Il est bien connu que dans le cadre de la médecine humaine, de très nombreuses thérapies dont l’efficacité n’est pas démontrée sont proposées aux patients. Les praticiens qui les promeuvent peuvent être convaincus de bonne foi de la pertinence de méthodes pourtant incertaines, inefficaces voire nuisibles, ou bien simplement être intéressés par l’appât du gain. Des problématiques similaires existent concernant la médecine vétérinaire.
Le 15 juin dernier, l’Académie vétérinaire de France a rendu un avis sur l’homéopathie vétérinaire, concluant que « ni en médecine humaine, ni en médecine vétérinaire, au stade actuel, les études cliniques de tous niveaux n’apportent de preuves scientifiques suffisantes pour soutenir l’efficacité thérapeutique des préparations homéopathiques ». Pourtant l’homéopathie vétérinaire reste encore largement utilisée en France. Une association de vétérinaires homéopathes a même vu le jour récemment pour défendre son usage. Pour aborder la question de l’importance d’une médecine vétérinaire fondée sur les preuves, et des dérives liées aux pseudo-sciences et à l’ésotérisme dans ce domaine, nous vous proposons un entretien avec Franck Poudrai, docteur vétérinaire du collectif, devenu association, « Les Zétérinaires », s’intéressant particulièrement à ces questions.
Qu’est-ce que la zététique ? C’est une discipline et un mouvement se réclamant du scepticisme scientifique, aussi présentée comme « l’art du doute » par Henri Broch, créateur du néologisme. La zététique s’appuie sur la méthodologie scientifique et la philosophie des sciences (épistémologie) pour évaluer la véracité des croyances, distinguer les sciences des pseudo-sciences et lutter contre l’influence de ces dernières. De manière plus large, la zététique prône également l’étude rigoureuse et scientifique des phénomènes réputés paranormaux et l’éducation à l’esprit critique.
- Pouvez-vous vous présenter brièvement pour nos lecteurs ?
Je suis Franck Poudrai, docteur vétérinaire, exerçant actuellement en pratique canine, et président de l’association Les Zétérinaires.
- Qu’est-ce que le collectif « Les Zétérinaires » ?
Nous avons effectué depuis deux ans la mutation du collectif en une association de vétérinaires. Nous souhaitons limiter l’intrusion des pseudo-sciences dans la médecine vétérinaire. Nous sommes attachés à promouvoir une médecine basée sur les preuves en faisant appel à l’esprit critique et à la recherche scientifique. Notre action fondatrice a été une lettre ouverte auprès du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires pour lui demander de prendre position quant à l’adéquation de la pratique de l’homéopathie avec les règles érigées par notre code de déontologie.
- Quelles sont les pseudo-médecines les plus répandues en médecine vétérinaire et quelles en sont les conséquences ?
La liste des pseudo-médecines est malheureusement assez grande, cela va des plus classiques : homéopathie, acupuncture, ostéopathie, phytothérapie… aux plus « originales » : radiesthésie, ondes scalaires, ostéopathie cranio sacrée, kephrenothérapie… sans oublier aussi toutes les médications aux propriétés incertaines voire inexistantes : compléments alimentaires, phéromones…
Les conséquences sont variables. Parfois, ces pseudo-médecines sont utilisées concomitamment avec un traitement efficace. La conséquence est dans ce cas limitée en ce qui concerne la santé de l’animal. Mais lorsqu’elles sont utilisées en lieu et place d’un réel traitement, on retrouve alors le même cortège de conséquence qu’en humaine : retards de soins, souffrances inutiles, mort…
- Y’a-t-il des spécificités des pseudo-médecines dans le cadre vétérinaire comparé à la médecine humaine ?
