L’émergence de l’animal dans la Constitution italienne

L’Italie a fait le choix de reconnaître une valeur constitutionnelle à la protection de l’animal. Il s’agit d’une mesure ambitieuse aux retombées encore incertaines.

Par une révision constitutionnelle en date du 11 février 2022, l’animal a fait son entrée au cœur de la Constitution italienne, norme suprême du système juridique transalpin.

À l’instar de plusieurs de ses voisines telles que la Suisse ou la Slovénie, la République italienne a ainsi ajouté son nom à la liste des nations garantissant à l’animal, ou à sa protection, une valeur constitutionnelle[1]. Si la nouvelle mouture de la Constitution cristallise, d’une part, une avancée significative pour le droit animalier italien, notamment par sa dimension symbolique, elle appelle, d’autre part, à une concrétisation de ses effets.

L’insertion de la protection de l’animal dans la constitution italienne

Une révision constitutionnelle attendue

Près de vingt-cinq années se sont écoulées entre la première proposition d’insertion de l’animal dans la Constitution et le texte adopté en 2022[2]. C’est finalement à la faveur d’une révision consacrée à la constitutionnalisation de la protection de l’environnement, qui pouvait déjà se déduire de plusieurs décisions de la Cour constitutionnelle italienne[3], que l’article 9 de la Constitution a été enrichi par un troisième alinéa.

Ce dernier dispose que « [l]a République protège l’environnement, la biodiversité et les écosystèmes, également dans l’intérêt des générations futures. Le droit national réglemente les modalités et les formes de la protection des animaux »[4], se faisant ainsi l’écho de l’article 13 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui établit que ses États membres « tiennent pleinement compte des exigences du bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles »[5].

Un changement de paradigme normatif

La modification de l’article 9 de la Constitution représente un changement notable au regard de la place de l’animal dans le droit, et cela à plusieurs égards.

En premier lieu, l’animal voit sa protection renforcée de façon indirecte, puisque la révision constitutionnalise la protection de l’environnement, de la biodiversité et des écosystèmes. Si elle ne peut être assimilée à ce triptyque écologique, la protection de l’animal s’en voit renforcée. Elle pourrait notamment bénéficier de la modification de l’article 41 de la Constitution qui limite le droit à l’initiative économique aux activités qui ne portent pas atteinte à l’environnement, et donc par association aux animaux.

Ensuite, et à titre principal, la protection de l’animal est inscrite comme notion autonome au sein de la Constitution. Si la reconnaissance de l’animal comme être sentient n’a pas été retenue[6], le texte a couru le risque d’être limité aux seuls animaux de compagnie, voire de ne pas passer le filtre de l’examen parlementaire[7]. L’animal reste, certes, un bien meuble au sens du droit italien, mais son autonomisation constitutionnelle par rapport au triptyque écologique appellera sans doute à des réflexions autour de son statut juridique et de l’effectivité de sa protection[8].

Enfin, il convient de souligner que les constituants ont fait le choix d’insérer la protection de l’animal au sein de la première partie de la Constitution, relative aux principes fondamentaux de la République. Au-delà de sa portée symbolique, l’article 9, avec son alinéa relatif à l’animal, ne pourra faire l’objet d’une révision qu’à la condition qu’elle soit in melius, c’est-à-dire qu’elle vienne en renforcer sa portée[9].

La nécessité d’une adaptation du cadre juridique applicable à l’animal

Le rôle central du législateur

Afin de garantir l’effectivité de la nouvelle disposition constitutionnelle, le troisième alinéa de l’article 9 utilise le mécanisme dit de la « réserve de la loi ». La Constitution confie au pouvoir législatif, mais également indirectement à l’exécutif[10], le soin de prendre les dispositions nécessaires pour s’assurer de l’application de mesures à même de garantir la protection de l’animal. Cette précision normative présente un intérêt double.

