La centaine de centres de soins à la faune sauvage sont, en France, les seuls établissements habilités à assurer les soins sur la faune en détresse. L’animal en détresse est défini par l’arrêté de 1992 qui les régit comme « momentanément incapable de pourvoir à sa survie dans le milieu naturel ». Cet arrêté donne mission aux centres de soigner l’animal sauvage en vue de sa réinsertion dans la nature.
Trente ans déjà avant cet arrêté, des particuliers passionnés accueillaient chez eux des animaux en détresse, souvent des rapaces dont les populations se portaient mal, notamment du fait de l’usage du pesticide DDT. Plus loin encore dans le temps, la prise en charge d’un animal sauvage en détresse par un humain pris de pitié est un fait récurent dans la littérature.
Les centres de soins sont très majoritairement des structures associatives qui œuvrent au carrefour de la protection animale, de la protection de la Nature, de la sociologie et de la science.
Au service du vivant
Les centres de soins participent directement et indirectement à la préservation de la biodiversité. Directement par l’accueil de plus de 100 000 animaux par an, indirectement par la médiation qu’ils exercent en informant le public sur les solutions de bonne cohabitation avec le vivant. L’augmentation des accueils, de l’ordre de 20 % par an sur la dernière décennie, questionne : la faune sauvage est-elle de plus en plus en détresse et/ou les citoyens sont-ils de plus en plus sensibles à la souffrance des animaux sauvages avec lesquels ils partagent un territoire ?
L’action bénéfique directe des centres pour la biodiversité peut être discutée car les 100 000 animaux accueillis n’appartiennent pas tous à des espèces de forte valeur patrimoniale ; cependant, les trois-quarts d’entre eux appartiennent à des espèces protégées. Les espèces les plus représentées sont le hérisson d’Europe, le martinet noir ainsi que les familles des passereaux, des colombidés et des rapaces. Il s’agit principalement d’espèces anthropophiles dont les individus en détresse peuvent être facilement découverts dans les rues et les jardins des zones urbaines et péri-urbaines.
En matière de biodiversité, le public n’a pas la même vision que le naturaliste. Il n’a qu’une notion très vague du statut des espèces et ne les hiérarchise pas, il voit peu de différences entre le sauvetage d’un moineau et celui d’un gypaète barbu, l’un et l’autre pour lui représentent la biodiversité.
L’action bénéfique indirecte des centres sur la biodiversité l’emporte sans doute sur l’action directe car ce sont des structures très actives pour informer le public sur l’impact de l’activité humaine sur la faune sauvage. Les soignants sont au contact du public lors du dépôt des milliers d’animaux mais les médiateurs le sont aussi en répondant aux centaines de milliers de demandes de renseignements.
Pour certains naturalistes, il faut « laisser faire la nature », pourquoi intervenir sur un animal sauvage en détresse ? Parce que la cause de leur détresse est presque toujours d’origine anthropique.
Le sauvetage d’un animal n’est pas une ingérence dans un cycle naturel équilibré, il s’agit d’intervenir dans un déséquilibre dont nous sommes à l’origine.
Le public est très sensible à ce message que portent aujourd’hui les centres de soins : l’homme se doit de réparer les dégâts qu’il occasionne. Les plus anciens responsables de centre ont vu cette sensibilité poindre et aller croissant depuis moins de 15 ans. Le traitement de plus en plus fréquent par les médias des conséquences des activités humaines sur la biodiversité a certainement beaucoup contribué à cette évolution.
Parallèlement, s’exprime aussi une préoccupation sociétale légitime : prendre en charge la souffrance d’un individu avec une égalité de soins, qu’il soit domestique ou sauvage. Cette demande apparaît plus marquée en milieu citadin où la perception de l’animal est d’abord celle de l’animal familier auquel on doit protection, qu’en milieu rural où la perception utilitaire est encore très présente.
Ainsi, la faune en détresse intervient comme un trait d’union entre deux mondes qui se côtoient mais se croisent peu : le sauvage et l’humain, surtout urbain et péri-urbain. Tous les centres de soins vivent au quotidien le désarroi du citoyen qui a trouvé un hérisson blessé et qui partage la détresse de l’animal. Dans son emploi du temps millimétré, il va amener l’animal à son travail, trouver un vétérinaire sur la pause déjeuner, chercher une solution sur internet et parvenir enfin en centre de soins. Là, citoyen désemparé mais concerné, il rencontrera le soignant ou le médiateur qui lui révèlera la proximité de la vie sauvage et lui délivrera des messages simples qui seront autant de découvertes pour lui : « La plaie, voyez-vous, est probablement due à une tondeuse. Malheureusement, c’est une femelle allaitante, la portée est probablement perdue pour cette année… Avez-vous pensé à laisser des zones de friches dans votre jardin ? ».
Des structures essentielles mais fragiles
Portées par une forte motivation, les équipes soignantes sont composées en grande majorité de bénévoles, faute de moyens pour disposer de professionnels en nombre suffisant. Ce sont des équipes sous-dimensionnées qui doivent faire face à une demande croissante de médiation et de prise en charge d’animaux dans un contexte de forte préoccupation des citoyens pour le bien-être animal.
Plus que tous autres sans doute, les soignants sont eux aussi sensibles au bien-être animal mais dans le respect de sa nature sauvage : ils ne s’attachent pas, ne font pas d’anthropomorphisme et gardent à l’esprit la nécessité de relâcher des animaux en pleine possession de leurs moyens, totalement indépendants de l’humain, but ultime de leur mission.
Accomplir cette mission, en sous-effectif constant, a cependant un coût, celui de l’épuisement physique et psychologique. Dans la période de haute activité, en printemps-été, il est habituel que les professionnels doublent leur temps de travail, sans rémunération supplémentaire. Tout à la fois, ils soignent les animaux, forment les bénévoles, organisent le travail. Faute de temps, ils ont le sentiment de ne pas faire aussi bien qu’ils le devraient, relèvent des morts tous les jours, comme dans un hôpital militaire, sur le front de l’urgence climatique et de l’érosion de la biodiversité. Comme dans les hôpitaux pour humains, eux aussi connaissent le syndrome d’usure compassionnelle.
Malgré le service rendu à la société, reconnu d’intérêt général, les centres de soins sont peu aidés par les pouvoirs publics. Structures à but non lucratif, leur financement est essentiellement privé et leur précarité financière permanente.
Ainsi, l’État et la plupart des collectivités territoriales n’ont pas encore pris la mesure de l’enjeu sociétal, sanitaire et éthique de la prise en charge de la faune en détresse. Les équipes des centres, pourtant, ont à cœur de proposer sans cesse une meilleure qualité de service aux citoyens et aux animaux.
Tous acteurs de l’impact anthropique qui pèse aujourd’hui sur la faune sauvage, c’est un défi collectif que d’être également tous acteurs de sa sauvegarde.
Jean-François Courreau, président de Réseau centres de soins faune sauvage
Manon Tissidre, coordonnatrice de Réseau centres de soins faune sauvage