Le Sénat, historiquement amis des chasseurs, aurait-il été pris d’un sursaut ? En effet, en l’espace de deux mois à peine, il a lancé une mission de contrôle sur la sécurisation de la chasse et a adopté en première lecture une proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des terrains, notamment pour la chasse.
Une mission de contrôle sur la chasse au Sénat
Le 2 décembre 2020, Morgan Keane, jeune homme âgé de 25 ans, a été abattu par un chasseur dans son jardin lotois alors qu’il coupait du bois. L’histoire de Morgan Keane est loin d’être unique puisque, chaque année, une dizaine de personnes perdent la vie sous les balles des chasseurs. En pleine saison de chasse 2021-2022, les accidents ont fait grand bruit dans les médias : le 4 novembre, un automobiliste a succombé à ses blessures après avoir reçu une balle cinq jours plus tôt. Bien souvent, les victimes sont des chasseurs eux-mêmes : le 29 décembre, un chasseur a perdu la vie dans les Landes, après un tir de l’un de ses comparses. Un mois plus tôt, le 28 novembre, un autre chasseur a perdu la vie en pleine partie de chasse en Dordogne, et quatre jours plus tard, encore un autre a succombé à ses blessures de chasse dans le Finistère. À cela s’ajoute les blessés, qui ne manquent pas : un cycliste a été touché par 13 plombs le 6 novembre en Seine-Maritime ; un chasseur a été gravement touché au visage le 11 novembre à Montauban ; un autre chasseur a été blessé à la cuisse en Dordogne le 9 janvier 2022 ; et encore un cycliste touché par des plombs le 16 janvier en Gironde. La liste ne s’arrête pas là – d’autant que bon nombre d’accidents sont passés sous silence – mais elle parle déjà d’elle-même. Pour la saison de chasse de l’année dernière, en 2020-2021, l’Office français de la biodiversité a dénombré 80 accidents, dont 7 mortels, en forte baisse par rapport à l’année précédente (136 accidents dont 11 mortels en 2019-2020). L’on ne saurait se réjouir trop vite : 1- un chiffre satisfaisant serait égal à 0 ; 2- la saison de chasse de l’année dernière a été particulièrement courte compte tenu des mesures de confinement et autres restrictions sanitaires. La comparaison est donc largement limitée. Enfin, l’OFB ne comptabilise pas les nombreux « incidents » liés à la chasse : animaux de compagnie ou d’élevage abattus, tir sur des maisons ou des voitures, etc. Certains « faits divers » se retrouvent dans les médias, mais de nombreux autres sont tus.
Revenons-en à Morgan Keane. Ses amis, décidés à faire en sorte qu’il ne soit pas mort pour rien, ont formé un collectif appelé « Un jour un chasseur » et ont lancé une pétition officielle sur le site du Sénat intitulée « Morts, violences et abus liés à la chasse : plus jamais ça ! » pour demander des règles plus strictes pour la pratique de la chasse. Le principe consiste à recueillir 100 000 signatures de citoyens français en l’espace de 6 mois pour que le Sénat s’intéresse au sujet. La pétition a atteint les 100 000 signatures deux mois pile après son lancement le 10 septembre 2021. Elle a été clôturée le 23 novembre à 122 484 signatures. Quelques heures avant d’atteindre le seuil fatidique, le Sénat a anticipé en annonçant le lancement d’une mission conjointe de contrôle sur la sécurisation de la chasse. Cette mission a pour but de réaliser « une étude approfondie des questions relatives à la sécurité à la chasse, à la délivrance et à la validation du permis de chasser, aux conditions de détention d’armes de chasse, à la répartition spatiale et temporelle de l’usage des espaces naturels, aux sanctions encourues ainsi qu’à la prise en charge des victimes ». Depuis le mois de décembre, le Sénat procède à des auditions, du collectif « Un jour un chasseur » bien sûr, mais aussi des victimes, des chasseurs, des représentants d’associations de sport et de nature, des ONG de protection animale dont la LFDA… Les rapporteurs de la mission rendront un rapport avec des préconisations qui, nous l’espérons, déboucheront à terme sur une réforme de la chasse.
Le Sénat vote une proposition de loi concernant la chasse en enclos
Lancé sur le sujet « chasse », le Sénat a examiné le 10 janvier 2022 une proposition de loi visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée. L’objectif de cette proposition de loi est de freiner l’essor des enclos de chasse, dans lesquels les animaux sauvages sont emprisonnés pour être décimés, et qui se développent sur le territoire. Plus particulièrement, les sénateurs à l’origine de cette proposition de loi regrettent que le développement d’enclos gigantesques dont la taille des clôtures ne permettent pas aux animaux de passer par-dessus ou par-dessous (elles sont enterrées) pour assurer une circulation de la faune sauvage et une continuité écologique. Ces parcs de chasse grillagés se sont développés à outrance en Sologne.
Que certains se rassurent, le Sénat n’a pas décidé sur un coup de tête d’interdire la chasse en enclos. Les amendements en ce sens ont été rejetés. C’est regrettable, car l’occasion était parfaite pour mettre un terme à cette pratique ignoble qui consiste à faire du « ball-trap » avec des animaux.
Cependant, le Sénat a voté une limitation de la taille des clôtures à 1,20 mètres de haut et 30 centimètres au-dessus de la surface du sol pour les clôtures érigées après 2005. Les matériaux devront être naturels ou traditionnels et ne pas constituer de pièges pour les animaux. Cela ne concerne pas les clôtures à moins de 150 mètres des habitations.
Il est très peu probable que cette proposition de loi soit définitivement adoptée car son passage à l’Assemblée nationale avant la fin de la législature, soit d’ici le mois de juillet 2022, semble quasiment impossible.
Conclusion
Ne nous voilons pas la face, la mission sur la sécurisation de la chasse lancée par le Sénat n’aboutira pas rapidement à une réforme ambitieuse de la chasse. Néanmoins, elle est une opportunité d’évaluer concrètement la dangerosité de ce loisir pratiqué par une faible portion de la population, qui met en danger de mort ceux qui ne le pratique pas, et qui est de plus en plus mal vu par la population française. Elle permet de recueillir des données sur la chasse et servira de base en vue d’une réforme qui, nous le souhaitons, interviendra un jour ou l’autre. Quant à la proposition de loi, elle reste une occasion manquée même si elle constitue un pas dans la bonne direction. Finalement, aussi incroyable que cela puisse paraître, en matière de chasse, le Sénat aura fait plus que l’Assemblée nationale, qui, disons-le, n’a pas été très active sur le sujet durant cette législature.
Nikita Bachelard