Une enquête de Fabienne Chauvière, L’intelligence du vivant – dix scientifiques racontent, Flammarion, Paris, 2020.
Dans cet ouvrage, dix scientifiques s’intéressent à l’intelligence du vivant. Chacun présente des exemples de comportements complexes et démontre les capacités des êtres vivants à s’adapter au monde qui les entoure.
Après un livre collectif sur Les grandes épopées qui ont fait la science, qui a connu un succès considérable, Fabienne Chauvière, créatrice de l’émission radiophonique « Les savanturiers », nous présente un nouvel ouvrage à voix multiples, où une dizaine de scientifiques vise à définir « l’intelligence du vivant ». Entendons-nous bien : il ne s’agit pas uniquement de l’intelligence animale dans son sens classique, encore que certains chapitres lui soient clairement consacrés. Il s’agit de tous ces phénomènes complexes, à base génétique ou non, qui permettent aux êtres vivants une étonnante adaptation au monde qui les entoure.
Ainsi l’intelligence du vivant, c’est aussi celle des bactéries, ces « microbes (qui) pullulent dans l’obscurité de notre corps et nous rendent bien des services » (p. 242), comme l’éducation de notre système immunitaire, ainsi que nous l’explique Patrice Debré. C’est également la vie souterraine de champignons (Marc-André Selosse), si importante pour la plupart de plantes, en une vraie « symbiose planétaire » (p. 54). C’est aussi « l’inventivité des plantes » (François Bouteau, p. 67) : « les plantes réagissent aux sons. Elles utiliseraient le bruit pour se diriger… et seraient sensibles au bourdonnement des abeilles » (p. 71). Pour l’écologue Jacques Tassin, si les plantes ne sont pas capables de se déplacer, « elles savent très bien se servir des animaux, qui leur apportent ce dont elles ont besoin pour survivre ou se reproduire » (p. 188). Et on peut même ajouter, sur ce plan de « l’intelligence du vivant », que « ce sont les plantes qui mènent la danse ! Elles ont toujours su s’adapter » (p. 193). Enfin la chercheuse Audrey Dussutour, nous conte les mystères de la créature étonnante dont elle est la spécialiste, un être communément appelé le « blob », une sorte de masse cellulaire informe, lointaine cousine de l’amibe, qui peut manger, se déplacer « sans jambes, ni cerveau » (p. 23) et est même capable « d’apprendre et de résoudre des problèmes » (p. 29), avec une sorte de mémoire élémentaire dont les bases questionnent beaucoup les scientifiques.
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Mais bien sûr, il est aussi question de l’intelligence animale telle que nous la comprenons généralement, celle qui est liée à l’action d’un système nerveux. Des considérations générales sont formulées par Fabienne Delfour, qui souligne combien il est difficile de comparer des intelligences chez des animaux qui se meuvent dans des registres comportementaux complètement différents. Impossible, par exemple, de dire si un éléphant est plus intelligent qu’un chimpanzé ou qu’un dauphin. Si « être intelligent (…) c’est posséder la capacité de s’adapter aux situations » (p. 93), il reste très difficile de faire des comparaisons chiffrées entre les espèces. Il en est de même des performances émotionnelles qui dépendent beaucoup de la « personnalité » des animaux sans qu’il soit possible d’établir clairement une hiérarchie. Ces chemins multiples de l’intelligence des animaux sont partiellement défrichés pour nous par Loïc Bollache. Il nous montre comment « certains singes ont élaboré un langage complexe et subtil muni d’une véritable grammaire » (p. 205). Il nous rappelle toute la subtilité du langage (dansé) des abeilles. Il évoque les multiples aspects de la socialité et de l’empathie chez beaucoup d’animaux. Un point essentiel de l’intelligence animale, qui est développé par Guilhem Lesaffre et Maxime Zucca, c’est celui de l’intelligence des oiseaux, qu’on avait longtemps voulu concevoir comme inférieure à celle des mammifères, ce qui est absolument faux. Des oiseaux comme les perroquets, les corvidés ou les geais manifestent, dans leurs aptitudes de mémoire, de résolution de problèmes ou de maniements d’outils, des performances très comparables à celles des mammifères. Plus étonnant encore : les pieuvres, des invertébrés cousins des escargots, se sont avérées beaucoup plus intelligentes qu’on ne le pensait. Comme le rappelle Laure Bonnaud-Ponticelli, ces mollusques, qui « semblent venir d’une autre planète (…) utilisent des outils » (p. 159), et sont capables de se représenter leur propre corps. Au total, le comportement animal a beaucoup à nous apprendre comme en témoigne Tarik Chekchak dans sa présentation du biomimétisme, qui est « l’art de s’inspirer de la nature pour essayer de résoudre des défis et des problématiques humains » (p. 135).
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Évidemment, on ne résume pas, en quelques pages, même très variées, des domaines aussi vastes que l’intelligence du vivant ou même l’intelligence animale. Le grand mérite de l’ouvrage de Fabienne Chauvière est de nous en présenter quelques-uns des principaux aspects d’une manière très claire et particulièrement agréable à lire.
Georges Chapouthier