L’Antarctique fait l’objet de nombreuses problématiques de conservation des espèces sauvages. Le continent blanc est l’une des zones les plus précieuses et vulnérables sur cette planète. Cette nature est menacée par le changement climatique, la pollution et les activités humaines.
Le continent blanc constitue un véritable écrin sauvage de biodiversité reposant sur un équilibre fragile. Longtemps considéré comme une région vierge épargnée par les diverses menaces environnementales auxquelles est confronté le reste de la planète, l’Antarctique est aujourd’hui l’objet de nombreuses problématiques de conservation d’espèces sauvages. En dépit de leur capacité à s’adapter aux conditions climatiques extrêmes, ces espèces sauvages restent vulnérables aux activités anthropiques fragilisant leur milieu de vie. L’alerte des scientifiques à propos de leur déclin a permis de mettre en place des mesures de conservation et de créer des aires spécifiques protégées dans le but de préserver et protéger ces animaux sauvages. Cependant, les résultats à l’issue de ces projets restent encore trop timides face à l’urgence actuelle de la préservation de ces espèces.
Une biodiversité exceptionnelle
L’Antarctique et l’océan Austral font partie des zones sauvages les plus précieuses et vulnérables de la planète. Souvent dénommé « le continent blanc » en raison de l’immense couche de glace qui recouvre la quasi-totalité (98 %) de son territoire de 20 327 000 km², l’Antarctique abrite un des environnements les plus vierges sur Terre. En effet, l’Antarctique, région la plus froide et sèche de la planète, présente une riche biodiversité dont la densité est parfois comparable à celle trouvée dans les régions tempérées voire tropicales. Le cœur du continent antarctique étant particulièrement hostile à toute forme de vie, la faune sauvage se concentre principalement au niveau des côtes et dans l’océan Austral. Le milieu marin est ainsi une source de vie pour de nombreuses espèces sauvages dont celles qui sont emblématiques de ce continent :
- 8 mammifères, tous marins, sont représentés par les cétacés (baleines, orques et dauphins) et les pinnipèdes (phoques et otaries). Plusieurs espèces sont endémiques de l’Antarctique telles que le phoque crabier, le phoque de Weddell ou encore le léopard de mer.
- 40 espèces d’oiseaux vivent dans la zone australe, soit 200 millions d’individus. Les espèces les plus présentes sont les pétrels, les albatros, les sternes mais surtout les manchots. Parmi eux, l’emblématique manchot empereur et le manchot Adélie qui nichent sur le rivage des côtes.
- 300 espèces de poissons peuplent l’océan Austral dont les plus célèbres sont le poisson des glaces ayant pour particularité d’avoir un sang dépourvu d’hémoglobine et la légine antarctique connue pour secréter des molécules antigel.
- Enfin, l’océan Austral abrite une source importante de krill et de plancton qui soutiennent l’écosystème marin de la région australe puisqu’ils se situent à la base du réseau trophique des espèces sauvages mentionnées ci-dessus. Ainsi, le krill est une pièce maîtresse de l’écosystème planétaire. La masse de krill présente dans cette zone est sans doute la biomasse la plus abondante de la planète, évaluée entre 125 et 725 millions de tonnes.
Cette biodiversité s’est maintenue depuis des millénaires grâce à un équilibre ancien entre le froid extrême et son isolement du reste de la planète. Toutefois, ces dernières décennies ont été marquées par un déclin inquiétant des populations de ces espèces sauvages. En effet, malgré son éloignement géographique, l’abondante vie marine de l’océan Austral a connu l’un des déclins de populations de poissons les plus marqués jamais enregistrés selon le rapport Planète Vivante 2014 mené par le WWF. Une baisse massive de l’effectif des populations de certaines espèces commerciales de poissons a été relevée à la fin des années 1970 à la suite de l’intensification des activités de pêcheries dans la région. Similairement, les populations de krill auraient commencé à décliner dès 1980. Ces observations concernent également les espèces d’oiseaux sauvages évoluant en Antarctique : selon des chercheurs américains, les colonies de manchots à jugulaire ont baissé de plus de 60 % en moyenne sur ces 50 dernières années. Parallèlement, les populations de manchots Adélie ont diminué de l’ordre de 40 % selon le rapport Planète Vivante 2018 rédigé par plus d’une cinquantaine d’experts visant à évaluer l’état de la biodiversité mondiale. Ces rapports alarmants traduisent l’existence de plusieurs menaces, souvent liées à l’activité humaine, qui dérèglent directement l’équilibre de cet écosystème.
