Il existe actuellement sept espèces de tortues marines distribuées dans tous les océans du globe. Six des sept espèces sont présentes dans la région de l’Amérique latine et des Caraïbes, et sont toutes classées dans la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en tant qu’espèces « menacées », avec une tendance au déclin de leurs populations.
Espèces et habitats
La tortue luth (Dermochelys coriacea) est la plus grande des tortues marines. Sa présence a été relevée dans tous les océans. La sous-population du Pacifique oriental, qui niche tout au long des côtes allant du Mexique jusqu’à l’Équateur, se trouve actuellement en danger critique, avec seulement 633 spécimens matures. La tortue verte (Chelonia mydas), la tortue caouanne (Caretta caretta), et la tortue olivâtre (Lepidochelys olivacea), sont classées en tant que « vulnérables ». Latortue imbriquée Eretmochelys imbricata et la tortue de Kemp (Lepidochelys kempii) se trouvent en danger critique.Ces cinq espèces sont « pantropicales », présentes dans les eaux chaudes et tempérées de l’Atlantique, le Pacifique, l’océan Indien et la Méditerranée.
Les tortues marines sont des espèces éminemment migratoires qui réalisent de longs déplacements, souvent transocéaniques, entre les aires d’alimentation et les plages de ponte. En raison de leur complexe cycle de vie, elles requièrent une large variété d’habitats (Lanyon et al., 1989) : plages sablonneuses dégagées ou couvertes de végétation pour la nidification, zones d’alimentation pélagiques en haute mer pour les juvéniles, aires de nourrissage benthiques telles que herbiers marins ou récifs coralliens et des zones d’accouplement proches des plages de nidification.
Les tortues en Amérique Latine, données à vol d’oiseau
L’Amérique latine est un espace clé dans la vie de ces six espèces : des plages de ponte, des zones d’alimentation et de transit sont présentes tout le long de ses littoraux Atlantique et Pacifique, du Mexique jusqu’à l’Argentine et le Chili. Le Mexique, considéré comme le « pays des tortues marines », abrite les six espèces et est l’habitat presque exclusif de la tortue de Kemp. Le Salvador accueille quatre espèces, dont 70 % de la population mondiale de tortues vertes. D’après le Programme national de marquage des tortues marines du Panama, en 10 ans, 3 500 tortues ont niché dans les plages du pays, donnant naissance à plus d’un million de juvéniles. Les eaux territoriales de Cuba accueillent la tortue imbriquée lors de sa période de reproduction, et constituent des zones d’alimentation et de transit pour les autres espèces. En Colombie, sur les 1650 km de la côte Caraïbe, 181 sites de ponte ou d’alimentation (730 km) ont été répertoriés. Une importante colonie de femelles niche dans la plage « Tortuguero » au Costa Rica et réalise ensuite une migration de 1200 km jusqu’à la péninsule de la Guajira, importante aire de nourrissage. La plage d’Awala-Yalimapo, en Guyane, est un important site de ponte pour les tortues luth, aujourd’hui en déclin. Plus au sud, au Chili et en Argentine, au moins cinq espèces fréquentent les mers de ces deux pays pour s’alimenter avant de reprendre leurs migrations vers les zones tropicales.
Ces exemples montrent à quel point la région constitue un vaste carrefour essentiel pour la vie des tortues marines. Leur protection est un défi et la coopération régionale s’avère donc indispensable.
Les menaces : naturelles et anthropiques
D’après la Commission nationale des aires naturelles protégées du Mexique (CONANP), en 2018, 2 300 183 nids ont été repérés, donnant 34 057 986 éclosions dans la nature. Ces chiffres spectaculaires trahissent une autre réalité : les obstacles auxquels les tortues font face sont si nombreux que seulement une sur mille parviendra à l’âge adulte. Les nids sont menacés par des prédateurs (chiens errants, crabes oiseaux…) mais surtout par le braconnage (pillage des nids pour consommation ou vente illégale des œufs). Le développement urbain littoraux réduit les zones de ponte, et provoque une érosion importante des sols, ce qui accroît la proportion d’œufs non viables. De plus, les lumières artificielles et la présence de véhicules désorientent les femelles au moment de la nidification et les juvéniles lors de l’éclosion. Le changement climatique entraine l’augmentation de la température du sable ce qui donne d’avantage naissance à des femelles, perturbant ainsi le processus naturel de reproduction. La pollution des mers et des océans par des déchets plastiques et des polluants issus des activités humaines provoque des blessures, des maladies et la mort des tortues. Des engins de pêche non sélective (chalut de fond ou palangre), utilisés par les pêcheries, constituent une menace sérieuse pour les tortues en haute mer.
