Sur le sujet de la biodiversité, l’humeur est relativement morose ces temps-ci. Dérèglement climatique, disparition d’espèces… Nous avons donc préféré partager quelques nouvelles positives du monde des animaux sauvages. Certes, elles ne suffisent pas à contrebalancer les pertes et les malheurs que subit la faune sauvage, généralement par la faute de l’homme. Néanmoins, elles montrent que certaines choses peuvent s’améliorer, et que malgré tout, tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
Le loup, explorateur tout terrain
Commençons par la France. Tout d’abord, puisque l’été approche à grand pas, nous devons prévenir les vacanciers que la Bretagne sera peut-être à partager avec le loup. En effet, un jeune mâle de la souche italienne a été observé dès ce 4 mai 2022 dans les Monts D’Arrée. Il est d’ailleurs opportun que cette observation ait été faite à proximité du bien nommé Musée du Loup – ce qui réjouit l’autrice de ces lignes qui y avait effectué un stage étudiant naturaliste. Est-ce à dire que l’on observera bientôt des meutes de loups en forêts bretonnes ? Ce serait une excellente nouvelle pour les écosystèmes de la péninsule. Néanmoins, cela pourrait prendre de nombreuses années : un loup a priori éclaireur est un individu isolé, on ne sait pas s’il est venu accompagné. Pour créer une meute, il faudrait d’une part qu’il choisisse de ne pas rebrousser chemin, et d’autre part qu’un individu du sexe opposé suive le même parcours et le retrouve, par exemple en repérant et suivant son odeur.
De plus, même si le loup se nourrit naturellement d’espèces sauvages, relativement abondantes en Bretagne, cette partie de la France est une région d’élevage – souvent intensif et claustré, mais pas seulement. On peut s’attendre, comme il se doit, à des frictions avec les éleveurs d’ovins ou de bovins. Ils se trouveraient particulièrement démunis, notamment parce que la protection contre les grands prédateurs n’est plus dans leurs habitudes, ceux-ci prospérant actuellement au Sud ou à l’Est. La peur pourrait provoquer des prises de décisions peu rationnelles, comme on l’observe déjà partout : les loups sont bêtement tués, sans grand cas de l’efficacité réelle de cette mesure. Pour plus d’informations, voir notre colloque sur les animaux sauvages ou lire les actes de ce colloque, à paraître très prochainement.
Lire aussi : Cohabitation homme-loup en Europe : quatre scénarios proposés par les scientifiques, S. Hild, revue n° 102 (juillet 2019)
Le chat forestier, cousin du chat domestique
Laissons maintenant ce canidé sauvage pour passer aux félins. Peu le savent, mais il existe en France des chats sauvages. Il ne s’agit pas de chats domestiques (Felis sylvestris catus) retournés à l’état sauvage mais de chats forestiers : Felis sylvestris sylvestris. Les deux forment des sous-espèces du chat sauvage Felis sylvestris, tout comme la troisième sous-espèce présente sur notre territoire en Corse : F. s. lybica ou chat ganté. Bien que très proches morphologiquement, certains traits physiques permettent de distinguer le chat forestier des autres, notamment sa grande taille et sa fourrure épaisse, qui lui valut d’être chassé pendant longtemps. Il est protégé en Europe depuis 1979 et la Convention de Berne, et en particulier en France par l’arrêté du 17 avril 1981.
La récolte de poils permet une analyse génétique pouvant confirmer l’appartenance à cette sous-espèce. Des individus de souche pure ont pu être identifiés dans le Sud-Ouest. Deux foyers existent en France : un vers les Pyrénées et un dans le quart Nord-Est. Selon l’OFB, interrogé par Le Monde, il est probable que les deux sous-populations se rejoignent prochainement car elles sont en expansion constante depuis quelques décennies, grâce notamment au statut d’espèce protégée, aux terres laissées en friches et à l’expansion de certains milieux forestiers, même si le changement climatique et la désertification peuvent entraver ce développement. Autre ombre au tableau : l’hybridation avec le chat domestique menace l’intégrité génétique du chat forestier. Une autre bonne raison de stériliser nos chats domestiques.
Il est intéressant de noter que l’observation de ces deux carnivores, le loup et le chat forestier, a été rendue possible grâce à l’installation de pièges photographiques – qui ne piègent bien sûr que l’image de l’animal. Ce sont généralement des naturalistes, amateurs ou officiels, spécialistes de la faune sauvage, qui recueillent ces images, dans le respect des animaux observés. Il faut espérer que l’attrait de ces animaux, discrets, ne provoque pas de vagues d’observations anarchiques pouvant nuire à la faune. Une tribune a été publiée à ce propos dans Le Monde, en ce qui concerne la photographie animalière. Nous conseillons de vous renseigner auprès d’associations spécialistes si vous souhaitez observer de manière raisonnable et respectueuse ces animaux dans leur milieu naturel.
