Les animaux dits « sauvages » d’après Le Figaro, Le Monde et Libération

Sachant que toutes les espèces, un peu partout sur la planète, subissent les impacts du mode de vie de l’humain, cet article se propose d’analyser le discours sur les animaux dits « sauvages » dans la presse quotidienne française (le trio de tête que forment les sites web d’information généraliste Le FigaroLe Monde, et Libération). En partant des représentations médiatiques des animaux qui vivent en liberté, l’auteure explore dans quelle mesure celles-ci captent, informent et contribuent au débat public.

grenouille

À la recherche de la liberté perdue: les mammifères au premier plan

Dans Le FigaroLe Monde et Libération, les entrailles de la Terre, le ciel et la mer n’ont guère de place sur le tableau de gros titres traitant d’animaux sauvages (15 %). D’après l’étude L’inscription de l’éthique animale dans le débat public (Lage, 2018), les êtres du sol, les oiseaux et les poissons ont du mal à trouver leur place dans le trio de tête que forment ces sites web d’information généraliste. Ce sont essentiellement les mammifères terrestres qui y sont représentés. Les références relatives à ceux qui sont considérés comme « nuisibles », tels le « putois », le « ragondin » et le « rat » ne comptent pas plus de 2 %. Au-dessous de ce pourcentage, les exceptions valent pour la « corneille », le seul représentant des oiseaux, ainsi que pour le « scarabée pique-prune », l’unique ambassadeur des insectes.

Pour ce qui est des habitants de la mer, s’y ajoutent la « pieuvre », le « requin » et le « poisson ». Principalement incarnés par le « dauphin », 83 % des gros titres qui font mention des « cétacés » sont relatifs à des contextes de captivité. En général, les mammifères sont représentés en dehors de leur habitat, dans un contexte de réflexion sur la légitimité de leur utilisation dans les divertissements.

La discussion à propos de la fin de la captivité des cétacés apparaît comme le point de départ d’un débat sur un droit violé de leur liberté, comme promesse de liberté pour les générations futures. Un article du Figaro en fait écho en annonçant qu’une chaîne pour enfants ne diffusera plus de spectacles avec des animaux sauvages, mais montrera « les animaux dans leur milieu naturel, notamment dans les réserves ».

À part la mention d’un ours comme individu, la particularité du gros titre du Figaro « Colombie : la justice libère l’ours Chucho » est d’exposer un cas qui marque d’une pierre blanche le combat pour le respect de la vie animale : grâce à un Habeas corpus, Chucho retrouve sa liberté dans les montagnes d’une réserve au climat froid. Cela représente la fin de la captivité d’un animal dans des conditions inadaptées à son espèce et montre qu’il n’y a pas d’interdit juridique à qualifier un être non humain de « personne ». Cet exemple permet d’envisager l’extension d’une sauvegarde, ainsi que d’un territoire adapté à l’intérêt des animaux sauvages, sous forme de réserves.

En ce qui concerne les êtres auxquels a été accordé le statut de personne non humaine en 2013, en Inde, les signataires de la Tribune de Libé « Contre la captivité des cétacés » demandent que les animaux soient transférés dans des sanctuaires marins adaptés, tout en assurant des centres de sauvetage pour ceux qui vivent en liberté. La réflexion qui se dégage est donc de penser à la concession, de la part des humains, d’une partie du territoire.

Plutôt que d’ériger des frontières et de préserver des espaces vierges de toute empreinte humaine – type parcs nationaux –, Le Monde propose de reconnecter les populations d’humains et non-humains, afin de mieux protéger ces derniers et de préserver leur habitat. Cela peut se lire comme une nouvelle voie pour l’interprétation du bien-être de l’animal sauvage, soit l’assurance d’une vie en liberté, dans un habitat adéquat, sans avoir à être exploité.

« L’humanisme  » ou la recherche d’une liberté sans frontières

À part l’aigle, les animaux qui vivent en liberté les plus mentionnés sont l’ours (33 %), le loup (33 %), le cerf (22 %) et le lynx (11 %). La réalité française dont les quotidiens rendent compte (59 %) est qu’en raison de l’impact des activités de l’humain (urbanisme, pastoralisme, pollution, exercice dans la nature, etc.), le territoire diminue à la cadence à laquelle le statut d’espèce protégée (pour l’ours, le loup et le lynx) se vide de sens.

Dans les gros titres relatifs au contexte international (41 %), quand les éléphants (33 %) et les rhinocéros (11 %) ne fuient pas les chasseurs, ils sont élevés pour être réduits à des objets. Les quotidiens « parlent » de parties de cadavres de gros mammifères, représentés en tant qu’objets par le lexique « trophées » et « cornes ». Un des gros titres du Monde a beau inscrire qu’« Il ne faut plus considérer les animaux comme des ressources mais comme des cohabitants de notre planète », les articles témoignent de l’incapacité de s’adapter à une coexistence qui respecterait les intérêts des uns et des autres : dans 40 % des gros titres, il est sous-entendu que les animaux ne sont plus en vie. Si les quotidiens ne rapportent pas d’extinctions, le lexique « disparaître » et « sauver » témoigne de la colonisation du territoire par l’humain sur terre et en mer. Pour autant, l’impact sur les animaux n’est sous-entendu que dans 29 % des gros titres, tandis que dans les articles correspondants, celui-ci est énoncé en tant que conséquence sur la santé et l’activité économique de l’humain.

