Un rapport commandé par le ministère de la Transition écologique fait le point sur le placement des animaux issus de l’industrie du divertissement, et notamment les cétacés détenus dans les delphinariums, en analysant les enjeux liés à la création d’un enclos marin.
La fin des spectacles d’orques et de dauphins marquée par la promulgation de la loi sur la maltraitance animale du 31 novembre 2021 impose une réflexion sur l’avenir de ces animaux dans des conditions favorables à leur bien-être. À ce sujet, des organisations de protection animale telles que la LFDA, proposent comme piste de solution la construction de parcs de retraite en mer.
Héberger correctement des cétacés
En mai 2021, le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) a publié un rapport sur le placement des animaux sauvages vivants qui traite notamment du devenir des cétacés provenant de delphinariums. Parmi les solutions envisagées se trouve celle des enclos marins à vocation de sanctuaire de retraite, pour ces animaux sauvages actuellement exploités dans le but de nous divertir.
En effet, malgré quelques exemples de réintroduction réussis, le retour à la vie sauvage pour des animaux nés en captivité est peu probable. Les réintroductions demandent de très importants moyens financiers, mais aussi qu’un habitat d’accueil soit disponible et adapté. Cela signifie généralement de sortir les animaux des piscines et de les héberger en pleine mer dans un enclos de surface délimitée et dont ils ne peuvent s’échapper mais suffisamment large pour satisfaire les besoins essentiels des animaux.
De par le monde, il existe des enclos directement implantés sur des zones côtières ou en mer, la plupart étant en fait des delphinariums en mer ou des stations militaires comme celles de la Navy américaine. En Europe, un centre de recherche nommé Fjord and Baelt accueille et présente des marsouins communs dans un enclos dans le port de Kerterminde au Danemark. Quelques rares autres enclos marins se différencient par leur nature de sanctuaire de retraite visant à donner une seconde vie aux cétacés issus de l’industrie du divertissement, tels que le sanctuaire de Bali et le sanctuaire de belugas en Islande que nous présenterons ci-après. Ces enclos marins à vocation de sanctuaire de retraite doivent répondre à un cahier des charges précis pour satisfaire les besoins des cétacés et ne pas être des delphinariums déguisés. C’est en tout cas l’avis de diverses organisations de défense des animaux qui proposent cette solution pour l’avenir des dauphins captifs des delphinariums. Le rapport du CGEDD fait le point sur les éléments à prendre en compte pour la création d’enclos marins à vocation de sanctuaire de retraite pour cétacés captifs.
Définition d’un enclos marin à vocation de sanctuaire de retraite pour cétacés
Selon Martin Böye, responsable scientifique du zoo Planète sauvage, cité dans le rapport du CGEDD, un enclos marin à vocation de sanctuaire de retraite pour cétacés, correspond à une zone marine de faible profondeur (malgré tout plus profonde que dans un bassin), délimitée de l’espace marin par des structures perméables, comme des filets rigides, et destinée à l’accueil des cétacés provenant de delphinarium jusqu’à la fin de leur vie. Véritable compromis entre le retour à la vie sauvage et les bassins artificiels, cette solution propose d’offrir à leurs résidants des conditions de vie semi-naturelles : les activités de spectacles y sont interdites, l’interaction avec l’homme, à l’exception des soigneurs et des vétérinaires, est empêchée, ainsi que la reproduction. Afin de réduire l’ennui, un programme d’enrichissement du milieu est également mis en place.
Il n’existe à l’heure actuelle que deux enclos marins à vocation de parc de retraite pour cétacés tel que souhaités par les ONG. Ne disposant pas de plus d’exemples opérationnels à ce jour (voir plus bas), l’installation d’un nouvel enclos marin en France aurait un caractère pilote.
Notons qu’entre les mots sanctuaires et enclos marins, la frontière définitionnelle semble bien mince. Il nous parait toutefois plus approprié de trancher pour le terme d’enclos marins. Celui de sanctuaire peut en effet porter à confusion avec les zones marines protégées pour la préservation des mammifères marins. Ces sanctuaires ne présentent pas de barrières physiques, permettant aux animaux de sortir ou de rentrer sans restriction. À titre d’exemple, le sanctuaire PELAGOS s’étend sur plus de 87 500 km2 entre la Sardaigne et les côtes franco-italiennes, et ne peut répondre de par son manque de délimitation matérielle à la définition d’enclos marins.
Une réunion d’experts nécessaire pour dégager les conditions de mise en œuvre de ces installations
Afin de définir précisément les conditions de mise en œuvre d’un tel enclos, la contribution d’experts est nécessaire. En effet, il est important de faire état des connaissances en matière de comportement des cétacés, à l’état sauvage comme captif, mais également en matière d’infrastructures récentes et de problématiques environnementales.
La consultation d’experts composés de vétérinaires, ONG, éthologues, responsables scientifiques des enclos marins existants ou en projet et de delphinariums, ont permis au CGEDD de dégager certains thèmes pour l’ébauche du cahier des charges d’une telle installation.
Le cahier des charges des enclos marins
En tout état de cause, le rapport du CGEDD explique que la réflexion consacrée au cahier des charges devra faire l’objet d’une expertise rigoureuse pour juger de la faisabilité technique, économique et juridique d’ouverture de telles structures. Pour pouvoir être reconnues comme enclos marins, ces installations devront selon lui être en règle sur :
- La prise en compte des besoins physiologiques des animaux, à savoir :
- La prévention des risques infectieux, plus élevés chez les cétacés captifs en raison de défenses immunitaires amoindries.
