Un vétérinaire confronté à un acte de maltraitance peut-il déroger au secret professionnel? La réponse, loin d’être jusque là évidente, semble se dessiner depuis la réforme législative de 2021, visant à lutter contre la maltraitance animale.
Secret professionnel et maltraitance animale: des difficultés d’interprétation
Comme l’avait écrit Alain Grépinet en 2012, le secret professionnel peut être défini comme « l’ensemble des informations personnelles dont a connaissance, au cours de son exercice professionnel, celui ou celle qui, de ce fait, en devient le dépositaire et a l’obligation générale de n’en rien révéler. » Il est tout à la fois un droit et un devoir : un droit pour la personne qui le confie et qui sait a priori qu’il sera bien gardé. Et il est, pour la personne qui en devient le dépositaire, un devoir, non seulement moral mais le plus souvent légal et déontologique. En d’autres termes, le secret contient, par nature, l’interdiction de révéler une information dont on est dépositaire par état ou par profession et qui, en cas de divulgation, serait susceptible de nuire à la personne qui l’a confiée, à ses proches ou même à l’intérêt général. Le secret correspond à une nécessité pour l’installation pleine et entière d’une relation de confiance entre le professionnel et son patient ou client. Il est imposé par la loi à un certain nombre de professions libérales réglementées. Le code pénal réprime l’atteinte au secret professionnel.
Les citoyens, attachés aujourd’hui à la préservation de leurs libertés et intérêts individuels que le secret protège, semblent paradoxalement épris dans le même temps de transparence, concept quelque peu à la mode. Une contradiction peut parfois être perçue entre transparence et secret. Toutefois, comme l’avait indiqué en 2003 l’Union mondiale des professions libérales, et comme l’avait rappelé Alain Grépinet, il ne faut pas faire « l’amalgame entre le secret professionnel, besoin personnel, un des composants des libertés individuelles, et la transparence, besoin collectif, causé par l’accès généralisé à une information globale et immédiate. Confondre les deux serait liberticide. »
Pour le vétérinaire, jusqu’à l’ordonnance législative du 31 juillet 2015 réformant son ordre professionnel, la situation était la suivante. Il était légalement astreint au respect du secret professionnel par la seule conjonction des dispositions du code pénal et du code de déontologie vétérinaire. Ces dispositions n’établissaient aucun doute sur la réalité de l’obligation de secret professionnel du vétérinaire mais elles pouvaient présenter des difficultés d’interprétation quant à son champ et son contour et aussi quant aux dérogations légales.
Clarification par la loi sur la maltraitance animale de 2021
La réforme de l’Ordre a spécifiquement inscrit dans la loi le secret professionnel du vétérinaire. Elle en a accru son importance et sa force. Tout récemment, la loi du 30 novembre 2021 visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale et conforter le lien entre les animaux et les hommes en a clairement précisé le champ.
Cette même dernière loi a complété les dispositions de l’article 226-14 du code pénal, permettant maintenant très clairement au vétérinaire de déroger au respect du secret pour porter à la connaissance du procureur de la République des informations sur des sévices graves, des actes de cruauté, atteintes sexuelles ou mauvais traitements infligés à des animaux.
En cas de maltraitance constatée, le praticien peut se trouver aux prises avec des questionnements éthiques résultant notamment du conflit d’obligations entre celle de respecter le secret professionnel qui le lie au propriétaire ou détenteur de l’animal et celle, en vertu de sa vocation, de porter secours à un animal qu’il pense maltraité. Auparavant, s’il voulait prendre la responsabilité d’un signalement, il était amené :
- soit à se positionner par rapport à l’article 122-7 du code pénal relatif à l’état de nécessité,
- soit – à condition de disposer d’une habilitation sanitaire le liant au préfet, c’est-à-dire être aussi vétérinaire sanitaire – de signaler le fait aux autorités administratives (au titre de l’article L.203-6 du CRPM, comme cela lui était du reste imposé en ce cas), en tant que manquement à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire.
Le bien-être animal pouvait ne pas être jugé comme faisant partie de la santé publique vétérinaire, même si l’Académie vétérinaire de France l’avait envisagé comme tel. Le signalement en tant qu’atteinte à la santé publique vétérinaire se faisait en ce qu’il était susceptible de présenter un danger grave pour les personnes ou les animaux. Cette dernière approche était – du reste – considérée comme quelque peu juridiquement délicate avant que la santé publique vétérinaire ne fût considérée dans la loi comme comprenant le bien-être animal, ce qui n’a été acté qu’en 2015, dans l’ordonnance réformant l’Ordre des vétérinaires (article L242-1 du CRPM).