La fauvette, ambassadrice de la protection des milieux
Traversons maintenant la Manche pour une autre nouvelle qui intéressera les ornithologues, ces passionnés d’oiseaux. Les britanniques ont été très heureux, ce printemps, de pouvoir à nouveau observer des fauvettes de Dartford. La Royal Society for the Protection of Birds (RSPB, la LPO locale) indique en effet la présence croissante d’individus de cette espèce, notamment au Sud de l’Angleterre. Elle était pourtant à la limite de l’extinction à cause d’une vague de froid extrême dans les années 1960 et de la disparition d’une partie des landes de plaine, leur habitat de prédilection. Mel Kemp, gardien d’une réserve naturelle, souligne dans The Guardian l’importance de préserver cet habitat pour permettre aux populations d’oiseaux de se régénérer, ainsi que le reste de la faune sauvage qui repose sur cet écosystème particulier. La tendance est plutôt à l’effondrement des populations d’oiseaux. Cet exemple, même si anecdotique, peut aider à la sensibilisation du public : quel merveilleux sentiment que d’observer dans la nature un animal que l’on pensait sur le point de disparaitre… On en redemande.
Le glouton, marqueur d’écosystèmes sains
Traversons maintenant l’Atlantique pour retrouver un grand prédateur : le glouton (Gulo gulo). Il se trouve aussi en Europe, en Scandinavie par exemple, mais ce sont des observations américaines qui nous intéressent. Bien présent au Canada, cet animal de la même famille que les belettes (en beaucoup plus gros) est encore rarement observé aux États-Unis mais plusieurs signalements au Nord-Ouest du pays ont été réalisés récemment. La raison pour laquelle son observation est un bon signe est que cet animal est un marqueur positif de la santé d’un écosystème. Souvenons-nous de l’impact formidable du réinvestissement de Yellowstone par des populations de loups sur les populations animales mais aussi sur la végétation. Le glouton a d’ailleurs été observé dans ce parc emblématique. Dévoreur, notamment, de carcasses, il occupe une niche écologique tout à fait intéressante. Décidément, ce parc est un excellent laboratoire vivant dont nous devrions tirer toutes les leçons pour retrouver ailleurs des écosystèmes sains.
Les coraux, en résistance contre le dérèglement climatique
Continuons notre tour du monde vers l’Ouest en traversant cette fois le Pacifique, direction Tahiti. Les récifs coralliens abriteraient plus du quart des espèces marines. Pourtant, lorsqu’il s’agit des coraux, on n’entend généralement que des mauvaises nouvelles, car ils sont fortement impactés par les changements climatiques et l’acidification des océans. Par exemple, un peu plus loin sur le Pacifique, les coraux de la Grande Barrière de corail en Australie ont subi pour la quatrième fois en 6 ans un « blanchissement » (coral bleaching), fin février 2022. Les coraux sont des animaux très particuliers, souvent confondus avec des végétaux à cause de leur exosquelette plus ou moins rigide et de leur position stationnaire. Néanmoins, ce sont bien des animaux. Certains d’entre eux, proches de la surface et donc de la lumière, vivent en symbiose avec des algues. Les zooxanthelles, présentes dans leurs cellules, leur donnent leurs magnifiques couleurs. Ces algues unicellulaires bénéficient de certains déchets du corail, ainsi que de sa protection, tandis que le corail profite, pour sa respiration, du dioxygène (O2) produit en journée par l’algue lors de la photosynthèse. Seulement, lorsque l’ensoleillement est trop fort et la température de l’eau trop chaude, les produits de l’algue peuvent devenir toxiques pour son hôte. Pour se protéger, il expulsera l’algue, d’où le blanchissement. Le corail n’en meurt pas nécessairement et récupèrera, si les conditions de vie redeviennent favorables, mais il est fragilisé. Le premier blanchissement avait tué 8 % des coraux de récifs en 1998 et les successions de plus en plus rapprochées d’épisodes de blanchissement ne font qu’empirer ce bilan.
Lire aussi : Évolution assistée : cas de la Grande Barrière de corail, G. Riberolles, revue n° 112 (janvier 2022)
Les coraux de Tahiti avaient été touchés, eux aussi, par un épisode de blanchissement en 2019. En janvier 2022, une découverte en profondeur a mis du baume au cœur des chercheurs, grâce à une mission réalisée sous l’égide de l’Unesco. Les plongeurs ont découvert une colonie gigantesque de coraux à plus de 30 mètres de profondeurs, en parfaite santé. Non affecté par le réchauffement de l’eau ou par des prédateurs voraces comme les étoiles de mer, ce corail en forme de rose géante recouvre plusieurs kilomètres de fonds marins. Il peut donc abriter un écosystème pérenne. Un programme de surveillance a été mis en place. Il est à espérer que l’observation de ce système vivant puisse aider à la préservation des autres coraux du monde.
Sophie Hild