Si le droit français est lacunaire à propos de la protection des animaux sauvages, la loi Climat et Résilience a manqué l’occasion de rectifier le tir en la matière.
Le droit pour protéger la faune sauvage
Selon l’article 1er de la Déclaration des droits de l’animal, « le milieu naturel des animaux à l’état de liberté doit être préservé afin que les animaux puissent y vivre et évoluer conformément à leurs besoins et que la survie des espèces ne soit pas compromise. »
Aussi pour ne pas compromettre la survie des espèces animales – faune sauvage comprise – la protection de leur(s) milieu(x) de vie est un prérequis nécessaire pour ne pas dire une condition sine qua non.
Pourtant, une proclamation est insuffisante à assurer automatiquement une quelconque effectivité. Force est malheureusement de constater que même les meilleures attentions ont besoin du relais du droit et de son lot de sanctions pour s’assurer d’une efficacité même relative. Jusque lors, notre droit positif était largement insuffisant s’agissant de la protection de la faune sauvage souffrant d’un véritable retard sur ce point. En effet, les effets du dérèglement climatique vont au-delà de l’espèce humaine ; les espèces animales et végétales sont aussi des victimes. Selon l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), 35 % des oiseaux, 52 % des amphibiens et 71 % des récifs coralliens seront in fine impactés par le changement climatique. Quarante-sept pour cent des mammifères terrestres subissent déjà les conséquences négatives du réchauffement climatique. Ajoutons que les pesticides déversés par l’Homme mènent aujourd’hui à la perte de 70 % des insectes.
L’écocide en question
La Convention citoyenne pour le climat a débuté ses travaux en octobre 2019. Lorsqu’elle les achève en juin 2020, son rapport publié fait état de 149 propositions regroupées en 5 thématiques. De ces 149 propositions est issue la loi du 22 août 2021 nommée loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets dite loi Climat et Résilience entrée en vigueur le 24 août 2021. Cette loi a deux buts non-équivoques : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030 et renforcer les sanctions pour atteinte à l’environnement notamment en cas d’écocide. Le terme « écocide » signifie « tuer la maison » – cela renvoie donc aux atteintes les plus graves à l’environnement dès lors qu’elles ont pour effet de détruire l’environnement de manière irréversible. La paternité du concept d’écocide a été attribuée au biologiste américain Arthur Galston. En matière politique, c’est le premier ministre suédois Olaf Palme qui l’emploiera pour la première fois en juin 1972. Cette reconnaissance ne suffira pas à permettre l’inscription de l’écocide dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. En 2015, le rapport Neyret présentait 35 propositions pour mieux sanctionner les crimes contre l’environnement et recommandait, à ce titre, la conclusion d’une convention internationale réprimant justement le crime d’écocide.
Le crime d’écocide se définit comme tout acte intentionnel commis dans le cadre d’une action généralisée ou systématique et qui porte atteinte à la sureté de la planète. Ce crime faisait partie des nombreuses propositions de la Convention citoyenne mais le projet de loi Climat et Résilience entendait, quant à lui, consacrer une infraction moindre, en deçà des attentes, le délit d’écocide. Pire encore, ce délit déjà mal accueilli a par la suite été vidé de sa substance lorsque la négligence et l’imprudence principalement à l’origine des cas de pollution ont finalement disparus.
Ce premier constat établi nous interroge sur le point de savoir si in concreto la montagne a encore accouché d’une souris en matière de droit pénal de l’environnement ?
Les apports de la loi Climat et Résilience
Pour répondre de façon circonstanciée et objective à cette interrogation a priori exagérément subjective, il convient d’appréhender plus en détail ce que prévoit finalement la loi Climat et Résilience afin d’apprécier ses avancées concrètes.
La loi Climat et Résilience modifie tout d’abord l’article L173-3 du code de l’environnement et aggrave les peines applicables aux faits prévus aux articles L173-1 et L173-2 du même code si ces faits entrainent des atteintes graves et durables à la santé, la flore, la faune ou encore la qualité de l’air, du sol ou de l’eau. Dans un même temps, un délit de mise en danger de l’environnement est créé dans le but de sanctionner les personnes ayant exposé l’environnement à un risque de dégradation durable de la faune, de la flore ou de l’eau. Véritable infraction obstacle, la pollution effective importe peu ici, c’est le risque qui est sanctionné. Un tel comportement est passible d’une amende de 250 000 euros et de trois ans d’emprisonnement. Le montant de l’amende peut être porté au triple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.
La loi Climat et Résilience vient également créer deux autres délits dont les pénalités sont modulées en fonction de l’intentionnalité de l’auteur : un délit général de pollution des milieux et un délit d’écocide.
Le délit général de pollution des milieux réprime le fait, en violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, prévue par la loi ou le règlement, d’émettre dans l’air, de jeter, de déverser ou de laisser s’écouler dans les eaux superficielles ou souterraines ou dans les eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales, directement ou indirectement, une ou plusieurs substances dont l’action ou les réactions entrainent des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune. Ce délit est puni de cinq ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende. Est également puni de trois ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le fait d’abandonner ou de faire déposer des déchets sans satisfaire aux prescriptions concernant les caractéristiques, les quantités, les conditions techniques de prise en charge des déchets et les procédés de traitement mis en œuvre, lorsqu’ils provoquent une dégradation substantielle de la faune et de la flore ou de la qualité de l’air, du sol ou de l’eau.