D’une part, elle permet au législateur de se saisir de cette nouvelle mouture de l’article 9 et de lui donner une traduction législative, en évitant l’écueil d’une simple disposition symbolique qui serait inapplicable. D’autre part, elle clarifie le cadre normatif relatif à la protection de l’animal, alors même qu’une partie de la doctrine s’interrogeait sur la répartition des compétences entre l’État et les régions italiennes[11]. Si l’État semble avoir la primauté en la matière, notamment au regard de sa compétence exclusive en droit pénal, les régions peuvent adopter des mesures qui viendraient améliorer la protection de l’animal au-delà du seuil fixé par le législateur[12].

Les perspectives d’évolution

La constitutionnalisation de la protection de l’animal s’inscrit dans un contexte d’émergence du droit animalier, tendance qui n’est pas le propre du système juridique italien. Cette nouvelle étape devrait probablement avoir comme conséquences de consolider le droit positif qu’il soit législatif ou jurisprudentiel[13], mais également de modifier certaines normes qui seraient contraires à la Constitution.

Si une appréciation des répercussions de la révision serait trop hâtive à ce jour, il est à noter que les tribunaux italiens se saisissent d’ores et déjà du nouveau cadre constitutionnel en vigueur. Le Sénat examine, pour sa part, un texte portant modifications des codes pénal, de procédure pénale et civil en matière de protection animale.

Conclusion

L’entrée de la protection de l’animal dans la Constitution s’inscrit dans un processus à long terme, qui a cheminé progressivement au sein du Parlement italien, à l’image de la construction d’un droit animalier encore balbutiant. La norme constitutionnelle ayant été posée, il ne reste plus qu’à observer si elle permettra d’assurer l’effectivité d’une protection qui innerve déjà de nombreux pans du droit, tels que le droit civil, pénal ou administratif.

Hugo Marro-Menotti


[2] Pour un panorama en droit comparé, voir : LE BOT O., La protection de l’animal en droit constitutionnel : Étude de droit comparé, 2007, 12-2,Lex Electronica.

[3] Voir : CICONTE G., Animali in Costituzione – Un percorso legislativo che inizia nel 1998, Ufficio Rapporti Istituzionali LAV, Février 2022. En ce qui concerne le parcours législatif de la révision constitutionnelle, et les projets n° 3156, 3156-b de la chambre basse et le n° 83 de la chambre haute, voir : République italienne,La riforma costituzionale in materia di tutela dell’ambiente, 2022.

[4] Voir : République italienne, Costituzione italiana, articles 2, 9, 32 et 117 ; Corte costituzionale, décisions n° 39 du 3 mars 1986, n° 210 du 28 mai 1987, n° 67 du 5 février 1992, n° 210 du 21 juin 2016, n° 66 du 21 février 2018.

[5] Traduction libre.

[6] Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, cit.. Pour une réflexion plus approfondie, voir : LOTTINI M., La tutela degli animali in Costituzione: riflessioni e prospettive, 20 juillet 2022, CERIDAP, Issue 3/2012.

[7] Voir notamment, déjà en 2018 : BRAMBILLA M. B., Disegno di legge C.15/2018, Camera dei deputati.

[8] Senato della Repubblica, Disegno di legge costituzionale – Relazione della prima commissione permanente, 25 janvier 2021.

[9] VALASTRO A., La tutela degli animali nella Costituzione italiana, BioLaw Journal – Rivista di BioDiritto, n. 2/2022 ; PERLO N., La constitutionnalisation du devoir de protection animale en Italie. Un nouveau départ vers un anthropocentrisme éco-compatible, Revue Semestrielle de Droit Animalier, n°1/2022, p. 197-231.

[10] Corte costituzionale, décision n. 1148/1988 du 15 décembre 1988.

[11] Par le biais des decreti-legge et decreti legislativi.

[12] VALASTRO A., cit.

[13] VIPIANA P. La protezione degli animali nel nuovo art. 9 Cost.. DPCE Online, v. 52, n. 2, Juillet 2022.

[14] Voir, notamment : Corte di Cassazione, sentenza n. 6122/1990 ou Consiglio di Stato, Sezione III, 3 novembre 2021, n. 7366.

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