Protection de l’animal sauvage libre par la loi : échecs et propositions

Malgré quelques tentatives, la mise en place d’une protection juridique pour l’animal sauvage vivant à l’état de liberté reste un combat encore difficile en France.

La protection de l’animal sauvage libre ne peut exister que dans la mesure où elle est prévue par la loi, raison pour laquelle diverses propositions de loi ont déjà été réalisées en la matière. Toutefois, la plupart d’entre elles n’ont pas abouti car elles proposaient un changement trop radical de la législation. Or, il vaut mieux que la protection de l’animal sauvage libre évolue doucement que pas du tout.

Le regrettable échec des précédentes propositions faites en faveur de la reconnaissance de la qualité d’être sensible à l’animal sauvage libre

Depuis plusieurs années en France, diverses propositions de loi ont été déposées dans l’objectif de reconnaître la qualité d’être vivant et d’être sensible aux animaux. Dans la plupart des cas, ces textes sont restés lettre morte. Parmi ces propositions, certaines étaient malgré tout très intéressantes et pourront donc nous être utiles dans notre réflexion.

En 2011, le député Roland Povinelli avait présenté une proposition de loi reconnaissant à l’animal sauvage le statut d’être vivant et sensible dans le code civil et dans le code de l’environnement. Dans ce texte, il interpellait notamment sur la faible protection accordée à l’animal sauvage libre qui n’existe, en droit français, qu’en tant qu’appartenant à une espèce de la faune sauvage et non pas en tant qu’individu. Il a en outre rappelé que la législation actuelle n’était pas cohérente dans la mesure où la sensibilité de l’animal sauvage vivant à l’état de liberté naturelle n’est pas reconnue alors qu’elle est accordée à l’animal sauvage qui est tenu en captivité et donc placé sous la main de l’Homme.

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C’est un bien triste récapitulatif de la protection de l’animal sauvage libre que nous fait Roland Povinelli dans ce texte puisqu’il nous rappelle également que « leur protection est ainsi mise à mal et ils peuvent être blessés, capturés, maltraités ou mis à mort en toute impunité ». Sa proposition de loi visait donc dans un premier temps à modifier le code civil afin que les règles applicables aux biens sans maître ne soient plus applicables aux animaux sauvages vivant à l’état de liberté qui relèvent du droit de l’environnement, et dans un second temps à modifier le code de l’environnement pour affirmer la nature  sensible des animaux sauvages vivant à l’état de liberté pour empêcher que ces derniers puissent être blessés ou tués en dehors des activités encadrées par la loi comme la chasse ou la pêche. Il semblait donc s’appuyer sur ce qu’avait proposé Suzanne Antoine dans son rapport sur le régime juridique de l’animal dans lequel elle expliquait qu’il y avait une incohérence des textes due à une ségrégation scientifiquement injustifiable entre l’animal domestique et l’animal sauvage libre. Elle appelait à prendre en compte la sensibilité de l’animal non pas en fonction de son rapport avec l’Homme mais en fonction de la capacité de son espèce à percevoir la douleur.

Malheureusement, aucune suite n’a été donnée à cette proposition de loi et cet échec pourrait être expliqué par le fait qu’elle manque peut-être de précision sur les conséquences qu’une telle réforme législative pourrait avoir. Par exemple, le texte nous parle des « animaux sauvages dotés de sensibilité vivant à l’état de liberté et n’appartenant pas aux espèces protégées », mais de quelle sensibilité parle-t-on et, parallèlement, de quelles espèces parle-t-on ? En effet, tout être vivant est sensible d’un point de vue scientifique et cette expression ne nous permet pas de savoir si son auteur désigne ici tous les animaux sauvages vivant à l’état de liberté ou s’il désigne simplement tous les animaux sauvages reconnus capables de percevoir la douleur par la science. Or, cette nuance peut changer beaucoup de choses, ne serait-ce que le rapport entre l’Homme et les insectes qui sont des animaux sauvages et libres mais dont la science n’a pour le moment pas démontré la capacité à souffrir.

