Les défenseurs de la cause animale espéraient l’abolition de la corrida en France. Le député Aymeric Caron a tenté de faire adopter sa proposition de loi par l’Assemblée nationale le 24 novembre, mais face à l’obstruction parlementaire, il a finalement retiré son texte du débat.
Les arguments utilisés par les députés pro-corrida avait pour seule base le respect de la tradition, qui est pourtant non seulement contestable, mais surtout, ne peut pas justifier la persistance d’actes barbares. Si les arguments contre la corrida, eux, sont multiples, un seul compte réellement : celui de la souffrance inutile et immorale infligée aux taureaux de combat.
La corrida, un spectacle barbare en trois actes
La corrida de toros, signifiant course de taureaux en français, se distingue des courses camarguaises et landaises. Elle se déroule en trois actes, appelés tercios en espagnol. El primero tercio, c’est la pique (une sorte de lance). Monté sur un cheval, le torero, appelé picador, enfonce la pique profondément au niveau du garrot du taureau. Le but est de sectionner le muscle du garrot afin que l’animal garde la tête baissée et donne l’apparence de charger constamment.
El segundo tercio, ce sont les banderilles. Six banderilles, petites piques terminées par un harpon pour rester accrochées, sont plantées dans le garrot du taureau pour l’affaiblir. À ce moment-là, il saigne et souffre beaucoup.
El tercero tercio, ou tercio final, c’est la mise à mort par épées, descabello et puntilla. Le torero, alors matador (de l’espagnol matar qui signifie tuer) attire le taureau avec la muleta, autrement dit une cape rouge. Le taureau avance tête baissée, permettant au matador de planter une à trois épées dans sa cage thoracique pour provoquer une hémorragie interne. Si les épées ne suffisent pas à tuer l’animal, alors le matador peut utiliser le verdugo, une épée à la lame plus large, pour l’achever. Toutefois, le taureau résiste parfois à cette agonie. Le puntillero plante alors la puntilla, une sorte de poignard, dans le bulbe rachidien du taureau. Cette fois, il est mort. En principe du moins, car si le puntillero n’atteint que la moelle épinière, l’animal n’est que paralysé mais toujours conscient, et ses oreilles et sa queue sont parfois découpées lors de ses derniers instants de vie. Si l’on impose aux opérateurs en abattoirs une vérification minutieuse de l’état d’inconscience des animaux avant de les saigner puis de les découper, ce n’est pas pour rien.
Souffrance indéniable
Que celui qui ose encore dire que le taureau de corrida ne souffre pas mette ses connaissances à jour. Les taureaux sont des animaux sensibles, comme l’ensemble des vertébrés. Leur capacité à ressentir la douleur, ainsi que des émotions, est pleinement établie et ce, depuis longtemps. Les blessures provoquées par les épées, banderilles et autres outils de torture sont sources de douleur pour le taureau. Le stress intense provoqué par la situation, l’environnement et les blessures de l’animal provoquent la sécrétion d’endorphines pour atténuer la douleur, mais en aucun cas cela ne suffit à la supprimer. C’est du bon sens mais aussi de la science. Le stress et les blessures graves et répétées provoqueront une souffrance scientifiquement indéniable du taureau, ce qu’a confirmé en 2015 le président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires : « Les spectacles taurins sanglants, entraînant, par des plaies profondes sciemment provoquées, des souffrances animales foncièrement évitables et conduisant à la mise à mort d’animaux tenus dans un espace clos et sans possibilité de fuite, dans le seul but d’un divertissement, ne sont aucunement compatibles avec le respect du bien-être animal. » Ceux clamant autre chose n’ont aucune crédibilité.
Interdire la corrida, un devoir moral
La Déclaration des droits de l’animal indique, en son article 4, que « tout acte infligeant à un animal sans nécessité douleur, souffrance ou angoisse est prohibé », et en son article 5, que « tout acte impliquant sans justification la mise à mort d’un animal est prohibé. » Cette déclaration éthique pose des principes incontournables dont notre Droit devrait s’emparer. La corrida bafoue ces deux principes en infligeant des sévices graves aux taureaux de combat et en les mettant à mort pour du divertissement.
