Rat des villes, rat des champs… Des statuts multiples aux yeux du droit

Dans le droit français, le statut juridique du rat diffère en fonction qu’il soit de compagnie, utilisé en laboratoire, ou bien vivant à l’état de liberté. Pourtant, la sensibilité propre à l’espèce rat ne diffère pas selon son utilisation ou non par l’humain. Ces différences sont intimement liées à notre vision et notre relation aux animaux, notamment les animaux sauvages.

rat

L’éthique animale est une réflexion sur l’animal, un questionnement sociétal à la fois philosophique, ontologique, juridique et économique, sur la place que l’homme lui consacre, le statut juridique qu’il lui accorde et les devoirs auxquels il s’astreint à son égard. L’éthique environnementale s’intéresse à l’animal sauvage en tant qu’espèce appartenant à un écosystème et non en tant qu’individu.

Le droit français établit une différence importante entre les animaux domestiques, qu’ils soient de compagnie ou de rente, et les animaux sauvages. En effet, le code de l’environnement affirme que les animaux sauvages ne sont que des êtres vivants faisant partie de la biodiversité comme les végétaux, alors que les animaux domestiques sont reconnus comme des êtres sensibles dans le code rural et le code civil. En découle une protection juridique différente et des incohérences, car les animaux sauvages apprivoisés ou captifs sont protégés au même titre que les animaux domestiques par les codes civil, pénal et rural, tandis que d’autres parce, qu’ils ne sont pas classés parmi les animaux protégés, chassables ou anciennement « nuisibles », sont considérés comme des choses res nulliusres communis, sans aucune protection, ni aucun statut et que l’homme peut traiter comme il veut. S. Donaldson et W. Kymlicka, dans leur ouvrage Zoopolis, les appellent les « animaux liminaires » car ils vivent en marge de nos cités, qu’ils soient animaux domestiques féraux, opportunistes, animaux sauvages devenus citadins ou exotiques échappés de nos maisons, ils sont le plus souvent considérés et traités comme des intrus. 

Le rat démontre cette incohérence dichotomique au quotidien et pose la question de la place que nous lui autorisons, de la relation que nous entretenons avec lui. En effet, en droit, un même rat peut être classé négativement dans les res nullius et être combattu quand il est susceptible d’occasionner des dégâts aux biens humains. Le rat des champs (Rattus rattus) peut s’avérer néfaste pour les activités agricoles de l’homme (cultures de céréales, silos à grain). Et le rat des villes (Rattus norvegicus), commensal de l’homme depuis l’antiquité, établi dans nos cités en synanthropie avec l’homme, pose des soucis aux municipalités quand il prolifère dans certains quartiers et devient envahissant.                                                 

D’autres rats ont la chance d’être classés positivement, comme les NAC (nouveaux animaux de compagnie) qui sont soignés chez le vétérinaire et choyés par leur propriétaire. Ils sont protégés des mauvais traitements et d’une mort sans nécessité. Le rat d’expérimentation, génétiquement modifié ou non, voit sa vie sacrifiée pour faire avancer la recherche scientifique ou médicale, tant que les méthodes alternatives ne le remplaceront pas définitivement. Sa protection est encadrée par la directive européenne de 2010 retranscrite dans le droit français, avec la règle des 3R (Remplacement, Réduction, Raffinement), éventuellement complétée par la Réhabilitation. D’autres rats, enfin, ont presque un statut humain tel le rat Magawa à qui les Anglais viennent récemment de décerner une médaille d’or pour sa bravoure et ses loyaux services comme détecteur de mines antipersonnel au Cambodge (10). Certains rats sont même idéalisés par anthropomorphisme, comme le rat du dessin animé « Ratatouille » doté de qualités altruistes et héroïques dont nos enfants sont friands. 

Peut-on imaginer que tous les rats sauvages, domestiques ou liminaires aient droit à un même statut en temps qu’« être vivant et sentient » : le droit de vivre, de ne pas souffrir puisqu’il s’agit d’un même organisme biologique. Pourquoi faire une différence entre l’individu sauvage et domestique, alors qu’au vétérinaire le code de déontologie lui demande « d’atténuer la souffrance de l’animal en péril » qui lui est amené (faune sauvage ou animal errant) ? Il est évident qu’en cas de surpopulation des rats des champs ou en ville, le bon sens veut qu’elle soit régulée car susceptible d’engendrer des dégâts économiques ou des zoonoses directes comme la leptospirose, la salmonellose, des maladies virales ou indirectes telle la peste du moyen-âge. Mais l’homme n’est-il pas responsable en partie de la prolifération des rats ? Si les haies et les bosquets étaient entretenus autour des champs, les prédateurs naturels comme le renard, le serpent ou la belette se chargeraient de réguler la population des rats de nos campagnes. Si la concentration humaine des cités n’engendrait pas l’insalubrité de certains quartiers et l’accumulation de déchets liés à la surconsommation, les rats des villes ne trouveraient plus leur subsistance et leur nombre diminuerait spontanément.

L’homme ne devrait-il pas s’efforcer de considérer l’animal (ici le rat), sans en faire un ennemi systématiquement, ni l’idéaliser, car l’anthropomorphisme, c’est lui imposer ce qu’on  voudrait qu’il soit ? (12). Ne devrait-il pas reconnaitre que le rat est biologiquement identique qu’il soit sauvage ou domestique et donc être reconnu en tant qu’être sensible ? Seule la surpopulation, parce qu’elle nuit à la santé humaine ou à ses intérêts économiques, doit être régulée par nécessité. Le droit n’est ni naturel, ni divin, il est écrit par l’homme pour gérer la vie sociale et évolue en fonction du lieu et du temps. C’est l’homme qui, le plus rationnellement du monde, selon des normes hautement élaborées et donc selon un mouvement qu’aucun animal n’a initié, est le promoteur de l’éthique. C’est parce que l’homme a un pouvoir incroyable sur la nature à laquelle il ne cesse d’appartenir car il en est le produit, qu’il a une responsabilité particulière vis-à-vis d’elle. L’homme a la faculté de se décentrer de sa personne pour s’intéresser à autrui, ce qui lui impose des devoirs envers l’animal sans pour cela lui octroyer des droits, afin de lui procurer une juste place : ni « animal machine, maltraité », ni « animal peluche, adulé ou anthropomorphisé ». Seule l’éducation, la transmission d’un savoir permettront de mieux connaitre et comprendre les animaux pour faire évoluer les lois de demain et les devoirs des hommes qui en découleront.                                                                                                                                          

Claire Borrou

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