Le congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) s’est tenu à Marseille du 3 au 11 septembre. Reporté à cause de la pandémie de Covid-19, le Congrès devait, au départ, avoir lieu en juin 2020. C’est finalement huit jours de dialogues de haut niveau, de tables rondes, d’assemblées des membres de l’UICN, d’exposition, etc. qui se sont achevés, aboutissant à un bilan en demi-teinte.
Si la France, pays d’accueil du Congrès, se félicite « des avancées obtenues pour préserver et restaurer la biodiversité », certaines associations participantes ont mis en avant les occasions ratées et le manque d’ambition des mesures prises. À l’issue de ce congrès, un programme pour les années 2021-2024, intitulé « Nature 2030, une nature, un futur », a été approuvé. Un second document, le Manifeste de Marseille retrace les engagements pris lors du Congrès.
Le contexte du septième Congrès mondial de la nature
Crée en 1948, l’UICN est une ONG qui regroupe plus de 1400 membres, provenant de 170 pays : États et agences gouvernementales ainsi que des organisations de la société civile (ONG environnementales, organisations de peuples autochtones, institutions scientifiques et associations d’entreprise). Au niveau scientifique, l’UICN s’appuie sur les évaluations de plus de 18 000 experts. Tous les quatre ans, elle organise le Congrès mondial de la nature, « plus grand évènement environnemental au monde ». C’est au cours de ce Congrès que sont discutées les problématiques actuelles de conservation et de développement durable, et qu’est approuvé un programme d’action pour les années à venir.
Cette année, le Congrès a été marqué par la pandémie mondiale, qui s’est d’abord ressentie dans la participation, bien inférieure à celle attendue.
L’un des axes de la stratégie mise en place pour les prochaines années est la reprise post-pandémie. Après avoir assisté à une prise de conscience généralisée de l’état de la biodiversité et de la nécessité de changer radicalement nos comportements et notre modèle économique, la reprise post-pandémie s’annonce comme une occasion rêvée d’ouvrir « la porte à des changements transformateurs ».
L’inclusion, maître-mot du Congrès
Le 10 septembre, une motion a été adoptée, approuvée par l’Assemblée des membres. Elle vise à inclure les autorités locales dans la gouvernance de l’UICN comme membres à part entière. Durant le Congrès, l’UICN a collaboré avec cinq multinationales : LVMH, Pernod Ricard, l’Occitane, Holcim et Kering, qui se sont engagées à « restaurer et développer la biodiversité grâce à des stratégies d’entreprise axées sur la nature, qui seront intégrées à leurs paysages opérationnels et leurs chaînes d’approvisionnement, mesurées et présentées dans un rapport ». Cela reflète la stratégie de faire des entreprises, des acteurs du changement, les cinq multinationales ayant un chiffre d’affaires annuel combiné de 92 milliards de dollars et employant près de 300 000 personnes. Les objectifs environnementaux semblent en effet difficilement atteignables s’ils excluent la participation des multinationales. Toutefois, cette stratégie n’est pas partagée par tous et la liste des sponsors et partenaires de l’évènement a fait quelque peu grincer des dents (on y retrouve Nutella, qui consomme d’énormes quantités d’huile de palme et est décrié pour ses conditions de travail indignes). Parmi les partenaires du Congrès, on compte EDF, Véolia, la CMA-CGM, la SNCF et bien d’autres encore. Le Medef était également présent à l’évènement.
On notera aussi une large participation des peuples autochtones, leur rôle dans la conservation ayant été mis en avant durant le Congrès. Les jeunes, considérés comme des « catalyseurs vitaux du changement »(page 13), les femmes et les minorités doivent être inclus dans le processus décisionnel ; le programme Nature 2030 prévoit de privilégier les partenariats inclusifs et intergénérationnels.
Le renforcement de l’état de droit environnemental
Un des objectifs de l’UICN est de combler les lacunes du droit de l’environnement et de son application. Lors du premier Congrès mondial de l’UICN sur le droit de l’environnement en 2016, une déclaration avait été adoptée, définissant ce qu’est l’état de droit environnemental. Il s’entend du « cadre juridique énonçant les droits et obligations, d’ordre procédural et substantiel, qui intègre les principes du développement écologiquement durable dans l’état de droit. ». Dans cette déclaration, l’UICN reconnaissait « les lacunes du droit de l’environnement et carences actuelles qui empêchent le droit de l’environnement d’assurer une protection adéquate de l’environnement et de lutter contre les crimes environnementaux ». L’UICN incite les États à se doter de cadres judiciaires solides et d’institutions indépendantes. Elle propose aussi de collaborer avec des procureurs, des juges et des avocats pour les sensibiliser au droit de l’environnement et ainsi renforcer son application et son effectivité.
Manifeste de Marseille: les messages clés et les engagements du Congrès
Le Manifeste est un document qui retrace les travaux du Congrès. Dans ce Manifeste, l’Union s’engage à prendre plusieurs mesures : « mettre fin à la perte de biodiversité en s’engageant en faveur d’un cadre mondial de la biodiversité pour l’après 2020 qui soit transformateur, efficace et ambitieux » et de « faire face aux risques et impacts de l’urgence climatique ». Pour atteindre ces objectifs, elle fait appel à tous les acteurs de la société et donne des lignes directrices pour qu’ils réduisent les pertes de biodiversité et le réchauffement climatique. La France s’est engagée à :
- Parvenir à 30 % d’aires protégées au niveau national d’ici 2022, et protéger fortement 5 % de ses aires maritimes méditerranéennes d’ici 2027, soit 25 fois plus qu’actuellement.
