Malgré les exigences portées par la réglementation européenne en matière de transport d’animaux vivants, les ONG ne cessent de faire état de drames qui se produisent en raison des conditions ignobles dans lesquels les animaux se retrouvent.
Depuis de nombreuses années, les ONG rapportent des cas de transport d’animaux vivants dans des conditions ignobles. En 2021, deux incidents en mer Méditerranée avaient fait grand bruit, puisque près de 2 700 bovins s’étaient retrouvés coincés en mer pendant 3 mois, dans des navires-bétaillers inadaptés, avant d’être finalement débarqués en Espagne. Les animaux qui n’étaient pas morts, survivant dans un état déplorable, avaient été euthanasiés (voir l’article « Énième scandale de transport d’animaux par voie maritime » dans le numéro 109). Pourtant, l’Union européenne (UE) dresse un certain nombre d’exigences pour protéger les animaux vivants pendant le transport dans son règlement (CE) 1/2005. Comment ce genre de drames peuvent-ils alors se produire ?
Mise en contexte sur le transport d’animaux vivants dans l’UE
En 2019, plus de 1,6 milliards d’animaux d’élevage ont été transportés vivants au sein et depuis l’UE, sans compter les 57 523 tonnes de poissons. Les animaux sont transportés pour être abattus, engraissés, ou bien pour la reproduction.
Le transport peut entrainer un certain nombre d’atteintes au bien-être des animaux, au moment du chargement et du déchargement, ainsi que pendant le transport, en lien avec la densité d’animaux et leur manipulation. De plus, le bien-être des animaux décroit au fur et à mesure que la durée de transport augmente.
Afin de minimiser les risques de souffrances et de mal-être pour les animaux durant le transport, le règlement (CE) 1/2005 exige que les animaux soient aptes à être transportés, que les moyens de transport soient convenablement équipés, le personnel bien formé, et des soins spécifiques soient apportés aux animaux (espace, alimentation et abreuvement). Des dispositions supplémentaires s’appliquent pour les transports dits « de longue durée » qui durent ou dépassent 8 heures.
Ce règlement européen s’applique à tous les acteurs liés au transport d’animaux (transporteurs, conducteurs, autorités nationales, etc.), au sein de l’UE mais également en dehors de l’UE dans le cas de trajet vers ou en provenance de pays tiers.
Mise en œuvre du règlement européen sur le transport d’animaux vivants
Pour vérifier la mise en œuvre du règlement dans les États membres de l’UE, la Commission européenne a réalisé plusieurs audits en lien avec l’aptitude au transport des animaux, le transport par route, le transport en mer, le franchissement de la frontière bulgaro-turque (où les camions sont souvent coincés pendant des heures dans une queue interminable)… La Commission a aussi établi une plateforme sur le bien-être animal qui réunit de nombreuses parties prenantes, comme des scientifiques, des autorités nationales, des entreprises et des ONG. Le sujet du transport y est discuté. Elle a aussi mis en place un programme de formation pour les inspecteurs, ainsi que des guides de bonnes pratiques sur le transport d’animaux.
Concrètement, il n’est pas aisé d’évaluer si le règlement et sa mise en œuvre ont eu un quelconque impact positif pour le bien-être des animaux. Il n’existe aucun indicateur fondé sur les animaux. Si le taux de mortalité pourrait en être un, il n’existe pas de données officielles à ce sujet. L’aptitude au transport (est-ce que l’animal est en assez bon état pour être transporté ?) pourrait aussi être un moyen d’évaluer la pertinence de la réglementation et de sa mise en œuvre. Les rares données disponibles proviennent des rapports d’inspections des États membres. Globalement, ils révèlent que l’inaptitude au transport est la non-conformité la plus rencontrée. Une étude de 2018 suggère que les éleveurs, les conducteurs et les vétérinaires ne sont pas assez bien formés à reconnaître l’aptitude au transport des animaux. De plus, le bien-être animal diminuant avec l’augmentation de la durée du trajet, la réduction du temps de transport pourrait être un moyen d’évaluer l’impact positif de la règlementation. Toutefois, entre 2009 et 2015, le nombre de trajets supérieurs ou égaux à 8 heures serait passé de 72 000 à 125 000, augmentant relativement plus que le nombre de trajets inférieurs à 8 heures.