Fort heureusement, la qualité d’être vivant est aujourd’hui reconnue aux animaux sauvages depuis la loi du 8 août 2016 relative à la reconquête de la biodiversité qui a modifié l’article L110-1 du code de l’environnement en remplaçant l’expression « espèces animales et espèces végétales » par les termes « êtres vivants ». Néanmoins, la sensibilité de l’animal sauvage libre n’est donc pour le moment toujours pas prise en compte par la législation française car finalement, rien n’a changé en pratique depuis l’adoption de cette loi.

D’ailleurs, lorsque cette loi pour la reconquête de la biodiversité a été débattue à l’Assemblée nationale, plusieurs personnes ont profité de cette occasion pour essayer de faire en sorte que la sensibilité de l’animal sauvage libre soit reconnue et inscrite dans le code de l’environnement. Ainsi, les députées Geneviève Gaillard et Laurence Abeille ont défendu un amendement qui visait à « donner à l’animal sauvage une place dans notre droit » puisque ce dernier n’a pour l’heure aucun statut et que même en cas d’actes de cruauté, « il ne bénéficie pas de la même protection qu’un animal domestique ». L’idée de cet amendement était donc d’instaurer un minimum de protection à l’animal sauvage vivant à l’état de liberté naturelle lorsque celui-ci n’est ni chassable, ni nuisible, ni protégé et qu’il est donc relégué à l’état de « biens qui n’ont pas de maître » ou de « choses qui n’appartiennent à personne et dont l’usage est commun à tous », alors que certaines de ces espèces sont pourtant menacées d’extinction.

Tout cela a donné lieu à un énorme débat à l’Assemblée nationale et certains propos qui leur ont été rétorqués ont été très choquants. En effet, l’ancienne ministre de l’Écologie Ségolène Royal avait entre autres répondu que « ces amendements sont bancals sur le plan juridique, car ils ne correspondent pas à ce principe : ils tendent à protéger non des espèces mais des animaux isolés […]. Votre amendement est motivé par des considérations liées à la protection animale – ce qui est tout à fait respectable en soi – et non par des raisons tenant à la conservation de la nature. Il ne relève donc pas de la logique de ce texte, car il n’a rien à voir avec la question de la biodiversité ». Finalement, même si son argument était justifié et que ces propos démontrent qu’une avancée est possible sur le plan juridique en matière de protection du bien-être animal, la ministre ne semblait pas avoir compris ce qui était proposé dans cet amendement.

Geneviève Gaillard et Laurence Abeille avaient également présenté une proposition de loi un an auparavant afin d’établir une cohérence des textes en accordant un statut juridique particulier à l’animal. Ce texte proposait notamment d’insérer un article 515-14 dans le code civil selon lequel « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Ils doivent bénéficier de conditions conformes aux impératifs biologiques de leur espèce et assurant leur bien-être », et de modifier l’article 521-1 du code pénal en remplaçant les termes « ou apprivoisé, ou tenu en captivité » du premier alinéa par les termes « domestique ou sauvage ». Cette proposition de loi était donc très ambitieuse, mais elle n’a elle non plus pas abouti, probablement parce qu’elle engendrait de trop fortes conséquences. En effet, en appliquant l’article 521-1 du code pénal aux animaux domestiques et sauvages, cela aura nécessairement de forts effets sur la chasse. Or, le lobby de la chasse est beaucoup trop puissant pour qu’une telle proposition soit politiquement acceptable pour le moment. Pour pouvoir faire avancer le droit de l’animal sauvage libre, il faut donc y aller pas à pas en essayant de trouver les termes adéquats afin d’aller vers une protection progressive et précise de celui-ci sans pour autant remettre en question toutes les pratiques exercées en France.