- Participer aux efforts visant à faire avancer l’action internationale de protection des océans en organisant avec l’ONU un Sommet sur les océans.
- Accélérer la lutte contre la déforestation importée (importation de produits contribuant à la déforestation) et protéger les forêts avec l’Alliance pour la préservation des forêts tropicales humides.
- Promouvoir un traité sur la pollution par les matières plastiques.
- Intégrer les risques financiers liés à la perte de biodiversité à l’analyse économique et financière et renforcer les investissements favorables à la biodiversité, notamment les solutions fondées sur la nature qui appuient la transition écologique dans l’agriculture, les forêts, les sols et les puits de carbone.
Pour finir, la France, qui assurera la prochaine présidence du Conseil de l’Union européenne, entend mettre en avant, lors des discussions, les enjeux de conservation de la nature. Le Président de la République entend notamment faire avancer l’Union sur la lutte contre l’artificialisation des sols ou contre les pesticides. Toutefois, il faut rappeler que les élections présidentielles tomberont pendant cette période.
Des motions restant à concrétiser
Plusieurs motions avaient déjà été adoptées en 2020 par voie électronique. Durant le Congrès, dix-neuf motions supplémentaires ont été adoptées. Ces motions, non contraignantes, doivent ensuite être reprises par les États dans leurs politiques publiques.
Parmi les motions adoptées, on retrouve : l’établissement d’une commission du changement climatique, la reconnaissance du lien entre crise de la biodiversité et changement climatique, la protection des lanceurs d’alerte, la protection et la restauration de 80 % de la forêt amazonienne d’ici à 2025, la fin de la pollution plastique dans les océans d’ici 2030, la réduction de l’impact de l’industrie minière sur la biodiversité, ou encore la réduction de la pollution sonore des océans.
La question qui se pose alors est celle de savoir quel est le poids de ces motions, si elles ne sont pas contraignantes ? Les Cop-15 biodiversité et Cop-16 climat se déroulant respectivement en octobre et novembre, les motions et les résolutions devraient servir à orienter les débats et inciter les gouvernements à prendre des mesures concrètes.
L’une des multinationales qui s’étaient engagées à axer leurs stratégies d’entreprise sur la conservation de la nature, le groupe de mode Kering, a annoncé, moins de deux semaines après la fin du Congrès, renoncer totalement à l’utilisation de la fourrure. Il reste à espérer que d’autres vont lui emboiter le pas. À ce sujet, LVMH fait encore de la résistance.
Et la préservation des espèces animales dans tout ça?
La préservation des espèces animales est une des préoccupations de l’UICN. En 2016, lors du dernier Congrès à Hawaï, le commerce illégal de la faune sauvage était au centre des débats. À la suite de longues délibérations, il a été demandé à tous les gouvernements de prendre des mesures pour fermer les marchés intérieurs de l’ivoire d’éléphant. L’attention s’était également portée sur le braconnage de vigogne pour sa laine, et la protection des chauves-souris sauvages. Cette année, l’UICN réitère son engagement dans la lutte contre le trafic d’espèces sauvages : « l’UICN s’efforcera de ramener l’utilisation et le commerce de la faune et de la flore sauvages à des niveaux durables et de lutter contre le commerce illégal des espèces sauvages et de le réduire.» (p.15).
Enfin, l’UICN a profité du Congrès pour mettre à jour sa Liste rouge des espèces menacées. Cette liste est un indicateur mis en place en 1964 pour mesurer l’état de la biodiversité. À propos de chaque espèce, on retrouve des informations concernant son état de conservation, la taille de la population, les principales menaces, et les mesures de conservation à adopter. Cette liste peut donc servir de base scientifique aux gouvernements pour mettre en place des mesures adaptées à la préservation d’une espèce en particulier. Cette année, il ressort de l’évaluation que 28 % des espèces sont menacées d’extinction, dont 37 % des espèces de requins et de raies, 14 % des oiseaux, 26 % des mammifères, 28 % des crustacés et 41 % des amphibiens. Toutefois, si certaines espèces ont malheureusement disparu à l’état sauvage, d’autres sont en voie de rétablissement, ce qui montre que les mesures de conservation portent leurs fruits. À titre d’exemple, quatre espèces de thon sont en voie de rétablissement grâce aux quotas de pêche mis en place par certains États qui luttent contre la pêche illégale. Pour reprendre les propos du directeur général de l’UICN : « la mise à jour de la Liste rouge de l’UICN d’aujourd’hui est un signe fort que, malgré les pressions croissantes sur nos océans, les espèces peuvent se rétablir si les États s’engagent réellement dans des pratiques durables ». Espérons que les gouvernements prennent conscience de l’urgence de la situation et ne se limitent pas à des effets d’annonce.
Marie Combes