Au sein du Comité national d’éthique des abattoirs (CNEAb), alors que des consensus ont été trouvés afin d’améliorer le bien-être animal dans les abattoirs, le sujet de l’abattage des animaux sans étourdissement préalable reste bloqué.
Le Comité national d’éthique des abattoirs (CNEAb) a été mis en place pour suivre la recommandation phare du rapport parlementaire Falorni de 2016, à la suite de la diffusion de vidéos montrant des actes de maltraitance d’animaux en abattoirs. Ce rapport préconisait la mise en place d’un comité d’éthique réunissant toutes les parties prenantes concernées par les conditions d’abattage. Sa mission était de réaliser une analyse des attentes sociétales et de faire des propositions pour améliorer les pratiques en abattoirs.
Les recommandations du CNEAb
Après 18 mois de réflexions, 14 réunions et l’audition de plus d’une vingtaine d’experts, quel était le bilan ? Le CNEAb formulait 12 recommandations-clés publiées par le Conseil national de l’alimentation (Avis n° 82). Si, sur certains points techniques, un consensus était trouvé, ce ne fut pas le cas sur la question essentielle de la dérogation de l’étourdissement des animaux en abattage rituel. Le Consistoire central israélite s’est opposé à cet étourdissement préalable à l’égorgement ou même après qui permettrait pourtant d’éviter une longue agonie source de grandes souffrances. Le représentant du culte israélite a ainsi bloqué, à lui seul, une évolution attendue par une grande majorité des citoyens1. Les associations de protection animale ont exprimé leur déception de voir cette question éthique dans l’impasse.
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Un sous-groupe « Abattage sans étourdissement »
Devant cet échec, un sous-groupe de travail « abattage sans étourdissement » était constitué au sein du CNEAb dans le but de reprendre les échanges. Un nombre restreint de participants était convié pour faciliter les débats. Les organisations de protection animale avaient désigné l’OABA pour les représenter.
Lors de la première réunion, en février 2021, la réflexion de l’OABA s’argumentait sur trois piliers : le pilier scientifique concernant la souffrance animale lors de l’égorgement à vif, le pilier humain avec la tromperie des consommateurs et le pilier juridique avec le récent arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Cet arrêt indiquait clairement que les États membres pouvaient, sans méconnaître les droits fondamentaux de la liberté de manifester une religion, imposer un procédé d’étourdissement réversible n’entraînant pas la mort de l’animal. Ces arguments étaient soutenus par une large majorité des participants à cette réunion.
Pour le représentant du Consistoire central, parler d’un étourdissement préalable équivaudrait à interdire l’abattage rituel, c’était donc non négociable et la discussion serait close. Le débat était ainsi à nouveau bloqué.
Campagne contre l’abattage sans étourdissement
Face à l’impasse des discussions, l’OABA avait décidé le lancement, fin février, d’une campagne d’information (avec près d’un millier d’affiches 4 x 3 m dans 10 grandes villes et une vaste communication digitale) qui pointait une réalité que les pouvoirs publics n’assument pas : 62 % des abattoirs dérogent à l’obligation d’étourdissement. L’objectif était de faire pression sur le gouvernement pour qu’une décision politique soit prise pour imposer le recours à l’étourdissement, comme ce fut le cas dans de nombreux pays européens (exemple récent des provinces belges : Wallonie et Flandre). La France campe sur une position largement minoritaire en Europe, faisant de ce pays le leader de l’abattage sans étourdissement avec l’exportation de viande halal et plus modérément kasher…
Des représailles ?
En réaction à cette campagne de l’OABA, plusieurs représentants de la filière viande et le Consistoire central israélite, dans une lettre commune du 17 mars, demandaient de faire taire l’OABA en « interdisant, pendant toute la durée des travaux du sous-groupe, de mener des actions qui seraient de nature à compromettre cette concertation ». Il nous paraît inconcevable que, pendant une concertation dont la durée est imprévisible et l’issue incertaine, il soit interdit à une association de communiquer sur ce sujet de l’abattage sans étourdissement…
Si les professionnels de la filière viande et le culte israélite entendent défendre, les uns leurs intérêts économiques, les autres leur liberté de religion, les associations doivent pouvoir disposer de leur liberté d’expression pour défendre le droit des animaux et la liberté de conscience des consommateurs. Mais président et vice-président du sous-groupe décidèrent d’interrompre ses travaux. Le CNEAb pliait ainsi, au mépris de l’éthique et des attentes sociétales fortes sur les thématiques de la bientraitance animale en abattoir.
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Et l’éthique dans tout cela ?
En France, les gouvernements successifs refusent l’étiquetage du mode d’abattage, continuant à tromper les consommateurs en leur faisant consommer, à leur insu, de la viande provenant d’animaux abattus sans étourdissement. Les abattoirs poursuivent l’égorgement à vif de millions d’animaux alors que cette pratique est source d’une grande souffrance animale comme en témoignent tous les travaux scientifiques sérieux et comme l’a reconnu, à deux reprises, la Cour de justice de l’Union européenne.
Dans un pays laïc, l’éthique de l’abattage des animaux devrait tenir compte de la Science et du Droit et non de préceptes religieux…
Docteur Jean-Pierre Kieffer, vétérinaire, Président de l’OABA
1. 74% des Français désapprouvent la dérogation de l’abattage rituel qui permet de ne pas étourdir les animaux avant leur abattage (Sondage Ifop commandé par l’OABA, mai 2020).