Les pouvoirs de police du maire: quelle protection pour l’animal sauvage?

À la suite des élections municipales de 2020, de nombreuses municipalités se sont pourvues de délégués à la condition animale, chargés de la protection des animaux sur le territoire de la commune. Cela témoigne d’une sensibilisation croissante des maires à la thématique.

Certains ont même fait de l’interdiction des cirques avec animaux sauvages un de leurs chevaux de bataille. D’autres aspirent à réglementer plus fortement la chasse, voire à interdire certaines pratiques comme la chasse à courre ou la vénerie sous terre. Mais, face au pouvoir du préfet en matière d’animaux sauvages, de nombreux maires se trouvent démunis et voient certains de leurs arrêtés annulés par le tribunal administratif.

Cet article propose d’évoquer les pouvoirs de police du maire et les possibilités qu’ils leur confèrent en matière de protection des animaux sauvages. Il souhaite également montrer qu’il serait intéressant de modifier la législation pour intégrer au pouvoir de police générale une prérogative en matière de protection des animaux sur le territoire de sa commune. La mise en place d’une obligation pour chaque commune de se pourvoir d’un centre de soins dédié à la faune sauvage, sur le modèle de la fourrière, apparaît également nécessaire et découlerait directement de cette dernière obligation.

Les pouvoirs de police du maire et la prise en charge de la faune sauvage en divagation

Les pouvoirs de police du maire s’appliquent avant tout à la gestion des animaux considérés comme dangereux ainsi qu’à la divagation et à l’errance des animaux, y compris sauvage[1]. L’idée en creux est de prévenir toute potentielle menace pour l’homme, pour ses activités et, éventuellement, pour les autres animaux dont il est le gardien. Du fait de cette recherche de sécurisation de l’espace public, le maire a même obligation de prendre en charge rapidement tout animal accidenté, y compris sauvage[2], sans que ne soit toutefois définies les modalités de cette prise en charge. Dans le cas d’un animal sauvage trouvé blessé, certains maires demandent ainsi au lieutenant de louveterie d’achever l’animal, d’autres peuvent faire appel à un centre de faune sauvage – qu’ils peuvent par ailleurs subventionner – qui se charge alors de le soigner avant de le remettre en liberté[3]. Comme le maire ne dispose, à ce jour, d’aucune prérogative de protection des animaux, c’est finalement sa sensibilité propre qui détermine l’échéance fatale ou non de l’animal. 

La question de la chasse et de la régulation des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts

La marge de manœuvre du maire est plus qu’étroite car la réglementation de la chasse demeure aux mains du préfets[4]. Nous pouvons toutefois souligner qu’un maire a obtenu la validation en 1995 par le Conseil d’État de son arrêté interdisant la chasse à moins de 200 mètres des habitations. Cependant, cela a été uniquement rendu possible du fait du contexte[5], le maire n’ayant pas la compétence pour prendre des arrêtés visant à interdire la chasse de façon générale et absolue[6]. Il peut ainsi uniquement opérer de manière circonscrite et proportionnelle en fonction de circonstances particulières qui lui permettent de recourir à son pouvoir de police générale en matière de sécurité publique[7]. De fait, le juge administratif a eu plusieurs occasions de censurer des arrêtés pris par les maires en matière de chasse[8]. Ainsi, pour ces derniers, les possibilités de limiter la chasse sur le territoire de sa commune sont très restreintes. Surtout, la volonté de protéger de façon générale la vie ou a fortiori la sensibilité animale ne semble pour l’instant pas retenue par le juge[9].  

Le maire reste toutefois responsable de la destruction des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts sur le territoire de sa commune[10]. Un maire sensible à la cause animale pourrait alors potentiellement éviter d’user de ce droit[11]. Cependant, en réalité, en cas de manquement de sa part, la responsabilité de la commune peut se trouver engagée[12]. Le préfet peut également se substituer à lui, limitant une nouvelle fois son champ d’action. Enfin, le maire enregistre également les déclarations de piégeage mais sans possibilité de donner son avis. 

Malgré leur marge de manœuvre très réduite[13], cela n’empêche pas, comme nous l’avons vu, certains maires de tenter tout de même l’expérience en prenant des arrêtés d’interdiction.

Pour des villes sans faune sauvage captive 

De plus en plus de maire se mobilisent pour des villes sans animaux sauvages[14]. Ainsi, le conseil de Paris a émis le vœu en novembre 2019 de parvenir à mettre fin progressivement aux cirques avec animaux sauvages[15]. En outre, plus d’une centaine de maires ont pris directement des arrêtés d’interdiction, malgré l’illégalité patente de tels actes[16]. Nombre d’entre eux tentent, pour défendre la légalité de leur décision, de s’appuyer sur la préservation de la moralité publique[17]. Cependant, jusqu’ici, la défense de la sensibilité animale au nom de la moralité publique n’a pas encore été retenue par le juge administratif. Cela est d’autant plus compréhensible eu égard aux verrous juridiques mis en place[18]. De cette manière, actuellement, il apparaît que le maire n’a pas la possibilité d’agir via des arrêtés d’interdiction pour promouvoir des cirques sans animaux sauvages[19].

