande (par exemple le Lundi vert ) peuvent avoir des conséquences remarquables sur l’animal (réduction de la souffrance animale et de l’utilisation), l’environnement (réduction de réchauffement climatique et augmentation de la biodiversité) et sur l’humain (réduction des cancers, des maladies cardiovasculaires et de nouveaux pathogènes émergents).

Interdépendance de l’humain au monde vivant

L’humain ne peut plus se considérer comme un élément extérieur au monde qui l’entoure. Nous devons comprendre et intégrer notre interconnexion avec les autres espèces vivantes. Nous devons chercher une nouvelle façon de nous comporter envers les espèces domestiques et sauvages, ne plus les maltraiter ou les exterminer au profit de l’une ou l’autre espèce, mais utiliser leurs relations écologiques comme un outil durable. Ces interactions écologiques, symbiotiques ou compétitives, peuvent être intégrées dans l’agriculture ou l’élevage à la place de traitements chimiques ou mécaniques destructeurs pour l’environnement, les animaux et l’humain. Les sciences animales, dont les sciences comportementales, ne sont pas encore assez employées dans ce sens et nous pourrions tirer de ces dernières d’importants progrès technologiques. Les savoirs des populations dites indigènes doivent également être exploités et non plus dévalorisés, car elles sont source d’équilibre et donc de durabilité. Les animaux doivent être reconnus comme faisant partie intégrante de nos sociétés occidentales, comme ils peuvent l’être dans d’autres sociétés. Au-delà d’y voir un simple capital matériel, l’animal est aussi un capital social, un capital culturel et un capital naturel. De ces différents capitaux , construisons une relation homme-animal respectueuse et bénéfique aux deux partis.

Cédric Sueur

Pour plus d’information, un numéro spécial sur ces sujets a été publié dans Frontiers in Psychology par Pelé, Georges, Matsuzawa & Sueur (2020).

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