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À la recherche d’une proposition de loi de protection de l’animal libre envisageable et acceptable par le plus grand nombre

Dès lors qu’ils n’appartiennent pas à une espèce protégée, les animaux sauvages sont souvent perçus comme dangereux ou néfastes et sont à ce titre chassés et tués, sans qu’aucune protection individuelle ne leur soit accordée. Par conséquent, « le constat est sans appel : la protection dont bénéficient les animaux est doublement insuffisante. En premier lieu, faute de couvrir toutes les situations, la législation ne permet pas de garantir un ensemble de droits essentiels (droit à la vie, droit à la liberté, droit de ne pas être maltraité). En second lieu, l’approche par catégorie (soit par espèces, soit par activités) ne permet pas l’élaboration d’un véritable statut juridique ».

L’une des raisons faisant obstacle à la protection de l’animal sauvage libre et sensible est donc la protection de l’Homme. En effet, certaines espèces animales redoutées par l’Homme ont pendant très longtemps figuré dans les textes juridiques sous le vocable de « nuisible » mettant en lumière que certaines espèces d’animaux sauvages devaient être considérées comme « malfaisantes » ou menaçantes à l’égard principalement de l’Homme et de ses activités. On en a ainsi déduit sur le terrain juridique un droit de destruction pour les animaux considérés comme inutiles ou indésirables, même si depuis la loi du 8 août 2016, le terme « nuisible » a progressivement laissé place à celui de « susceptible d’occasionner des dégâts », qui est beaucoup plus adapté en ce sens que chaque animal a une place essentielle au sein de la biodiversité. Malgré tout, ces espèces d’animaux susceptibles d’occasionner des dégâts sont inscrites sur des listes qui, en fonction de l’évaluation des dommages, autorisent leur piégeage et leur destruction par des battues administratives.

Pire encore, il y a une réelle passion de certains êtres humains pour la chasse qui est alors ici considérée comme un « loisir ». En effet, la traque du gibier et les opérations effectuées lors de la préparation de la dépouille révèlent une culture cynégétique codifiée, immergée dans un vaste réseau de croyances, structurée autour de la symbolique du sang animal, ce sang noir du cerf et du sanglier dont la puissance génésique fascine les chasseurs les plus passionnés et hiérarchise la communauté des chasseurs. Ainsi, la chasse est finalement un jeu qui dessine la cartographie géographique et mentale d’un certain rapport au sauvage, celui de la captation symbolique de la force vitale du gibier, afin de développer certaines qualités viriles comme la patience, le courage, la ruse, l’endurance, ou encore l’agressivité.

Or si la lutte contre les animaux susceptibles d’occasionner des dégâts peut puiser son existence dans certaines justifications, ce n’est absolument pas le cas de la chasse de loisir qui revient simplement à tuer pour le plaisir. En effet, avec le développement de l’industrie agroalimentaire, les citoyens français n’ont plus besoin de chasser pour se nourrir : ainsi, la chasse de subsistance a presque disparue en France alors que la chasse de loisir persiste. Malheureusement, il est très difficile de modifier les dispositions encadrant la chasse car celle-ci est protégée par un lobby très puissant et soutenue par de nombreux membres du Parlement. En effet, 67 sénateurs font partie du groupe d’études « Chasse et pêche » et 130 députés font partie du groupe d’études « Chasse, pêche et territoires » en date du 22 mars 2021, autrement dit environ 21 % des membres du Parlement sont attachés à un groupe d’études concernant la chasse même si tous ne la soutiennent pas nécessairement.

A contrario, on estime qu’en moyenne 5 millions de Français ont un permis de chasse mais que seulement 1 million d’entre eux auraient été licenciés de la Fédération française des chasseurs en 2019 et donc eu la possibilité de chasser cette année-là, soit à peine 2 % de la population. Il y a donc là un fort déséquilibre au niveau de la représentation des intérêts des chasseurs au sein du Parlement. En conséquence, il n’est pas étonnant que ces pratiques aient du mal à être remises en question, et le gouvernement a par exemple autorisé les chasseurs à utiliser un silencieux sur leur arme par un arrêté en date du 2 janvier 2018. Cet arrêté a d’ailleurs été attaqué par l’association One Voice mais sans succès puisque le Conseil d’État a considéré que cette autorisation était nécessaire pour protéger l’audition des chasseurs.