Nous pouvons conclure que les pouvoirs de police du maire lui offrent des possibilités limitées pour assurer la protection de la faune sauvage. Or, face au constat d’un positionnement croissant des maires soucieux de prendre en compte la sensibilité de l’animal, y compris la sensibilité de l’animal sauvage, il serait intéressant que leur soient accordées davantage de prérogatives en la matière. Pour assurer la prise en charge des animaux sauvages blessés, obliger à la création d’un centre de faune sauvage communal, sur le modèle de la fourrière, apparaît aussi tout à fait pertinent. 

Marion Weisslinger 


[1] Que ceux-ci soient apprivoisés ou tenus en captivités (article L. 211-21 du Code rural) ou encore qu’ils soient en état de liberté (article L. 2212-2, 7° du CGCT). Retour

[2] L’article R. 211-11 du Code rural prescrit en effet que « le maire prend toutes dispositions de nature à permettre une prise en charge rapide de tout animal errant ou en état de divagation qui serait trouvé accidenté ». Retour

[3] À noter que de plus en plus de centres de soins aux animaux sauvages tentent d’obtenir des subventions de la part des communes car ces structures sont les seules habilitées à récupérer la faune sauvage blessée, incluant les animaux d’espèces protégées. Or, il leur est très difficile de débloquer des fonds. À Lyon, le centre de soin pour faune sauvage l’Hirondelle a engagé un bras de fer avec la mairie pour faire reconnaître l’importance de son travail et obtenir des aides financières : https://hirondelle.ovh/mais-que-se-passe-t-il-chez-les-ecologistes-a-lyon/ Retour

[4] Le gouvernement, et par extension le préfet, est seul à détenir la police de la chasse en vertu des articles L. 220-2 du Code rural et L. 420-2 du Code de l’environnement. C’est ainsi le préfet qui fixe chaque année par arrêté la période d’ouverture de la chasse (article R. 424-6) même si le ministre chargé de la chasse est celui qui prend les arrêtés pour les oiseaux de passage et le gibier d’eau (R. 424-9 du Code de l’environnement). Retour

[5] De fait, de nombreuses altercations avait opposés chasseurs et riverains au sein de la commune. Retour

[6] Le 13 septembre 1995, le Conseil d’État a en effet rappelé que « sous réserve d’une motivation particulière et au regard de circonstances avérées, un maire a pu interdire la chasse auprès des habitations en établissant un périmètre de 200 mètres en deçà duquel toute chasse est interdite en raison d’incidents opposant des chasseurs et des non chasseurs dans sa commune. » Retour

[7] Articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales. De fait, Selon l’article R. 424-1 du Code de l’environnement, le préfet paraît seul habilité à limiter la chasse en vue de protéger l’animal mais uniquement pour assurer le repeuplement d’« une ou plusieurs espèces de gibier ». Il ne s’agit donc pas de protéger l’animal pour lui-même, et encore moins son droit à la vie. Retour

[8] C’est le cas notamment de l’arrêté pris par la maire de la commune de Valaire (moins de 100 habitants) qui visait à interdire la vènerie sous terre et qui a été annulé par le tribunal administratif d’Orléans (TA d’Orléans, 15 juillet 2020, n°1903569). La maire en appelait notamment à la cruauté d’une telle pratique portant atteinte à la dignité humaine. Cet argument est d’ailleurs très intéressant car la maire semble par là même chercher à reprendre l’argumentation qui avait fonctionné à l’occasion de la validation en 1995 par le Conseil d’État d’un arrêté du maire visant à interdire le lancé de nains sur sa commune. Le Conseil d’État avait de fait accordé au maire, dans ce cas, de pouvoir s’appuyer non pas sur des circonstances particulières propres à sa commune mais bien sur un principe général de sauvegarde de la dignité humaine (CE, Ass., 27 octobre 1995, n°136727). Cependant, concernant la maire de Valaire, le tribunal a conclu à son incompétence en la matière. Il a ainsi bien rappelé que des limitations apportées par le maire à l’exercice de la chasse peuvent être prononcées mais « doivent être nécessaires, eu égard à des circonstances propres à la commune, pour préserver l’ordre et la sécurité́ publics, et proportionnées à cette nécessité́ ». Or, pour lui, la maire ne « fait état d’aucune circonstance qui, au regard des atteintes à l’ordre et à la sécurité́ publics ainsi alléguées, serait propre à la commune de Valaire et qui justifierait par suite que son maire intervienne pour édicter une règlementation particulière sur le territoire de cette commune ». Retour

