Depuis plus de 10 ans, le pôle Médiation Faune Sauvage (pôle MFS) piloté par la LPO Alsace travaille en collaboration avec SNCF Réseau Grand Est sur les problèmes de cohabitation liés à la présence du blaireau d’Europe.
En effet, les blaireaux construisent parfois leur terrier dans un remblai d’infrastructure de transport ferroviaire, qui peut représenter un milieu idéal pour l’espèce. Ces terriers peuvent alors provoquer un affaissement progressif de l’ouvrage, avec des risques de sécurité non négligeables. Le terrier doit, de fait, être entièrement ou en partie évacué, les galeries rebouchées, puis l’ensemble de l’infrastructure consolidé. Néanmoins, si le paysage n’offre aucune autre solution de repli pour le clan (un autre milieu favorable à l’espèce), lui faire quitter son terrier n’apportera aucune solution à long terme, car, étant territorial, il recreusera invariablement dans le seul relief présent sur son territoire. Par ailleurs, la destruction des animaux (autorisée partout en France par déterrage ou tir, excepté dans le Bas-Rhin*) ne peut pas non plus être une solution : au-delà de l’aspect éthique, elle est inefficace car une fois le clan supprimé, le territoire redevient libre et sera nécessairement recolonisé par des jeunes des clans aux alentours.
Enfin, d’un point de vue économique, ces comblements répétés représentent des coûts élevés et vains.
C’est pourquoi la LPO Alsace et SNCF Réseau Grand Est ont travaillé dès 2019 sur le projet de construction « d’un terrier artificiel », permettant aux blaireaux de rester sur leur territoire tout en garantissant la solidité des remblais. Un projet inédit dans de tels ouvrages, qui pourrait devenir exemplaire et surtout reproductible.
Dans ce cadre, les coordinateurs du projet de la LPO Alsace se sont tout d’abord rendus aux Pays Bas, précurseurs dans la mise en œuvre de telles mesures, pour obtenir des retours d’expériences solides. L’espèce y est protégée et, de fait, sa destruction interdite. Les divers acteurs doivent donc résoudre les problèmes liés à sa présence en utilisant des solutions favorisant la cohabitation. C’est ainsi que l’association Das en Boom (une référence dans la gestion des problématiques de cohabitation avec cette espèce dans le pays) a commencé à mettre en place des terriers artificiels dès la fin des années 1980. Elle a donc acquis une expérience solide et une vision sur le long terme dans l’efficacité de cette mesure. La LPO Alsace s’est ainsi appuyée sur son savoir-faire pour proposer des actions concrètes à SNCF Réseau Grand Est.
Dans un premier temps, elle a réalisé une étude sur trois sites où la présence du blaireau dans des remblais ferroviaires était problématique. Celui de Sundhoffen a été retenu pour servir de site pilote, et ce pour cinq raisons principales :
- le problème y est ancien (un suivi depuis 2014) et n’a jamais réussi à être résolu par les méthodes habituellement préconisées par la LPO Alsace (répulsif, trappes anti-retour, comblement des terriers…) ;
- la présence d’une parcelle, mise à disposition par la commune, pour y construire le terrier artificiel ;
- le fait que cette parcelle soit particulièrement proche du terrier posant problème : plus le terrier artificiel est proche du terrier naturel, plus il y a de chances que les blaireaux l’acceptent facilement ;
- l’absence de risque d’inondation ou de remontée de nappe phréatique sur cette parcelle : un élément primordial pour que le terrier artificiel soit adopté par l’espèce, les blaireaux ne supportant pas l’humidité ;
- enfin, l’acceptation, par les exploitants des parcelles alentours, de relever le défi. Cet accord collégial, prérequis et incontournable, a donc été décisif dans la validation du projet.
Une fois le site choisi et les plans élaborés par la LPO Alsace et validés par SNCF Réseau Grand Est, la construction a été réalisée en 4 jours. Concrètement, il s’agissait d’adosser une butte au remblai, à quelques dizaines de mètres du terrier naturel, et d’y enfouir le terrier artificiel. Tout d’abord, cette partie du remblai a été protégé par un grillage. Puis, après nettoyage de tous les débris végétaux, une couche de sable d’environ 75 centimètres d’épaisseur a été déposée, pour garantir le drainage du terrier et éviter l’humidité.
S’est ensuivie la pose effective du terrier artificiel, constitué à la fois de matériaux meubles et d’éléments en béton :
- trois chambres réalisées avec des tasseaux et des planches en bois de chêne. Du foin a été placé à l’intérieur en guise de litière, comme les blaireaux ont l’habitude d’utiliser ;
- neuf buses en béton faisant office de galeries menant jusqu’aux chambres et légèrement en pente afin de favoriser l’écoulement des eaux vers l’extérieur ;
- cinq boîtes de raccordement en béton, limitant les courant d’airs redoutés par les blaireaux et créant des virages, à l’image de ceux que les blaireaux font dans leurs galeries naturelles.
Le tout a été recouvert d’une butte en terre (lœss) en couches compactées, elle-même revêtue de matière végétale sur une épaisseur de 10 cm.
La LPO Alsace a alors entamé un suivi régulier du site pour évaluer l’acclimatation et surtout l’acceptation par le clan de blaireaux de cette nouvelle structure au sein de leur territoire. Il s’est agi durant sept mois, d’un suivi hebdomadaire, puis bimestrielle.
Dès les premières semaines de suivi, les blaireaux ont visité le terrier artificiel de manière régulière. Au fil des mois, l’activité s’y est intensifiée et a diminué au sein du terrier naturel, montrant l’attrait de cette nouvelle structure.
Une fois qu’il était certain que les blaireaux utilisaient quotidiennement le terrier artificiel, l’effarouchement au sein du terrier naturel a débuté, en prévision des travaux de comblement de ce dernier, afin que les blaireaux le quittent définitivement et pérennisent leur installation au sein du terrier artificiel. Pour ce faire, un répulsif spécialement conçu par le pôle MFS, pour faire fuir l’espèce, a été utilisé. Lorsqu’il n’y a plus eu de traces de passage des blaireaux, les travaux de comblement en profondeur ont eu lieu, afin de consolider la voie ferrée, altérée par les années de terrassement. Pour finir, cette partie du remblai a été protégée par un grillage apposé directement sur l’infrastructure, dans le but que les blaireaux ne puissent plus y creuser.
Le site continue de faire l’objet d’un suivi mensuel par la LPO Alsace pour s’assurer de l’efficacité du projet et s’assurer qu’aucune récidive de creusement n’ait lieu au sein du remblai. Ce qui est bien le cas à l’heure de la rédaction de cet article !
Hormis un autre projet de terrier artificiel au niveau d’une digue de protection contre les crues, mené là aussi par la LPO Alsace, ce projet est à ce jour unique en France. Il est également inédit, puisqu’il concerne une espèce classée gibier à l’échelle nationale, excepté dans le Bas-Rhin où la LPO Alsace a réussi à la faire déclasser. Elle y est à présent « sans statut » (ce qui la rend non chassable) depuis 2004.
En conclusion, il apparaît clairement que le terrier artificiel est en train de démontrer son efficacité comme solution pérenne face à la présence du blaireau d’Europe au sein d’infrastructure de transport ferroviaire. Néanmoins, il ne sera possible d’affirmer la complète réussite du projet que lorsque l’étude aura été menée sur plusieurs années, permettant ainsi le recul nécessaire pour une évaluation objective de l’efficacité d’un tel dispositif innovant.
Laëtitia Duhil