Le sort réservé aux animaux serait sans doute pire sans la réglementation, et bien que le bilan paraisse plutôt négatif, il est difficile de connaitre le véritable état des lieux car les données sont limitées et pas suffisamment fiables. Sur une note positive, de plus en plus d’États membres ont décidé d’interdire certains trajets de longue durée durant l’été ou pendant des périodes de canicule, notamment vers des pays d’Afrique du Nord ou la Turquie.
Limites de la réglementation européenne censées protéger les animaux transportés
Comme indiqué précédemment, un des points d’attention du transport d’animaux vivants est l’aptitude au transport. La Commission européenne indiquait en 2015 que des animaux blessés arrivaient quotidiennement dans des abattoirs européens. Pourtant, le règlement (CE) 1/2005 interdit le transport d’animaux inaptes. Mais il n’y a pas de définition de l’aptitude au transport, qui reste sujette à interprétation.
Le chargement et le déchargement sont des moments particulièrement stressants pour les animaux : regroupement avec des individus inconnus, dans un nouvel endroit, manipulation par le personnel, densité, qualité de l’équipement du camion ou du bateau… Des cas de maltraitance, comme l’utilisation non conforme d’un aiguillon électrique pour faire avancer les animaux, sont parfois signalés par des ONG.
Pendant le transport, les principaux problèmes de mal-être concernent la surdensité, la division inadéquate du camion ou du bateau et une hauteur insuffisante. À ce titre, le règlement prévoit des dispositions qui ne permettent pas nécessairement d’assurer le bien-être des animaux. Le stress thermique dû aux températures extrêmes peut également mettre à mal le bien-être des animaux pendant le transport. Pendant les transports de longue durée, le stress lié à la chaleur, combiné à la surdensité, peut entrainer de la souffrance, et parfois la mort.
Comme indiqué précédemment, le temps de transport influe sur le bien-être animal. Le règlement (CE) 1/2005 ne définit pas de temps de transport total maximal, seulement une durée avant une pause obligatoire de 24 heures pendant laquelle les animaux doivent être déchargés, alimentés et abreuvés – cela ne s’applique pas au transport en mer. Le trajet peut donc durer des jours, voire des semaines.
Une règlementation sur le transport d’animaux vivants difficile à mettre en œuvre
En 2019, le Conseil de l’Union européenne a déclaré que « les règles devaient être mieux appliqués » [notre traduction].
Des non-conformités persistent, notamment en ce qui concerne l’aptitude des animaux au transport et la documentation administrative. Dans le cadre du transport maritime, la Commission européenne a constaté l’approbation de trajets par les autorités nationales alors même que les documents administratifs requis étaient incomplets ou mal remplis.
Chaque État membre de l’UE a son propre système juridique, ce qui entraine une différence de sanctions entre États. Par exemple, transporter un animal inapte au transport sera passible d’une amende de 38 778 euros en Roumanie, de 2000 euros en Italie et de maximum 600 euros (ou un avertissement) en Espagne…
En outre, pour les trajets en mer, il n’est pas rare que des rapports d’inspection fassent état d’équipements du bateau déficients avant le départ, ce qui n’empêche pas le trajet, sans que ces anomalies aient été corrigées. Or, la plupart des navires-bétaillers sont d’anciens cargos ou ferries de 35 ans d’âge moyen, quand la durée de vie d’un bateau de croisière est de 20 ans !
En 2015, la Cour de justice de l’Union européenne a décrété que la réglementation européenne sur le transport d’animaux vivants devait aussi s’appliquer sur la partie du trajet hors-UE dans le cas des exportations. Or, en pratique, cette décision est difficile à mettre en œuvre. En 2020, les Pays-Bas ont décidé de ne plus autoriser l’exportation d’animaux vivants si l’arrêt obligatoire pour faire se reposer les animaux prévoit de se dérouler en dehors de l’UE. En effet, les autorités néerlandaises ont admis qu’elles n’avaient aucun moyen de savoir si cette pause serait respectée. Quelques Länder allemands ont également pris cette décision.