- La qualité de l’eau à travers sa température, sa circulation, la prévention des risques de pollution d’origine humaine.
- L’alimentation et l’accès aux proies sauvages via le suivi d’un programme nutritionnel adapté.
- L’enrichissement varié du milieu sans installation nocive pour les animaux.
- L’atténuation des bruits dus à l’activité humaine environnante.
- Les aléas météorologiques et le confinement temporaires des cétacés en bassins intérieurs si nécessaire.
- L’accès aux soins et la gestion de la contraception.
- Une capacité d’accueil et de dimension des enclos supérieures à la législation des delphinariums.
- Des conditions techniques structurelles devant répondre au minimum aux exigences fixées pour les delphinariums.
- L’encadrement humain technique à travers les soigneurs, les vétérinaires et les éthologues.
- L’encadrement scientifique et la gestion des partenariats de recherche.
- La gestion des échecs et de la mort des animaux.
- La présentation au public et les risques associés au whale watching (observation de cétacés en mer).
Selon le CGEDD, les ONG s’accordent sur l’objectif de faire de ces endroits un argument de sensibilisation à la conservation de la biodiversité marine. Les recommandations tendent vers l’installation de webcams sous-marines et de visites depuis des passerelles spécifiquement aménagées.
- La sécurité du site afin de prévenir des fuites accidentelles.
Afin d’éviter qu’un mélange génétique entre les populations locales et la souche des dauphins en captivité, souvent originaires de Floride, se produise, la prévention des risques de fuite des animaux sera un élément important à ne pas négliger.
- Le devenir du site après la mort des animaux qui peut trouver une vocation pérenne d’accueil d’animaux provenant des delphinariums en Europe.
- Les aspects financiers.
Le rapport souligne que le projet d’enclos marins en Grèce Archipelagos aurait un budget de 1 084 millions d’euros pour les premières installations de base et d’investissement, puis de 600 000 euros par an en fonctionnement pour une capacité d’accueil de six dauphins.
- Les autorisations, les études d’impact, et les évaluations environnementales.
Une attention toute particulière devra être portée aux changements éventuels sur le milieu naturel que l’installation d’un groupe de cétacés en enclos pourrait engendrer, notamment au niveau de l’écosystème local marin.
- La gouvernance qui pourrait relever d’une institution privée ou d’une fondation.
Le cahier des charges attendu à la construction de ces enclos est donc ambitieux et nécessite des fonds importants.
Les enclos marins opérationnels, en projet, ou abandonnés à travers le monde
Pour l’heure, seuls deux enclos marins opérationnels ont vu le jour. Il s’agit de :
- « Bali dolphin sanctuary » : mis en service en 2020, cet enclos flottant se situe dans une embouchure du parc national de l’ouest de Bali en Indonésie. Trois dauphins y sont actuellement accueillis. Ces derniers ont été retirés de la piscine d’un hôtel dans le cadre d’une campagne contre les activités d’exploitation des dauphins de la région. Les animaux avaient été capturés dans la mer de Java. L’objectif à terme est de les y relâcher après une période de réadaptation.
- « Beluga whale sanctuary » dans la baie de Klettsvik en Islande qui accueille actuellement deux belugas issus d’un delphinarium chinois où ils ont été exploités pour le divertissement après avoir été capturés dans les eaux russes.
Il existerait par ailleurs trois projets dont l’ouverture est soit en attente, soit compromise :
- Le « whale sanctuary project »: projet de sanctuaire de plus de 40 ha avec des profondeurs pouvant atteindre jusqu’à 15 m, situé à Port Hilford au Canada. Ce dernier est prévu pour accueillir des orques ainsi que des dauphins du Canada. Il devrait inclure un centre pour les visiteurs et des travaux avec les écoles. Son entrée en service est prévue pour cette année.
- Le projet « Aegean Marine Life Sanctuary » sur l’île Lipsi en Grèce, porté par l’association Archipelagos: prévu pour un accueil de cinq à six dauphins, le CGEDD rapporte que ce projet ne bénéficierait pas des autorisations administratives nécessaires à sa construction. L’association qui le gère annonce quant à elle une ouverture qui pourrait se faire courant 2022.
- Le « National aquarium Baltimore » sur la côte Est des États-Unis : le projet aurait été stoppé faute de financement.
Conclusion
En conclusion de ses recherches préliminaires sur le sujet des enclos marins, le CGEDD recommande que les cétacés actuellement détenus dans les delphinariums français y restent jusqu’à la fin de leur vie. Il recommande toutefois qu’une étude poussée de faisabilité d’un enclos marins pour dauphins ou orques en France soit menée avec le concours de scientifiques. Il convient de noter que ce rapport a été rédigé avant l’adoption de la loi interdisant à terme la détention des cétacés dans les delphinariums. Cette décision rend les réflexions sur la création d’un enclos marins d’autant plus nécessaire. Il en vient de notre responsabilité morale de prendre en charge ces animaux que l’on a extrait de leur habitat naturel pour notre divertissement. En soutenant financièrement ce type d’infrastructures, la France pourrait être moteur dans le devenir plus éthique des cétacés captifs de l’industrie du divertissement.
Julie Gros