Hécatombes de dauphins sur les côtes françaises

La France est la deuxième puissance maritime mondiale après les États-Unis, avec 20000 kilomètres de côtes maritimes. Elle est logiquement un acteur majeur de l’industrie halieutique, mais cela n’est pas sans conséquence sur la biodiversité, notamment les dauphins. Les échouages de dauphins en France métropolitaine augmentent, principalement dans le Golfe de Gascogne. Malgré la sonnette d’alarme tirée par les scientifiques, le gouvernement tarde à réagir.

Les dauphins communs sont les principaux cétacés échoués sur les côtes françaises

Depuis quelques années, la côte atlantique française s’apparente à un cimetière. En 2019, 2 116 mammifères marins ont été recensés échoués morts ou sont morts à la suite de leur échouage, selon l’observatoire Pelagis, qui étudie les échouages de mammifères marins sur les côtes françaises et coordonne le Réseau national échouages. Parmi ces mammifères, 1 845 étaient des cétacés, dont une majorité de dauphins communs, mais également des dauphins bleus et blancs, des grands dauphins, des marsouins communs et quelques rorquals. Le reste sont des phoques. Pour l’année 2020, les données pour la période allant du 1er janvier au 18 mars faisaient déjà état de 993 échouages de petits cétacés, dont 90 % de dauphins communs. Selon Pelagis, la plupart présente des signes de blessures compatibles avec celles engendrées par des engins de pêche. Pour l’année 2021, la situation semble encore s’empirer. Pour le seul mois de janvier, Pelagis a recensé l’échouage de 450 petits cétacés sur les côtes françaises, dont 90 % de dauphins communs. Ce chiffre est deux fois plus élevé que le nombre d’échouages au mois de janvier de l’année précédente. Alarmant.

Les causes de ces morts

On parle d’échouage lorsqu’un cétacé ou un pinnipède dérive sur les plages et côtes. En France, la majeure partie des mammifères marins sont déjà morts lorsqu’ils s’échouent. Pour les quelques animaux qui s’échouent encore vivants, très rares sont ceux qui survivent car leur santé est trop dégradée. Les échouages ont lieu principalement sur les côtes du Golfe de Gascogne, avec des effectifs plus élevés entre la Loire et la Gironde.

Ce phénomène a lieu principalement en hiver, semblant coïncider avec la reprise de la pêche au merlu et au cabillaud. Depuis que le Réseau national échouages existe en 1972, le nombre d’échouages augmente presque d’année en année, et s’intensifie, y compris en dehors de la période hivernale (voir graphique).

Plusieurs phénomènes causeraient la mort des mammifères marins : la capture accidentelle par des engins de pêche, des pathologies, d’autres causes qui peuvent être soit d’origine anthropique soit d’origine naturelle (collision, compétition, prédation, séparation mère-jeune, malnutrition, accident topographique, piège dans les aménagements littoraux, etc.) et des causes inconnues.

Echouages de cétacés entre 1969 et 2020
Source : Observatoire Pelagis

Pour les dauphins communs, Pelagis explique que « la capture dans un engin de pêche est la principale cause de mortalité chez cette espèce avec un taux de capture apparent minimal de 60 % sur l’ensemble des individus examinés sur l’année [2019] et pouvant atteindre près de 90 % lorsque l’on se focalise sur la portion de littoral située entre la Loire et la Gironde en hiver ». Les dauphins payent un lourd tribut à l’activité humaine. Cela dit, selon le bilan des examens externes réalisés par les scientifiques de Pelagis sur les carcasses (pour celles dont l’état le permet), la mort par capture accidentelle représente aussi la principale cause de mortalité pour le marsouin commun. La question se pose de la responsabilité de la mort de ces milliers de cétacés.

Echouages mensuels de cétacés en 2020
Source : Observatoire Pelagis

Le gouvernement sommé d’agir mais toujours passif

Après la demande de 26 organisations de protection de la nature à la Commission européenne d’entamer une procédure d’infraction contre plusieurs pays dont la France pour mauvaise gestion des captures accessoires, la Commission a mis en demeure la France en juillet 2020 de prendre des mesures adaptées pour réduire les captures accidentelles de cétacés. Le gouvernement français devait aussi lui faire part des mesures envisagées sous trois mois. Au même moment, l’État a été condamné par le tribunal administratif de Paris pour « carence » dans la gestion de l’échouage de mammifères marins. Pour rappel, le dauphin commun est une espèce protégée.

La ministre de la Mer, Annick Girardin, reconnaît qu’il s’agit d’un sujet important. Cependant, elle a décidé de ne pas prendre de mesure temporaire d’interdiction des chalutiers pélagiques ni des fileyeurs, malgré les recommandations du Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) et de plusieurs organisations de protection de la nature. Le CIEM proposait en mai 2020 des mesures d’urgence consistant à suspendre temporairement les secteurs halieutiques responsables des captures accidentelles de dauphins communs pendant les mois de décembre à mars et de juillet-août, ainsi que l’installation de pingers – émetteurs d’ultrasons faisant office de répulsifs acoustiques pour éloigner les dauphins des lieux de pêche – sur les chalutiers. Le CIEM recommande aussi une véritable stratégie à long terme et des études approfondies.

À la place, depuis le 1er janvier 2021, obligation est faite pour les pêcheurs de signaler les prises accessoires au ministère et de mettre en place des pingers à bord de certains bateaux.  Le nombre de caméras à bord est aussi augmenté mais leur pose s’effectue sur la base du volontariat. Le ministère a aussi annoncé récemment une coopération renforcée avec l’Espagne et le Portugal pour mener des recherches scientifiques sur le phénomène. Le souci de la ministre reste donc de ne pas nuire à la filière concernée car, selon elle, les pêcheurs sont également soucieux de cette problématique par crainte notamment pour leur image.

Finalement, la ministre a obtenu de la Commission européenne la possibilité de rendre une réponse concertée avec tous les acteurs concernés – pêcheurs, scientifiques, élus, ONG – dans deux ans.

Une situation préoccupante qui demande des réponses urgentes

Pourtant, l’urgence est de mise. Selon Pelagis, le nombre de dauphins communs retrouvés échoués n’est que la partie visible de l’iceberg. L’estimation du nombre total de dauphins communs qui seraient morts après avoir été capturés par un filet de pêche en 2019 avoisinerait les 9 500 . Ceux qui ne s’échouent pas coulent au fond de l’océan. Les scientifiques de Pelagis et du CIEM s’inquiètent, à juste titre, de l’état de conservation de l’espèce dans le Golfe de Gascogne (1, 6). L’organisation Sea Shepherd a décidé de porter l’affaire devant le Conseil d’État pour qu’il suspende la pêche en urgence selon les recommandations du CIEM. Le Conseil d’État a rendu sa décision le 27 mars dernier : il estime que cette décision dépasse son pouvoir. Selon lui, « la fermeture des zones de pêches durant 4 mois ne serait efficace que si elle était appliquée année après année, durant une longue période. Cela revient donc à demander au juge des référés d’ordonner à l’État une mesure réglementaire non provisoire, ce qui dépasse ses pouvoirs en tant que juge de l’urgence ».

Pourtant, des mesures urgentes sont nécessaires pour atteindre, à terme, un encadrement clair de la pêche, prenant en compte le cycle de vie et le comportement des dauphins et des autres mammifères marins victimes de l’industrie halieutique. Un suivi organisé et des analyses toujours plus fines des mortalités, pour comprendre les facteurs qui perturbent la vie des dauphins, sont bien sûr indispensables.

Nikita Bachelard & Henri-Michel Baudet


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