La spécificité principale est que certaines de ces pratiques comme l’aromathérapie surfent sur la lutte contre l’antibiorésistance pour se frayer un chemin dans l’opinion des vétérinaires. Sinon, nous sommes sur les mêmes ressorts de rhétorique fallacieuse : appel à la popularité, appel à la nature, rejet de la médecine classique et du complot Big Pharma…
On peut aussi citer le cas particulier de l’ostéopathie qui profite de l’absence de branche de kinésithérapie vétérinaire – la physiothérapie vétérinaire commence néanmoins à se développer. Les propriétaires d’animaux pensent souvent faire face à des pratiques semblant agir mécaniquement sur le squelette, les articulations, les muscles… et ils se trouvent rapidement au contact de praticiens travaillant sur les « énergies », les tensions viscérales ou la respiration crânienne grâce à des procédés tenant de la pensée magique.
Nous voyons aussi se développer avec appréhension la communication animale. C’est une duperie consistant à faire croire que le praticien communiquant peut échanger des pensées, des réflexions voire des avis avec un animal vivant ou mort, sur place ou à distance. Nous espérons que notre profession saura ne pas faciliter le développement de cette escroquerie.
- Y’a-t-il un cadre juridique dans le contexte vétérinaire pour lutter contre le charlatanisme ?
C’est malheureusement assez faible dans notre code de déontologie puisque le terme « charlatanisme » n’est pas cité. Nous retrouvons néanmoins essentiellement deux passages qui précisent :
- que le vétérinaire se doit d’acquérir et d’entretenir l’information scientifique nécessaire à son exercice,
- que la communication envers les tiers doit « être loyale, honnête et scientifiquement étayée. Elle ne doit pas induire le public en erreur, abuser sa confiance ou exploiter sa crédulité, son manque d’expérience ou de connaissances ».
L’Académie vétérinaire de France a récemment recommandé de réaffirmer le caractère scientifique de la profession dans le prochain code de déontologie.
Dernièrement, le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires a envoyé un signal fort à l’encontre des pratiques à l’efficacité uniquement liée aux effets contextuels, l’homéopathie et la naturopathie en particulier : interdiction d’exercice exclusif, information aux clients renforcée, responsabilité aggravée, exclusion de la formation continue…
- Y’a-t-il une augmentation du recours aux pseudo-médecines vétérinaires ?
C’est assez difficile à objectiver de façon certaine. Néanmoins plusieurs indices nous permettent d’apprécier la « décomplexion » des praticiens alternatifs et donc probablement leur accroissement : réponses sur les réseaux sociaux, sites internet des cliniques diffusant des absurdités scientifiques, association de médecines complémentaires dans des écoles, importance politique et probablement financière de la formation à ces pratiques. Certains groupes de cliniques semblent aussi vouloir surfer sur cette vague.
- Comment expliquer le succès des pseudo-médecines vétérinaires ?
Le succès des pseudo-médecines vétérinaires fait malheureusement suite au même succès en médecine humaine. De plus, il semble évident qu’il y a eu un certain manque de clairvoyance sur ce sujet de la part des différentes instances politiques et associatives vétérinaires depuis les années 2000, ce qui a offert une visibilité trop importante à ces pratiques. Le manque d’enseignement à l’esprit critique dans les écoles vétérinaires pourrait aussi être évoqué même s’il semble qu’une évolution soit en cours.
- Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les effets dits « contextuels » en médecine ? Ces effets existent-ils chez les animaux non humains ? Si oui, sont-ils pris en compte dans l’évaluation de l’efficacité des thérapies vétérinaires ?
Les effets contextuels pourraient être résumés à l’ensemble des modifications physiologiques réelles ou supposées survenant après un acte de soins. Ils regroupent plusieurs catégories : le bien connu effet placebo, l’effet soignant, les modifications d’environnement concomitantes aux traitements, et un point souvent oublié : l’évolution naturelle de la maladie vers la guérison ou l’expression cyclique de celle-ci.