La souffrance du peuple des océans racontée à travers les cétacés

Les mentions des quotidiens évoquent une vie insoutenable, ainsi que la condamnation des habitats des animaux marins. Lors des mentions des cétacés, les gros titres sont révélateurs de tension constante entre les intérêts des humains et de ces êtres qui sont des prises accessoires et non-voulues de la pêche.

Les collisions avec de gros navires, ainsi que les captures accidentelles par des bateaux, sont un phénomène identifié lors de la pêche d’espèces de poissons qui affectionnent les mêmes lieux que les dauphins communs. Néanmoins, cette hypothèse semble être écartée par Le Figaro dans l’article « Var : enquête après l’échouage de dauphins ». Le quotidien ne semble pas établir le lien que les chercheurs ont repéré depuis quelques années : l’effet du bruit dû aux sonars des navires, aux moteurs (ou encore aux extractions minières). La réponse réside dans un autre de ses articles : « Les marsouins, champions du contrôle cardiaque » : si le cétacé est « concentré » sur sa plongée, ces sons pourraient le « paniquer » et le conduire à remonter sans raison, en urgence, à la surface de l’eau. Cela pourrait provoquer des accidents de décompression déjà relevés chez des mammifères marins échoués.

La question de l’impact de la consommation de poissons par les humains et les animaux domestiques n’est donc pas abordée, faute peut-être de remettre en question l’activité qui lui est associée, alors que son effet est réel sur l’état de conservation des populations de plusieurs espèces marines.

Si les effets nocifs de la pollution sonore sur la santé humaine sont connus depuis longtemps, le gros titre du Figaro« Le bruit des hommes affaiblit les bêtes » indique que l’excès de bruit provoqué par l’humain commence à être considéré comme étant tout aussi nuisible pour les animaux. Timidement, certes, mais de façon plus visible que la mobilisation des pouvoirs publics. La pleine intégration des mesures visant à la diminution du bruit dans la politique d’aménagement du territoire et de mobilité ne semble pas se jouer au même titre que les enjeux de la qualité de l’air et de l’adaptation au changement climatique. La mention de l’impact de la pollution sonore reste pourtant intimement liée à la pollution de l’air, de l’eau, de la terre.

Les conséquences du bruit sur la santé de la « faune sauvage » n’ont été que très peu étudiées. Cependant, à partir de la référence à la découverte selon laquelle le bruit influence les capacités de séduction des mâles, d’autres conclusions ont émergé : soumis au bruit généré par les activités humaines, les animaux ont une moins bonne capacité de guérison et sont alors probablement plus sensibles aux maladies. Indépendamment du lexique « bêtes » – à connotation péjorative –, le quotidien contribue à la réflexion sur l’impact de la pollution sonore sur ces derniers. Un point de départ pourrait donc s’entrevoir dans la prise en compte de la perspective des animaux sauvages.

Le fait que 95 % des espèces marines soient menacées par la (sur)pêche, et les dégâts causés par celle-ci est rarement énoncé. La représentation des poissons demeure marginale, malgré le fait qu’il s’agisse de « la catégorie la plus exploitée par l’humanité – 2000 milliards d’individus pêchés chaque année dans le monde ».

Si ces êtres sont dotés de sensibilité et de mémoire, leurs cris sont silencieux à l’ouïe de l’humain, note la Tribune de Libé « Prendre au sérieux les intérêts des poissons ». Cet appel d’un collectif de chercheurs interpelle dans le sens de « reconsidérer le bien-fondé des pratiques meurtrières pour ces êtres » et s’accompagne d’une réflexion sur l’impact d’un régime alimentaire à base de « viande blanche », qui semblerait plus légitime que de consommer de la viande rouge, associée à la souffrance des mammifères. « Les gens consomment de moins en moins de viande à cause des scandales dans les abattoirs, mais ils se réfugient un peu dans le poisson », peut-on lire dans « Manifestation contre la souffrance des poissons », du Figaro. Pourtant, en ce qui concerne l’élevage de poissons, Libération dresse un portrait qui dépasse en intensité les pires élevages de volailles (« Aquaculture : nourrir la planète mais à quel prix ? »). Les poissons y sont représentés en tant qu’animaux d’élevage, ainsi que sauvages : « 20 % des captures mondiales de poissons sauvages sont pour nourrir des poissons d’élevage ». En réalité, le fait de se réfugier dans la consommation de poissons est rarement considéré comme un indice du transfert de souffrance subie par les animaux dits « d’élevage » par celui des animaux marins, dont les poissons et les mammifères qui vivent en liberté.

Conclusion: le dessous d’une vie de liberté

À une vie soumise au combat pour survivre, les animaux qui vivent en liberté subissent en plus les conséquences des choix de consommation de l’humain, en y laissant souvent leur vie : voici la réalité dont Le FigaroLe Monde et Libération rendent compte de façon récurrente.

D’une part, cette inscription est révélatrice du manque d’un réel investissement dans la protection de ces êtres de la part de l’État, ainsi que de l’incapacité de surmonter les obstacles sociopolitiques. D’autre part, si les dénonciations se multiplient, il y a une absence de mise en cause des modes de production, ainsi que de la reconversion de l’économie.

Certes, les contributions à la réflexion du bien-être des animaux sauvages restent ponctuelles et associées aux mammifères. Néanmoins, elles offrent la possibilité d’être répliquées et ouvrent une nouvelle voie pour son interprétation. En reconnaissant leur besoin vital de vivre en liberté, la réflexion ne peut se faire sans envisager des formes de coexistence avec les humains sur un même territoire qui considère les intérêts des uns et des autres.

Sandrine Lage


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