Face à cette situation, la seule solution qui s’offre à nous pour protéger l’animal sauvage libre est donc de reconnaître la sensibilité des espèces sauvages vertébrées et de les protéger contre les actes de cruauté sans pour autant remettre en cause les pratiques de chasse ou de pêche pour le moment, ou du moins pas complètement.

L’idée que nous allons aborder ici consiste à s’appuyer sur les dernières avancées scientifiques pour reconnaître la sensibilité de l’animal sauvage libre dès lors que celui-ci est capable de ressentir la douleur, et ainsi de lui octroyer un minimum de protection légale pour le protéger des actes de cruauté ou des sévices graves qui pourraient être considérés comme abusifs. Toutefois, si cette reconnaissance progressive ne doit pas, dans un premier temps, remettre en question l’intégralité des pratiques qui peuvent porter atteinte à la vie ou à l’intégrité de l’animal, ces pratiques seront de toute évidence impactées par cette évolution dans un second temps et devront donc nécessairement évoluer.

Concernant la reconnaissance de la qualité d’être sensible à l’animal sauvage libre

L’article 515-14 du code civil dispose que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens ». Il pourrait être modifié afin de préciser que seuls les animaux domestiques ou appropriables peuvent être soumis au régime des biens, les animaux sauvages vivant à l’état de liberté étant quant à eux soumis aux différentes dispositions du code de l’environnement.

L’article 713 du code civil dispose que « les biens qui n’ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés. Toutefois, la propriété est transférée de plein droit à l’État si la commune renonce à exercer ses droits ». Il pourrait être complété afin de préciser qu’il n’est pas applicable à l’animal sauvage vivant à l’état de liberté.

Un article L411-1-1 pourrait être ajouté au code de l’environnement afin de prévoir expressément une interdiction de blesser, tuer, capturer, transporter ou vendre tout animal sauvage vivant à l’état de liberté, sauf lors des activités régies par les règlements propres à la chasse, à la pêche, à la recherche scientifique ainsi qu’à la protection de la santé publique ou vétérinaire et de la sécurité publique.

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Concernant la protection de l’animal sauvage libre contre les actes de cruauté et sévices graves

Un article 521-1-1 pourrait être ajouté au code pénal afin de punir de 30 000 euros d’amende et de deux ans d’emprisonnement toute personne ayant volontairement blessé ou tué un animal sauvage vivant à l’état de liberté sauf lors des activités régies par les règlements propres à la chasse, à la pêche, à la recherche scientifique ainsi qu’à la protection de la santé publique ou vétérinaire et de la sécurité publique.

Concernant la réforme de l’encadrement de la chasse

Dans un premier temps, l’article 424-4 du code de l’environnement dispose que « dans le temps où la chasse est ouverte, le permis donne à celui qui l’a obtenu le droit de chasser de jour, soit à tir, soit à courre, à cor et à cri, soit au vol, suivant les distinctions établies par des arrêtés du ministre chargé de la chasse ». Il pourrait être modifié en supprimant la mention « soit à courre, à cor et à cri » afin de définitivement exclure cette pratique qui est aujourd’hui plus que controversée.

Dans un second temps, l’article L424-3 du code de l’environnement qui autorise, sous certaines conditions, la chasse dans un terrain clos pourrait être abrogé. Pour justifier l’interdiction de cette pratique, nous pourrions argumenter sur deux fondements :

Parmi ces propositions, certaines ne seront envisageables que lorsqu’une réelle prise de conscience de la souffrance animale aura eu lieu. En attendant, tous ces sujets doivent nous alerter et orienter notre réflexion dans un sens plus favorable à l’animal.

Charlotte Grefe

Cet article est extrait d’un rapport de stage réalisé à la LFDA.


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