Des effets contextuels peuvent en effet être observés chez les animaux. Les animaux sont sensibles aux actions et à l’état d’esprit de leurs propriétaires ou éleveurs. Lorsqu’un propriétaire pense qu’il donne un traitement qui va faire guérir son animal, cela va forcément avoir un impact sur la manière dont il s’occupe de lui, le soin qu’il lui porte, etc., ce qui peut aider l’animal à guérir, indépendamment de l’action du médicament en lui-même. On n’oubliera pas non plus l’interprétation subjective et biaisée que fera le propriétaire de l’état de son animal après un soin ou une médication.
Les méthodes d’évaluation des thérapies vétérinaires sont comparables aux méthodes utilisées en médecine humaine : efficacité versus placebo, randomisation, double aveugle. Néanmoins il faut bien avouer des écueils notables dans l’évaluation vétérinaire : le média que représente le propriétaire – même s’il existe des protocoles permettant de limiter la subjectivité de ceux-ci – et surtout les effectifs des études qui sont assez souvent faibles.
- Quel regard portez-vous sur les standards des cahiers des charges « agriculture biologique » vis-à-vis des pratiques vétérinaires ?
Le cahier des charges bio prétend fixer par voie réglementaire ce qui est de la médecine. C’est inacceptable et particulièrement stupide. Cela me rappelle cette histoire des députés de l’Indiana (États-Unis) qui ont failli fixer la valeur de pi à 3,2 !
Dans l’article 24 du règlement (CE) n° 889/2008, il est indiqué : « Les produits phytothérapiques, les produits homéopathiques, les oligo-éléments (…), sont utilisés de préférence aux médicaments vétérinaires allopathiques chimiques de synthèse ou aux antibiotiques, à condition qu’ils aient un effet thérapeutique réel sur l’espèce animale concernée et sur l’affection pour laquelle le traitement est prévu. »
On voit ici que l’homéopathie est encouragée alors qu’elle est reconnue comme n’ayant aucune efficacité propre par la plupart des sociétés savantes médicales du monde dont les académies de pharmacie, de médecine et de médecine vétérinaire de France.
De plus, le bien-être des animaux et la prise en compte de la souffrance animale sont inscrits dans la philosophie de l’agriculture biologique.
Alors que le recours à la médecine est expressément autorisé en cas de nécessité (art. 14 e ii du règlement 834/2007), faire le choix de traitements illusoires augmente de fait la souffrance des animaux, ce qui est donc contraire à l’idéologie initiale de cette production.
- Que devrait-on faire pour lutter efficacement contre les dérives pseudo-scientifiques et favoriser les pratiques vétérinaires fondées sur des preuves ?
Limiter l’essor des pseudo-sciences ne peut passer que par l’éducation et l’information.
Au niveau de la formation initiale, un enseignement de méthodologie a été mis en place (lecture critique d’article notamment), on pourrait imaginer des cours d’autodéfense intellectuelle et d’épistémologie. La science et le progrès médical doivent rester les bases de l’enseignement dans les écoles vétérinaires. Nous espérons que les dirigeants de celles-ci sauront garder ces bases malgré les contraintes économiques et politiques.
Mais cela ne peut s’envisager que si le développement et la visibilité des pseudo-sciences sont contrôlés dans la profession en général. Nous sommes toujours surpris de la méconnaissance et pour tout dire, parfois de la naïveté des institutions vétérinaires et de la profession en général sur le sujet : méconnaissance des origines ésotériques de certaines pratiques, méconnaissance des mécanismes fantaisistes de certaines autres, absence de regard critique sur des résultats miraculeux… Il est indispensable de mieux informer nos confrères et consœurs et de les alerter sur les potentielles conséquences néfastes de ces pseudo-médecines en termes de bien-être animal et de confiance du public.
Mais il faut rappeler que, dernièrement, l’Académie vétérinaire de France, via son avis du 15 juin 2021, et le Conseil national de l’Ordre, via son communiqué du 18 octobre 2021, semblent avoir pris la mesure du problème et réaffirmer l’attachement de notre profession à la science. Espérons que le mouvement initié trouvera un écho auprès de l’ensemble des autres intervenants de la profession.
Propos recueillis par Gautier Riberolles