L’art ne justifie pas tout
Pour les partisans de la corrida, elle est un art. Quand bien même serait-ce le cas, l’art ne justifie pas la torture d’animaux sensibles ni leur mise à mort. L’art n’est pas exempt d’éthique et ne dispense pas ses auteurs du respect des animaux. D’ailleurs, dans une décision du 2 décembre 1965, la cour d’appel de Nîmes a reconnu à la corrida le fait « d’exploiter cette souffrance selon un rituel précis, au cours d’un combat où le courage, l’intelligence et l’adresse de l’homme […] s’emploient à triompher de la force brutale de la bête », tout en estimant que le taureau « n’en subit pas moins, sans véritable nécessité, une torture et une mort qui lui sont infligées pour les besoins d’un spectacle […]. »
La tradition taurine peut persister sans la corrida
Parler de tradition de la tauromachie est un habillage mensonger de la réalité. Tout d’abord, la tauromachie n’est pas arrivée en France avant les années napoléoniennes. La première a eu lieu en hommage à Eugénie de Montijo, la femme de Napoléon III, d’origine espagnole, en 1853.
Ensuite, elle se meurt à petit feu : les arènes se désemplissent et les sondages prouvent le désintérêt de la population locale pour la corrida. En 2017, un sondage Ifop pour l’Alliance Anticorrida faisait état de 75 % de la population des départements dits « taurins » défavorables à la corrida. En 2022, d’après une enquête d’opinion Ifop-Fiducial pour Sud Radio auprès de 600 habitants de villes où il existe une arène de première catégorie[1] (Arles, Bayonne, Béziers, Dax, Mont-de-Marsan, Nîmes et Vic-Fezensac), un tiers (32 %) se dit favorable à l’interdiction totale de la corrida en France, et 61 % à vouloir au moins la suppression de la mise à mort.
Si la tauromachie est considérée par certains comme un élément fort de la culture locale dans quelques communes du sud de la France, elle n’était pas menacée par la proposition de loi du député Aymeric Caron. En effet, seules les pratiques tauromachiques impliquant des sévices graves à l’encontre des taureaux et bénéficiant donc d’une exception de responsabilité pénale (voir article « L’abolition de la corrida, ce n’est pas pour cette fois ») entraient dans le champ de ce texte. C’est la tolérance explicite de la cruauté par le code pénal qui est visée, et pour cause ! La cruauté est punie si elle exercée sur tous les animaux domestiques, sauf les taureaux et les coqs de combat, sur justification de tradition locale ininterrompue…
Les aficionados et les entreprises directement liées à la tauromachie pourraient continuer leurs activités avec les autres formes de tauromachie que sont les courses landaises et les courses camarguaises, tant qu’elles n’impliquent ni sévices graves, ni mort de l’animal.
Une question de société
Selon un sondage Ifop réalisé les 15 et 16 novembre pour le Journal du Dimanche, 74 % des Français se disent favorables à l’interdiction de la corrida. Pourtant, en commission des lois le 16 novembre, les députés ont rejeté la proposition de loi d’Aymeric Caron, et de nombreux groupes politiques se sont majoritairement positionné contre ce texte, qui n’a finalement pas été soumis au vote le 24 novembre. Faut-il leur rappeler que le rôle du législateur est de traduire dans des normes les avancées de la société et ce, en préservant un principe d’universalisme juridique ? Jusqu’à maintenant, les attentes sociétales sur le sujet n’ont pas été entendues et une exception juridique persiste pour quelques pratiquants dans le Midi. Cela n’est pas normal. Cela doit changer, par respect pour les taureaux.
Conclusion
La proposition de loi d’Aymeric Caron aura eu le mérite de mettre le sujet sur le devant de la scène et de relancer le débat public sur cette pratique d’un autre temps. Le député s’est engagé à trouver une nouvelle opportunité pour obtenir l’interdiction de la corrida. Il continue le combat. La LFDA aussi.
Nikita Bachelard
[1] Arène construite en dur de 6000 places minimum. https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-habitants-des-villes-taurines-sur-la-corrida/