Malgré tout, dénoncer une maltraitance animale restait, pour le praticien, une démarche juridiquement compliquée, tortueuse et délicate, et surtout à risque : risque pénal et risque disciplinaire. Du reste, un certain nombre de personnes mises en cause pour maltraitance animale par leur vétérinaire ne s’étaient pas privées, pour tenter de se défendre en attaquant, de le poursuivre devant les instances disciplinaires de l’Ordre…
Facilitation pour le vétérinaire de la dénonciation de mauvais traitements
Ainsi donc aujourd’hui, pour le vétérinaire la situation est claire et devenue simple quant à son secret professionnel, lequel dans le même temps s’est trouvé renforcé :
- La loi impose spécifiquement au vétérinaire le respect du secret professionnel dans les conditions établies par l’article 226-13 du code pénal et le précise dans son champ (articles L241-5, L242-1 et L242-8 du CRPM). Son code de déontologie lui rappelle cette obligation (article R242-33 III et V du CRPM).
- L’article 226-14 du code pénal permet des dérogations quand la loi impose ou autorise la révélation du secret.
- Elle l’impose au vétérinaire sanitaire, à travers le traitement du bien-être animal au titre de la santé publique vétérinaire (article L203-6 du CRPM). Il prévient alors les autorités administratives (DDPP) au même titre que dans le cas de déclaration de suspicion de maladies contagieuses, de mise en observation d’un animal mordeur dans le cadre de la surveillance de la rage, etc. Il déclare la morsure d’une personne par un chien au titre de l’article L211-14-2 du CRPM. C’est par une démarche voisine qu’il transmet au maire un rapport d’évaluation comportementale (article L211-14-1 du CRPM)…
- Elle lui autorise aujourd’hui explicitement, sans qu’il soit nécessairement vétérinaire sanitaire, la révélation de mauvais traitements et autres actes infligés cruellement aux animaux, grâce à l’ajout récent à cet article d’un 5° spécialement dédié au vétérinaire.
Les vétérinaires français ont toujours été tacitement astreints au respect d’un devoir de confidentialité depuis que leur profession a été organisée en un ordre professionnel républicain. Leur code de déontologie a formellement imposé le respect du secret professionnel à partir de 1966. Cela n’est du reste pas le cas dans tous les États membres de l’Union.
Toutefois, le contour de ce secret leur a parfois posé problème, d’autant que, contrairement aux médecins qui ne disposent pas d’un système équivalent au service de l’intérêt général, la création de ce qui était initialement appelé le mandat sanitaire, devenu habilitation sanitaire, auquel sont liés la plupart des praticiens, avait pu, par les dérogations légales au secret générées, quelque peu éroder une culture du secret, incontestablement plus affirmée historiquement chez les médecins que chez les vétérinaires.
L’apparition dans les années 1990 d’une mode urbaine consistant à rendre volontairement certains chiens dangereux avaient posé des cas de conscience sinon de questionnement éthique à nombre de mes confrères. La maltraitance animale et la compréhension du lien susceptible d’exister de surcroît avec des violences humaines, familiales notamment, faisait émerger de nouveaux dilemmes. La loi du 30 novembre 2021 est venue à point combler cette lacune.
La question du secret professionnel du vétérinaire est en définitive assez souvent dans nos sociétés celle de l’équilibre entre les droits individuels et l’intérêt général, celle de la juste décision entre la santé d’un animal et la santé publique vétérinaire, c’est-à-dire celle des populations, animales et humaines, et des écosystèmes. La crise zoonotique pandémique actuelle ne nous fera pas mentir. Cette question du secret est aussi celle, d’une certaine manière, au plan moral, de l’éternel arbitrage entre droits et devoirs. Pour les vétérinaires, il semble plutôt que le fléau de la balance se soit bien repositionné à l’équilibre. Et les animaux devraient en principe mieux y trouver leur compte.
Michel Baussier
Cet article est basé sur plusieurs références disponibles sur le site internet de la fondation.
- Grepinet, A. Secret professionnel : le vétérinaire y est-il soumis ? L’Essentiel, mars 2012.