La protection des tortues marines au regard du droit international
La protection des tortues marines est une question complexe en raison de leur nature migratoire et de leur cycle de vie particulier. Les menaces qui les concernent dépassent les frontières géographiques des pays, et la coopération internationale est donc indispensable pour que tout projet de conservation et de protection soit efficace à moyen et à long terme. De nombreux instruments internationaux ratifiés par les pays de la région apportent une protection directe ou indirecte aux tortues marines. Parmi ces instruments se trouve la Convention CITES, qui inclut toutes les espèces de tortues marines dans son Annexe I qui interdit tout commerce international de tortues, de leurs parties ou de leurs produits. Ces dispositions ont été utiles pour l’interdiction de produits de dérivés de tortues (carapaces, bijoux, souvenirs). Cependant, la convention se limite au commerce international et ne contient pas de dispositions concernant le commerce national ou la protection de l’habitat par les États parties. La Convention Ramsar, sur les zones humides d’importance internationale, a récemment adopté une résolution (Résolution XIII.24, 2018) visant à renforcer la protection des sites Ramsar qui abritent également des tortues marines.
La Convention interaméricaine pour la protection et la conservation des tortues marines (CIT), entrée en vigueur en 2001 et ratifiée par 16 pays[1], est actuellement le seul instrument exclusivement dédié à la protection des tortues marines et de ses habitats. La Convention répond au besoin de mettre en œuvre des mesures concertées, de coordonner les efforts de conservation et de protection, et d’assurer la mise en œuvre d’un programme régional conduisant au rétablissement de ces espèces. Elle a été à l’origine d’importantes dispositions telles que l’obligation d’utilisation de dispositifs d’exclusion de tortues par les pêcheries opérant dans les États membres ainsi que la mise en place des mesures de contrôle dans leurs eaux juridictionnelles.
Les États ne sont pas les seuls acteurs de ces efforts de préservation, les organisations non gouvernementales participent également de cet objectif, à travers la protection des zones de nidification et participent à la création d’une conscience et d’une éthique de protection de la vie sauvage. Un récent exemple de coopération entre pays membres de la CIT et acteurs de la société civile a eu lieu sur les plages de l’Équateur, où aucune naissance de tortues luth n’avait été enregistrée depuis 1983. En novembre 2020, une femelle a été détectée par les bénévoles de l’association Contamos contigo, un dispositif de protection et de surveillance du nid a été mis en œuvre par le ministère de l’Environnement équatorien en partenariat avec un groupe d’experts de la CIT et avec le soutien technique de la coordinatrice du Programme national pour la conservation des tortues marines du Mexique. Parallèlement, douze œufs ont été incubés ex-situ avec le soutien financier de l’association WildAid. La ponte a été un succès avec 70 éclosions, apportant ainsi un espoir pour cette espèce longtemps absente des cotes équatoriennes, et en danger critique dans tout le Pacifique oriental.
La question de la protection les tortues marines est indissociable de la coopération entre les pays abritant ces espèces. Des instruments à portée internationale et régionale permettent la mise en place de stratégies de protection concertées et efficaces.
Martha ANDRADE DIAZ
[1] Pays membres de la Convention : Argentine, Belize, Brésil, Chili, Costa Rica, Equateur, Etats Unis, Guatemala, Honduras, Mexique, Pays Bas, Panamá, Pérou, République Dominicaine, Uruguay, Venezuela. Retour
Autres références
Amorocho, D., Leslie, A., Fisch, M., Sanjurjo, E., Amoros, S., Avila, I.C., Toral, V., Gerhartz, J.L., Bilo, K., Guerrero, P., Zapata, L.A., Douthwaite, K. (2016). Marine Turtle Action Plan. WWF Latin America and the Caribbean : 2015-2020. Amorocho, D. & C.A. Dereix (Eds.). WWF-Colombia. Cali, Colombia.
Ceballos-Fonseca, Claudia. (2004). Distribución de playas de anidación y áreas de alimentación de tortugas marinas y sus amenazas en el Caribe colombiano. Boletín de Investigaciones Marinas y Costeras – INVEMAR, 33(1), 79-99. http://www.scielo.org.co/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0122-97612004000100005&lng=en&tlng=es.
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Convención Interamericana para la Protección y Conservación de las Tortugas Marinas. Boletin informativo no. 42. Enero – Marzo 2021: http://www.iacseaturtle.org/docs/boletines/Boletin42.pdf
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Secretaría CIT (2004). Convención Interamericana para la protección y conservación de las tortugas marinas – Una introducción, septiembre 2004.
Wold C. (2002) The status of sea turtles under International environmental law and International environmental agreements, Journal of International Wildlife Law & Policy, 5:1-2, 11-48, DOI: 10.1080/13880290209353997