Propositions pour améliorer le transport des animaux d’élevage dans le cadre du transport
Augmenter et améliorer les contrôles
Les contrôles sont indispensables à la bonne application des lois. Dans le cadre du transport, une étude recommande d’augmenter les contrôles routiers, que les policiers soient mieux formés aux dispositions du règlement (CE) 1/2005 et qu’ils soient accompagnés par des inspecteurs vétérinaires. L’intensification, l’amélioration et l’harmonisation des contrôles sont donc nécessaires.
Néanmoins, les contrôles peuvent avoir leurs limites quand la réglementation, comme nous l’avons vu, n’est pas assez rigoureuse. En effet, se conformer à la réglementation n’est pas nécessairement synonyme de bien-être pour les animaux.
Établir des dispositions spécifiques à chaque espèce
Si les animaux aquatiques tels que les poissons sont bien concernés par le règlement (CE) 1/2005, il n’y a aucune exigence propre à leurs espèces. Ainsi, certaines dispositions d’ordre général, qui sont censées s’appliquer aussi aux poissons, sont en fait contraire à leur bien-être. C’est le cas par exemple du nourrissage des poissons avant et pendant le transport, qui leur est préjudiciable, principalement à cause de la détérioration de la qualité de l’eau. La réglementation européenne devrait établir des dispositions spécifiques à chaque espèce transportée dans le cadre d’une activité économiques, y compris les invertébrés aquatiques comme les pieuvres et les crevettes.
Fixer des temps de transport maximum
Réduire les temps de transport des animaux aurait un impact bénéfique sur leur bien-être. La Fédération des vétérinaires européens (FVE) et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) recommandent d’élever les animaux le plus près de leur lieu de naissance et de les abattre au plus proche de leur lieu de vie. Selon Eurogroup for Animals, le transport des animaux devrait être limité à 8 heures pour les bovins, ovins, caprins et porcs, et à 4 heures pour les volailles, les lapins, les jeunes animaux sevrés et les animaux réformés. De plus, le transport d’animaux devrait être interdit pour les jeunes animaux non sevrés et les animaux gestants ayant atteint 40 % de leur gestation.
Interdire progressivement les exportations d’animaux vivants
L’Efsa et la FVE ont toutes deux recommandé de réduire le nombre d’animaux transportés en favorisant le transport de viande, de carcasses, de semences et d’embryons. Cette demande est portée par de nombreuses ONG de défense des animaux dont la LFDA. Une étude suggère que dans le cas de transport d’agneaux, le transport de viande se révèle être plus économique, meilleur pour l’environnement et pour le bien-être des animaux. D’ailleurs, le transport de viande et de carcasses est déjà monnaie-courante au sein de l’UE, à destination et en provenance des pays tiers : en 2018, le transport de viande et d’abats s’élevait à 37 milliards d’euros entre États membres et à 14 milliards d’euros entre l’UE et les pays tiers. Les échanges d’animaux vivants représentaient respectivement 8,6 milliards d’euros et 3 milliards d’euros.
Conclusion
La commission d’enquête du Parlement européen sur le transport d’animaux vivants a rendu ses recommandations en décembre, lesquelles ont été adoptées en séance plénière en janvier 2022. Elles sont décevantes, notamment parce qu’elles n’appellent pas à l’interdiction de l’exportation d’animaux vivants ou du transport d’animaux non sevrés. Cependant, la Commission européenne est actuellement en pleine révision de la législation européenne sur la protection des animaux, y compris le règlement sur le transport d’animaux vivants. Ces propositions ont été portées à sa connaissance, notamment celle d’interdire l’exportation d’animaux vivants. D’autres pays s’y sont déjà engagés : la Nouvelle-Zélande, à partir de 2023, et le Royaume-Uni, sans préciser de date. L’espoir est permis pour une amélioration significative du bien-être des animaux d’élevage.
Nikita Bachelard
Cet article est basé sur la publication suivante : Bachelard, N. (2022). Animal transport as regulated in Europe: a work in progress as viewed by an NGO. Animal Frontiers, vol. 12, no 1, p. 16-24.
Cet article s’appuie sur un grand nombre de références disponibles sur le site internet de la fondation.