Une pureté menacée
Les menaces qui pèsent sur les espèces sauvages de l’Antarctique s’intensifient au cours de ces dernières années : les impacts omniprésents du changement climatique, de la pollution, de l’empreinte croissante de l’activité humaine et des invasions biologiques contribuent tous, et souvent se combinent, à exercer une pression sur les milieux de vie de ces espèces.
La menace la plus importante pour la région est aujourd’hui sans conteste le réchauffement climatique. En effet, l’Antarctique est l’une des régions les plus sévèrement et rapidement affectées par le réchauffement climatique. Les estimations scientifiques prédisent qu’un réchauffement de seulement 2 °C dans l’océan Austral pourrait réduire la superficie de la banquise hivernale de 10 à 15 %, pouvant aller jusqu’à 30 % dans certaines zones spécifiques. Ainsi, au rythme actuel de réchauffement, la superficie de terre sans glace permanente dans la péninsule antarctique augmentera de 300 % dans le prochain siècle. Or, la fonte des glaces et la contraction des glaciers menacent directement les sites de nidification et d’alimentation de certaines espèces d’oiseaux sauvages peuplant la zone australe, dont notamment les manchots empereurs et les manchots Adélie. De plus, le réchauffement de l’océan austral couplé à l’acidification de l’eau participent à une diminution des populations de krill. Outre l’impact direct sur les populations de ces espèces, la disparition du krill, à la base des réseaux trophiques, entraîne également par effet « boule de neige » dans son sillage les espèces qui s’en nourrissent, notamment les mammifères et oiseaux marins.
À cela s’ajoute l’exploitation humaine qui a commencé au début du XXe siècle avec la chasse des baleines et des phoques, qui a maintenant largement cessé depuis son interdiction en 1967. L’exploitation se concentre désormais sur les poissons et le krill. En effet, la région est désormais menacée par ceux qui la considèrent comme le nouvel Eldorado de la pêche et qui s’opposent à toute mise en œuvre de mesures de conservation. Le krill est ainsi devenu aujourd’hui la proie privilégiée des navires de pêche industrielle pour ensuite être transformé en aliments destinés à l’aquaculture et à l’élevage. Selon le rapport Planète Vivante Océans 2015, les prises totales déclarées ont avoisiné 294 000 tonnes en 2014, soit la valeur la plus élevée depuis 1991. De manière globale, l’intérêt de la pêche pour le krill ne cesse d’augmenter, amplifiant le déclin des populations dans l’océan austral. La pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) reste également une menace sérieuse qui amplifie les effets liés à l’exploitation halieutique. La pêche de ces animaux sauvages renforce le déséquilibre causé par le réchauffement climatique en prélevant des organismes qui constituent des ressources pour d’autres espèces qui en dépendent. De plus, il est important de noter que certains mammifères et oiseaux marins sont capturés accidentellement par ces engins de pêches. Ces engins peuvent également être le vecteur d’espèces invasives qui viennent entrer en compétition avec les espèces sauvages autochtones d’Antarctique. Des espèces marines invasives telles que le crabe enragé peuvent effectivement être transportées en Antarctique en étant attaché aux coques de navires.
En effet, l’humain constitue un réel vecteur menaçant l’équilibre de l’écosystème austral en apportant des espèces invasives dans cette zone fragile. Les milliers de chercheurs et les cinquante milliers de touristes qui s’y rendent chaque année peuvent apporter avec eux des espèces invasives notamment par le biais de véhicules, cargaisons ou encore produits alimentaires frais importés. D’après le chercheur Dr Hughes, la région de la péninsule antarctique est « de loin la partie la plus fréquentée et la plus visitée du continent en raison de l’augmentation du tourisme et des activités de recherche ». Or, selon un expert de la biodiversité antarctique, Peter Convey, « 99 % des espèces invasives viendraient avec les humains ». L’implantation d’espèces invasives serait d’autant plus facilitée par le réchauffement climatique réduisant les barrières aux espèces allochtones.
