L’actualité nous rappelle que la monoculture, comme l’élevage industriel, sont contraire à la biodiversité et présentent de vrais dangers.
On parle beaucoup de biodiversité et les scientifiques insistent souvent sur les risques qui existent à la perdre ou à la réduire. Leurs arguments théoriques portent principalement sur l’intérêt de la nature et sur l’intérêt de l’homme.
L’intérêt de la nature repose sur son unité, où chaque espèce occupe un emplacement écologique unique et utile, parfois indispensable, aux autres espèces. Fanny Kieffer rappelle dans l’article précédent que la réintroduction des prédateurs que sont les loups, dans le parc américain de Yellowstone, a amené une réduction des herbivores qui sont leurs proies, et qui consomment certains arbres. D’où une renaissance spectaculaire de la végétation comme des saules (Salix) ou des peupliers (Populus). En outre « le loup, une fois le ventre rempli, (…) abandonne les restes de son repas (…), facilitant la tâche aux aigles, coyotes et autres animaux nécrophages ». Ainsi, en accroissant le développement d’autres espèces que la sienne, et en facilitant leur alimentation lors de périodes, liées au réchauffement climatique, d’hivers courts où certaines proies se font plus rares, « le loup pourrait permettre à toute la chaîne alimentaire de s’adapter plus facilement aux nouvelles conditions induites par le changement climatique ».
L’intérêt pour l’homme réside dans la connaissance. Chaque espèce peut révéler des processus biologiques utiles à l’homme et parfois inattendus. Prenons l’exemple de la médecine. C’est parce qu’on a observé les moisissures qu’on a pu trouver les antibiotiques. Une autre utilisation inattendue : c’est aussi pour leur sécrétion anticoagulante qu’on a pu utiliser les sangsues en médecine. De manière plus générale, les végétaux ont été la source de nombreux médicaments, depuis la morphine jusqu’à des anticancéreux. Il en est de même pour les animaux dans la production des hormones ou des vaccins. On pourrait multiplier les exemples. Chaque espèce animale ou végétale est une mine potentielle de découvertes utiles à l’homme, particulièrement en médecine, et chaque disparition d’espèce une perte potentielle de connaissance. Et on restera ici sur les avantages de la biodiversité sur le plan scientifique. On n’évoquera pas les bénéfices esthétiques et artistiques de la biodiversité, dont l’homme tire profit, et qui mériteraient, à eux seuls, tout un développement.
Mais nous voudrions souligner le fait qu’au-delà de ces raisons théoriques essentielles, il y a des exemples beaucoup plus concrets et familiers de l’intérêt de la biodiversité et des risques qu’il y a à la perdre. Ces exemples concrets s’offrent souvent à nous tout simplement dans notre actualité. Imaginons une forêt peuplée d’arbres d’essences variées. Elle peut être sujette à un incendie ou envahie par un parasite des végétaux. Mais, en général, comme les arbres n’ont pas tous la même sensibilité au feu ou à la maladie, les conséquences y seront (relativement) modérées. Supposons maintenant qu’on plante une forêt uniquement composée de pins, des arbres qui s’enflamment très facilement. Si un incendie se déclenche – et on a beaucoup parlé de ces incendies ces dernier temps –, il détruira aisément cette forêt, réduisant en cendres la flore comme la faune et brûlant vifs beaucoup d’animaux sentients. La monoculture aura fait ici le lit de la catastrophe, même si, dans le cas du feu, des facteurs supplémentaires, souvent liés aussi au comportement humain, ont pu contribuer à son installation (sécheresse du climat, déclenchement du feu, volontairement ou non, par des sujets humains…). Imaginons maintenant une plantation constituée uniquement d’oliviers. Si un parasite de l’olivier apparait, il détruira aisément cette plantation, en se propageant entre des arbres situés à faible distance les uns des autres. La même chose peut être dite des élevages industriels, qui rassemblent, en un même endroit, de grands groupes d’animaux de rente. Indépendamment, des dramatiques conséquences éthiques sur la souffrance des animaux (à ce propos, lire Le Grand Massacre, 1981, aux éditions Fayard), bien connues de nos lecteurs, si une maladie affecte un des individus, elle risque fortement de contaminer la totalité du groupe. C’est ainsi, par exemple, ce qui développe régulièrement, dans les élevages, les épidémies de grippe aviaire ou de fièvre aphteuse, et où la solution adoptée est alors… d’abattre tous les animaux.
On le voit : il n’est pas besoin de nécessairement recourir à des arguments théoriques fondamentaux, certes très pertinents, pour mettre en évidence l’utilité de la biodiversité. La simple observation de notre actualité quotidienne, on devrait même ajouter : le simple bon sens, en donne des évidences. Les concentrations excessives d’une seule espèce animale ou végétale, qui sont le « triomphe » de la monoculture ou de l’élevage industriel, c’est-à-dire l’opposé de la biodiversité, sont des moyens aisés de faciliter les catastrophes écologiques.
Georges Chapouthier