S’agissant du délit d’écocide, ce dernier est constitué lorsque les faits constituant l’infraction de délit général de pollution des milieux sont commis intentionnellement et lorsque ces faits entrainent des atteintes graves et durables à la santé, à la flore, à la faune ou à la qualité de l’air, du sol ou de l’eau. Le législateur précise la notion de durabilité : sont considérés comme durables les effets nuisibles sur la santé ou les dommages à la flore ou à la faune d’une durée d’au moins sept ans. Les sanctions encourues sont dix ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros d’amende, montant qui peut être porté jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la consommation de l’infraction.
Cette rapide mais diligente présentation réalisée, le temps est désormais venu d’envisager l’aspect critique de nos propos.
L’occasion manquée de criminaliser l’écocide
Au-delà de la seule déception de l’absence dans notre droit positif d’un crime d’écocide, la première question qui se pose est celle de la constatation de l’atteinte à l’environnement – tous visages confondus – à sanctionner. Il convient tout d’abord de relever l’adaptation des moyens de poursuites, des formations satisfaisantes des différents acteurs judiciaires et la récente loi relative au parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée. Au titre des « agents de terrain » en mesure de constater de telles infractions, l’Office français de la biodiversité (OFB) compte plus de 1 600 inspecteurs au sein de la police de l’environnement en mesure de procéder à de telles constatations au regard de leur mission de terrain. À ces premiers inspecteurs, il convient d’ajouter les agents des services déconcentrés de l’État et des parcs nationaux, réseau rattaché à l’OFB. Pour ne pas faire preuve de pessimisme excessif, gageons que cela puisse suffire.
Par suite, ce sont les termes employés par le législateur qui interrogent : « effets nuisibles graves et durables » ou « dégradation substantielle » pour le délit général de pollution des milieux, « atteintes graves et durables » pour le délit d’écocide. Le législateur a précisé ce que recouvrait la durabilité mais n’a fait aucune précision quant à la signification précise de « dégradation substantielle ». Quid également de la distinction qu’il convient de faire entre effets nuisibles et atteintes ? Sémantiquement, ces termes sont différents. Sont-ce les effets nuisibles graves et durables ou les atteintes graves et durables qui sont les plus sérieux ? Le code de l’environnement sanctionne plus sévèrement les atteintes que les effets nuisibles. Toutefois admettre cette gradation ne suffit pas à savoir ce qu’elles recouvrent. Sur ce point, le silence du législateur ne joue pas en la faveur de l’effectivité des mesures.
S’agissant des atteintes graves et durables, le législateur a précisé qu’elles devaient être d’une durée d’au moins sept ans. Sept ans, là où le projet de loi avait dans un premier temps retenu dix ans. Certes, il s’agit d’une durée moindre mais n’est-elle pas encore trop large pour pouvoir nous éloigner du spectre nous permettant d’affirmer que la montagne a une fois de plus en cette matière accouché d’une souris ? Une chose est certaine, la preuve d’une atteinte durable est difficile à apporter au sens où il sera nécessaire de prouver aujourd’hui que le dommage durera demain et après-demain au moins sept ans. La preuve semble finalement uniquement possible dans le cas d’une disparition totale de l’espèce animale, ici, victime.
Autre point d’interrogation, celui de la nature directe ou indirecte des atteintes à la faune sauvage. Si l’eau d’un milieu de vie est « contaminée », il y a malheureusement fort à parier que la faune et la flore en seront des victimes a minimacollatérales.
Enfin, se pose la question classique mais centrale de l’accessibilité, de la clarté, en un mot de la lisibilité de la norme. L’une des préconisations du rapport Neyret est l’impériosité « de faire entrer dans le code pénal un délit général d’atteinte à l’environnement ainsi qu’un délit de mise en danger de l’environnement qui pourraient couvrir les comportements illicites n’entrant pas dans le champ des incriminations spéciales.» Or, à ce jour, le code pénal ne connait aucune des dispositions de la loi Climat et Résilience ; toutes ces dispositions sont inclues dans le code de l’environnement… du spécial, rien que du spécial, exit le général.
La loi Climat et Résilience connait donc des avancées significatives au regard des délits nouvellement créés mais relatives en matière de protection de la faune alors même que des multiples alertes au sujet de la cause animale ont été lancées à plusieurs reprises. Le droit positif souffre d’un véritable handicap en droit pénal de l’environnement et la loi Climat et Résilience n’est malheureusement pas parvenue à en effacer les nombreux stigmates. Le législateur a bien du mal à assumer et organiser une protection efficace et efficiente de la faune. Sans doute que les délits nouvellement créés sont-ils trop généraux et manquent-ils de spécificités pour satisfaire la protection attendue de la cause animale. Les récents débats autour de la proposition de loi sur la maltraitance animale sont une nouvelle démonstration contemporaine de la difficulté qu’a le législateur à prendre rapidement, facilement et clairement une position en faveur de cette cause.
Virginie Jeanpierre