L’océan Austral est devenu un véritable déversoir à ordures depuis les premières activités humaines en Antarctique. La pollution se traduit également par la présence de plastique qui est ingéré par des milliers d’animaux chaque année, causant un nombre de décès important. Plusieurs équipes de chercheurs ont retrouvé des plastiques probablement jetés par des navires des eaux polaires en disséquant des cadavres d’oiseaux marins. Ces observations s’ajoutent donc à un ensemble croissant de preuves que les bateaux de pêche et autres navires contribuent de manière importante à la pollution plastique et corollairement au déclin des populations d’espèces sauvages. L’analyse récente de carottes de glaces et d’échantillons de neige de l’Antarctique a révélé la présence de près d’une centaine de particules de microplastiques mais également de produits chimiques persistants. La chercheuse Anna Kelly suppose que les populations de krill qui se nourrissent d’algues présentes dans la glace consomment par conséquent du microplastique. Ainsi, le krill étant à la base des réseaux trophiques, ces particules de plastique vont être indirectement ingérées par d’autres espèces. Les conséquences pourraient ainsi se généraliser à l’échelle du réseau et engendrer des effets d’une gravité croissante.
Un combat urgent
L’Antarctique a toujours bénéficié d’une protection unique à l’échelle du continent : d’abord par le biais des mesures convenues dans le cadre de la Convention sur la conservation de la flore et de la faune antarctiques en 1964, par la création de la Commission internationale pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) en 1982 et, plus récemment, par le Protocole sur la protection de l’environnement du Traité sur l’Antarctique, entré en vigueur en 1998, qui désigne l’Antarctique comme une « réserve naturelle consacrée à la paix et à la science ». Ce protocole prévoit diverses mesures telles qu’un niveau élevé de protection de l’environnement, notamment l’interdiction de l’exploitation minière et de la prospection minière, l’interdiction de l’introduction intentionnelle d’espèces non indigènes, des réglementations strictes concernant la perturbation des espèces indigènes, la gestion des déchets et des exigences en matière d’évaluation de l’impact sur l’environnement.
Toutefois, ces mesures ne suffisent pas à enrayer les conséquences des menaces actuelles pesant sur les espèces sauvages de l’Antarctique. Reconnaissant qu’une protection supplémentaire est nécessaire, l’annexe V du protocole (entrée en vigueur en 2002) prévoit également la création de zones spécialement protégées de l’Antarctique (ASPA), qui peuvent être désignées pour protéger des valeurs environnementales, scientifiques, historiques, esthétiques ou sauvages exceptionnelles et/ou la recherche scientifique, ou une combinaison de ces valeurs. La création des ASPA est fondamentale afin de réduire les impacts anthropiques sur les populations des espèces sauvages. Ces zones atténuent généralement les menaces, en grande partie par une réduction significative des activités humaines (tant scientifiques que touristiques) et une diminution concomitante des impacts associés aux invasions biologiques et à la dégradation de l’environnement. Bien que les zones spécialement protégées de l’Antarctique couvrent moins de 2 % de l’Antarctique, 44 % des espèces se trouvent dans une ou plusieurs zones protégées. Cependant, la protection est inégale selon les régions et privilégie les espèces facilement détectables et charismatiques comme les oiseaux marins. Des processus systématiques visant à hiérarchiser la protection des zones en utilisant les meilleures données disponibles maximiseront la probabilité d’assurer la protection et la conservation à long terme des espèces animales sauvages en Antarctique.
Le travail important d’organisations non gouvernementales (ONG) internationales de protection de l’environnement se traduit par le soutien et la promotion de l’ensemble des initiatives qui s’attachent à la protection des espèces sauvages de la région mais aussi parfois par des campagnes de lobbying en faveur de l’adoption de mesures de conservation. De plus, les ONG sensibilisent le public car le soutien et la mobilisation populaires sont indispensables à l’application effective et efficace des mesures de conservation. Grâce à un effort mondial concerté et coordonné, il est possible d’atteindre les principaux objectifs de conservation fixés pour la région, en particulier l’établissement du plus grand réseau mondial de zones marines protégées, la conservation des mammifères marins, des oiseaux marins l’utilisation durable des ressources halieutiques pour les générations futures.
Dans ce cadre, les nations tendent (difficilement) à coopérer pour la mise en place d’une pêche, d’un commerce maritime et d’un tourisme durables. Après cinq ans de longues négociations, les États ont enfin voté en faveur de la création d’une très vaste aire maritime protégée qui couvrira 1,57 million de km², soit l’équivalent de la surface de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne réunies.
Pour conclure sur des perspectives positives malgré la situation alarmante, des images satellites prises en février 2021 ont permis de détecter 11 nouvelles colonies de manchots empereurs en Antarctique faisant ainsi augmenter la population globale de 5 à 10 % : une lueur d’espoir encourageante soulignant l’importance et l’urgence de la protection de ces espèces sauvages.
Noémie Monchy