[9] On peut encore citer le cas de l’arrêté du maire de la commune de Pont-Saint Maxence qui avait émis un arrêté d’interdiction de chasse à courre à 300m des habitations. Si l’arrêté a été annulé car il visait également à interdire le franchissement par les véneurs du domaine public routier communal, le juge a en revanche admis que « les incidents répétés liés à la chasse à courre sur le territoire de la commune de Pont-Sainte-Maxence sont constitutifs de troubles à la tranquillité et à la sécurité publique justifiant l’usage par le maire de ses pouvoirs de police générale. » (TA d’Amiens, 6 mars 2020, n°1801168). Ici encore ce n’est pas la sensibilité ou l’atteinte à la vie animale qui est protégée mais bien la sécurité des citoyens puisqu’il s’agit d’éviter la divagation d’un animal sauvage sur la voie publique et à proximité des habitations. Retour

[10] Sous contrôle du conseil municipal et du représentant de l’État dans le département (article L. 2122-21, 9° du CGCT). Retour

[11] Cela est d’autant plus vrai lorsque l’on connait la violence de certaines pratiques de « destruction » des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts. La loi parle, en effet, de « destruction » lorsqu’il s’agit d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts (voir par exemple l’article L. 2122-21, 9° cité plus tôt). Quant aux violences faites, nous renvoyons, entre autres exemples, à l’enquête menée par One Voice concernant la pratique du déterrage des renardeaux : https://one-voice.fr/fr/blog/infiltration-chez-des-deterreurs-de-renardeaux.html. Retour

[12] Elle est susceptible d’être retenue par le juge lorsque les habitants ont alerté le maire sans que celui-ci n’agisse (CCA de Marseille, 11 décembre 2006, n°05M00792.) Retour

[13] Pour de plus amples détails sur les compétences juridiques du maire en la matière voyez : Charlez Annie, « Le maire et la chasse sur sa commune : quelques aspects juridiques », Faune sauvage, no 290, trimestre 2011. Retour

[14] 437 communes en date du 17 septembre 2021 selon l’association Code animale, dont 116 de plus de 10 000 habitants : http://www.cirques-de-france.fr/les-communes-qui-agissent-en-faveur-des-animaux. À noter que la loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance prévoit l’interdiction des cirques avec animaux sauvage. Retour

[15] En s’engageant notamment à accompagner ces structures jusqu’en 2022 dans leur transition économique et artistique : Voir J. DUFFÉ, « Paris : la Ville acte la fin des animaux sauvages dans les cirques », Le Parisien, 15 novembre 2019 (en ligne : https://www.leparisien.fr/paris-75/paris-la-ville-acte-la-fin-des-animaux-sauvages-dans-les-cirques-15-11-2019-8194398.php) Retour

[16] En effet, le juge a eu l’occasion de souligner que les pouvoirs de police générale du maire ne peuvent s’appliquer en la matière. Ainsi, le tribunal administratif de Toulon a rappelé que, dans le cas des cirques, « l’atteinte aux valeurs de respect de la nature », « l’atteinte à la bonne hydratation des animaux » ne relèvent ni « du bon ordre, ni de la sécurité ou de la salubrité publique, ni même d’ailleurs de la moralité publique » (TA de Toulon, 28 décembre 2017, n°1701963). Ces arguments sont en outre rappelés par le ministère de l’intérieur, à l’occasion d’une question écrite rédigée par un sénateur (Question écrite n°03363 publiée dans le JO Sénat du 08/03/2018 p. 1035 et réponse du ministère publiée au JO Sénat du 24/05/ 2018, page 2494) Retour

[17] Cette dernière a de fait été entérinée comme composante de l’ordre public en diverses occasions par la jurisprudence : CE, 17 décembre 1909, n°30164 ou encore CE 18 déc. 1959, n°36385 36428. Retour

[18] En effet, pour le cas des animaux sauvages dans les cirques, il est de fait compliqué d’invoquer le mépris de la nature intrinsèquement sauvage de l’animal en tant qu’élément constitutif d’une exigence biologique propre à l’espèce. De fait, l’arrêté du 18 mars 2011 réglementant les conditions de détentions des animaux de cirque, dans son article 22, prévoit déjà les règles visant à satisfaire les besoins biologiques et comportementaux ainsi que le bien-être de l’animal. Son droit à la liberté n’est ainsi tout bonnement par considéré. Retour

[19] Cela n’empêche pas certains maires de continuer à prendre des arrêtés d’interdiction. C’est le cas du maire de Villers-sur-Mer, avocat de profession, qui mène un véritable combat juridique pour interdire les cirques avec animaux sur le territoire de sa commune : Voir M-M. Remoleur, « Interdiction des cirques avec animaux à Villers-sur-Mer : l’arrêté annulé par le tribunal, le maire ne veut rien lâcher », Le Pays d’Auge, 13 juillet 2021 (en ligne : https://actu.fr/normandie/villers-sur-mer_14754/interdiction-des-cirques-avec-animaux-a-villers-sur-mer-l-arrete-annule-par-le-tribunal-le-maire-ne-veut-rien-lacher_43441795.html) Retour

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