La décision d’Air France d’arrêter de transporter des macaques pour être utilisés dans des expériences est une bonne nouvelle pour la recherche française, contrairement à ce que pense le lobby de l’expérimentation animale.
Le 20 juin 2022, la compagnie aérienne Air France a annoncé sur son compte twitter qu’elle décidait d’arrêter le transport de primates, en cohérence avec sa stratégie de responsabilité sociétale. Cette décision fait suite à des années de pression de la part d’associations de protection animale, dont principalement One Voice et Peta. Plusieurs raisons motivent ces associations, dont l’opposition à l’expérimentation animale, qui ne sera pas discutée ici, mais également les mauvaises conditions de transport des macaques, l’élevage massif de ces derniers dans les pays exportateurs des singes et les potentielles captures de singes sauvages dans la nature (ces arguments proviennent du site One Voice et Actions for Primates).
Outre des problèmes d’éthique environnementale, ces points soulèvent surtout des questionnements en éthique animale, dont le stress induit par ces conditions de capture, d’élevage et de transport, et donc généralement de conditions de vie éthiquement non acceptables. Ces animaux ont en effet des capacités cognitives, émotionnelles et sociales importantes. La séparation d’un individu de son groupe et de son milieu, sauvage ou captif, peut créer un stress important pouvant provoquer jusqu’à la mort des singes.
Après cette décision d’Air France, les associations de protection animale ont bien sûr félicité l’initiative, mais différents organismes et représentations de la recherche française et européenne, dont le Groupe de réflexion interprofessionnel sur les comités d’éthique appliqués à l’expérimentation animale (GIRCOR) et l’association européenne pour la recherche animale (EARA) ont critiqué cet arrêt. Cependant, les arguments concernant cet arrêt soulevés par des représentants de la recherche ne sont pour nous pas valables ; il s’agit plutôt de sophismes, c’est-à-dire de mauvais arguments qui ont l’air bons sans réflexion préalable. Nous allons tenter de démontrer pourquoi une telle réflexion est nécessaire.
« Les singes nous ont permis de connaitre le virus Sars Cov 2 et de développer un vaccin. »
Cet argument n’est pas convaincant et est un mauvais argument. L’expérimentation sur les humains permettrait de grandes avancées en recherche biomédicale, mais elle n’est pas autorisée avant de passer par deux espèces animales, pour les raisons éthiques que l’on connait et qu’entérine le code de Nuremberg. Le fait que la recherche sur les primates soit efficace ne suffit donc pas à la justifier. Les expérimentations sur les singes doivent être justifiées par la qualité de la recherche qui les nécessite, le potentiel que celle-ci représente pour la société, mais aussi la faible souffrance infligée aux animaux.
Ces trois principes se retrouvent au sein d’un modèle de coûts-bénéfices qui se nomme le cube de Bateson. De manière générale, comme les protections apportées aux singes sont clairement inférieures à celles que l’on appliquerait à des humains vulnérables, ces protections, par le fait que les primates non humains ressentent autant le stress que des humains et ont conscience de leurs conditions de vie, sont aussi non suffisantes pour ces singes.
« L’élevage français n’est pas prêt à subvenir aux besoins de la recherche en macaques. Interdire les transports aurait donc un impact sur la santé humaine dans les prochaines années. »
Le combat lancé par l’association One Voice a débuté en 1996. Ce n’est donc pas sans étonnement que la décision d’Air France est arrivée. Bien sûr, le coût de production des macaques en France sera bien plus élevé que celui des singes élevés à l’étranger (la majorité provient de l’île Maurice) carla réglementation européenne en matière de protection des animaux est la plus stricte du monde. Mais le coût de l’utilisation d’un singe pour la recherche ne doit pas prévaloir sur son bien-être. En particulier, la réglementation européenne plus stricte que dans le reste du monde est un bon point pour le bien-être des singes. Récemment, plusieurs scientifiques primatologues appellent à une meilleure prise en compte du stress induit par la recherche sur les primates non humains. Ces scientifiques sont tous des spécialistes du comportement et ils appellent à mieux prendre en compte la socialité des macaques, qui est souvent délaissée au profit de conditions expérimentales, mais également à tenir compte de l’agentivité animale, qui se manifeste en l’occurrence par la potentialité des animaux à coopérer dans les expériences. Ce dernier point ne peut s’appliquer si les animaux sont stressés.
« Rendre impossible tout transport de primates signifierait à terme un renforcement de la délocalisation de ces recherches, laquelle aura un impact négatif sur les animaux. »
En soi, la délocalisation de la recherche n’est pas un argument recevable face au bien-être animal. De plus, l’arrêt du transport des singes de l’île Maurice vers la France peut être bénéfique pour la recherche et n’entrainerait donc pas dans ce sens de délocalisation de la recherche française. On veut nous faire croire qu’il n’y a que deux possibilités : transporter ou délocaliser. Mais il y a une troisième option : élever en France. Les investigations de One Voice montrent que certains singes sont capturés dans le milieu sauvage ou reproduits dans des conditions inadéquates et séparés de leur groupe pour être isolés et transportés vers la France. Ces évènements peuvent laisser des séquelles psychologiques très importantes.
Outre le fait que ce simple argument de traumatisme est suffisant à l’arrêt de captures ou de transports justifiant ces captures, ce traumatisme des singes a des impacts conséquents sur certaines recherches biomédicales portant par exemple sur la dépression ou l’anxiété. A contrario, développer un élevage en France où les animaux pourraient être testés dans des conditions environnementales et sociales plus appropriées, c’est-à-dire leur apportant un meilleur bien-être, tout en connaissant le patrimoine génétique et la personnalité de chacun des individus, permettrait de diminuer la variance non explicative des tests effectués et d’augmenter la reproductibilité des études scientifiques.
« Le transport des primates est défendu par de nombreux scientifiques dont des prix Nobel. »
Outre le fait que cette affirmation soit fausse, il faut aussi soulever que les scientifiques en question ont des conflits d’intérêts, car gérant des plateformes d’élevage directement impliquées par l’arrêt du transport des primates. De plus, un prix Nobel possède sans conteste de grandes connaissances et de grandes découvertes, particulièrement en médecine. Mais la science est aujourd’hui très spécifique et compartimentée. Chaque chercheur a un savoir précis et délimité sur son sujet de recherche. Tous les prix Nobel n’ont donc pas forcément de connaissances, même minimales, en éthique animale et en bien-être animal. Or les grands scientifiques qui disposent de telles conséquences se montrent généralement plus critiques vis-à-vis du monde de l’expérimentation. L’action de One Voice a par exemple été défendue par Jane Goodall, l’un des plus grands noms de la primatologie, saluée par de nombreuses distinctions. Le 7 juillet 2012, treize neuroscientifiques d’institutions de renommée telles que Caltech, le MIT ou l’Institut Max Planck ont signé un manifeste revendiquant l’existence de « conscience » chez de nombreux animaux non-humains (Déclaration de Cambridge sur la conscience).
Le stress et les troubles psychologiques des animaux ne sont pas encore assez pris en compte dans les études scientifiques. De plus, de nombreuses études montrent le faible taux de répétabilité des expériences scientifiques sans pouvoir l’expliquer. Depuis quelques années, les éthologues appellent à élever et tester les animaux de recherche dans des environnements plus adéquats à leur biologie. L’arrêt du transport des primates non humains par Air France peut être vu comme ouvrant une perspective sur des manières plus éthiques et scientifiques d’effectuer des recherches sur des singes élevés en France.
Cédric Sueur