Jean Estebanez, Documentation photographique, CNRS-Editions, 2022, 64 pages (9,90 €)
Comme l’indique le titre de la collection, « documentation photographique », ce recueil est très richement illustré. Mais son intérêt principal réside dans son contenu. L’auteur, Jean Estebanez, géographe de profession, y présente, en une soixantaine de pages, une synthèse de tout ce qu’il faut savoir sur le thème abordé. Son propos dépasse de beaucoup les considérations proprement géographiques, puisque le livre inclut des conséquences morales, qui ne manqueront pas d’intéresser nos lecteurs. De nos jours, en effet, les mobilisations pour les animaux « reflètent une modification des points de vue sur les animaux […], aussi de la place des humains dans l’environnement » (p. 56). La longue saga de l’élevage ne manque pas d’aborder une ouverture sur les viandes in vitro (p. 49). Et nos pratiques s’inscrivent aussi « dans un travail moral qui porte sur la question de la violence humaine » (p. 16). Même si l’auteur reste parfaitement objectif dans sa présentation et formule toutes les thèses en présence sans prendre parti pour l’une d’elles. Même si l‘ouvrage reste clairement celui d’un scientifique, pas celui d’un moraliste, et si, finalement, la morale ne découle que de l’exercice même de la réflexion scientifique.
Parmi les chapitres abordés, on prendra, avec intérêt, connaissance de la manière dont a évolué la classification des animaux (p. 54) et de la manière dont les vivants se répartissent, de nos jours, sur la Terre (p. 20), avec une présence écrasante des plantes. On pourra suivre les voyages de l’animal domestiqué à travers les continents, qui témoignent d’une culture commune avec l’homme, « composée d’intérêts et d’engagements réciproques, qui peuvent tout autant relever de la prédation que du don et du contre-don » (p. 34). Et si les animaux se déplacent, il en est de même des maladies qu’ils peuvent transporter, les zoonoses, puisque « les trois quarts des maladies et infections proviennent des circulations de pathogènes des animaux vers les humains et vice-versa » (p. 22). On mesurera aussi l’impact social de la zoophilie, prise ici dans son sens pathologique, « définie comme contraire à la morale comme à la religion » (p. 62) même si, paradoxalement, « les relations sexuelles entre humains et animaux tiennent une place très importante dans les récits mythiques » (p. 62), comme ceux de la Grèce antique. On pourra mesurer combien les conceptions de la souffrance et de la mort diffèrent entre les vétérinaires français et les vétérinaires indiens. On percevra, cartes et graphiques à l’appui, « l’effondrement de la biodiversité » (p. 24) de nos jours. On saisira l’ambiguïté de la création des aires protégées en Afrique du Sud, à la fois « modèles de gestion de la faune sauvage » (p. 52) et stratégies qui consolident de fait « la place des élites blanches dans l’Afrique du Sud démocratique » (p. 52). On verra que l’abattage est vécu très différemment selon les populations, entre l’abattage industriel occidental d’aujourd’hui, pris dans « une violence généralisée pour les animaux comme pour les éleveurs » (p. 48) et où « les mises à mort ne peuvent faire l’objet d’attention individuelle » (p. 50) et, d’autre part, l’abattage rituel ou fermier de nombreuses civilisations, qui ne dissimulent pas la mise à mort de l’animal qu’on va consommer, et souvent la ritualisent. De même, on remarquera le caractère très variable de la chasse, depuis la chasse vivrière, destinée à la consommation, jusqu’à la chasse commerciale « investie par le grand capital » (p. 46) pour constituer des « domaines de grande taille, clôturés » (p. 46) et dont l’un des exemples est la chasse à courre.
Mais aussi, au fil des pages, on pourra apprécier, en filigrane de la découverte des faits précis, l’intense relation émotionnelle, voire affective, qui persiste entre les animaux et nous les humains. Ainsi nous pourrons chercher à nous « mettre à la place de l’animal et adopter ses perspectives sur le monde » (p. 32) par des points de vue animistes ou naturalistes, par des pratiques artistiques comme la danse ou par des rituels où l’homme déguisé joue le rôle de l’animal. Nous pourrons nous rendre compte de l’importance essentielle des « territoires animaux [qui] développent des mondes propres, avec des façons originales de percevoir et d’habiter […] en relation avec de nombreuses espèces dont les humains » (p. 28). Nous nous rendrons compte également du fait que les pollutions d’origine humaine, y compris les pollutions sonores et lumineuses abondamment produites par nous, deviennent « une source majeure de pression sur les habitats des animaux » (p. 26). Bref, au-delà d’une étincelante présentation objective de toutes les facettes de l’animalité, nous apprécierons, grâce à cet ouvrage, combien l’animalité reste, subjectivement, importante pour le devenir même de notre espèce. Et nous pourrons reconnaître, avec l’auteur, que « la dimension morale […] est nécessairement engagée dans nos relations avec les animaux » (p. 16).
À notre avis, rarement, sur le thème de l’animal, un ouvrage n’a été, dans sa sobriété et sa clarté, aussi enrichissant et percutant. Chargé d’informations tout en restant d’une lecture facile et agréable, il est adapté à tous les publics, adultes comme adolescents.
Georges Chapouthier