Un colloque intitulé « L’animal en droit économique de l’Union européenne » s’est tenu à Paris les vendredi 24 et samedi 25 mars 2023. L’événement a été l’occasion de présenter la place des animaux dans le droit économique européen et d’appréhender les techniques juridiques susceptibles de constituer des leviers d’amélioration du traitement des animaux.
De nombreux partenaires académiques et de la recherche
Ces questions ont été abordées en deux temps : le vendredi était consacré à l’étude des animaux comme facteurs de production, et le samedi, à celle des animaux comme biens de consommation.
Le colloque était organisé par Aude-Solveig Epstein, maître de conférences en droit privé de l’université Paris Nanterre, et Alice Di Concetto, juriste et fondatrice de l’Institut européen pour le droit de l’animal (European Institute for Animal Law & Policy).
Aurore Chaigneau, doyenne de la faculté de droit de l’université Paris Nanterre, et Régis Bismuth, professeur de droit à Sciences Po, ont ouvert le colloque. L’évènement compte parmi ses partenaires des écoles et universités, notamment l’Institut d’études avancées (IEA) de Paris, l’université Paris Nanterre, Nantes université, Sciences Po et l’université Côte d’Azur, ainsi que des instituts de recherche parmi lesquels l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). L’association InfoTrack, et la Fondation Anthony Mainguené complètent les partenariats.
Le bien-être animal dans les politiques européennes
Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, l’article 13 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) impose des exigences en matière de bien-être des animaux en tant qu’êtres sensibles dans certaines politiques publiques de l’UE, telles que l’agriculture et la pêche. Nicolas de Sadeleer (professeur ordinaire à l’université Saint-Louis – Bruxelles) et Denys-Sacha Robin (maître de conférences à l’université Paris Nanterre) ont apporté leur éclairage sur la prise en considération du bien-être animal dans les politiques agricole et de pêche européennes (politique agricole commune, politique commune de la pêche). Il en ressort que si les politiques européennes se sont emparées de la question du bien-être animal, la législation en vigueur demeure insuffisante sur le sujet.
L’intervention d’Alice Di Concetto, procédant à une généalogie de la fabrique des normes de bien-être animal, a pu expliquer un tel manque de considération. Elle a ainsi démontré que l’ensemble de ces normes prenait racine dans des groupes d’experts scientifiques jusque récemment peu au fait des progrès scientifiques en matière de bien-être animal et dont le mandat exclut, en tout état de cause, les questions éthiques. Selon Alice Di Concetto, au-delà des questions juridiques liées à la compétence somme toute limitée de l’UE en matière de protection animale, c’est donc l’ensemble des processus de fabrication des normes qui est à réformer en vue de protéger les animaux en droit.
Sur le plan financier, la Banque européenne d’investissement n’est pas non plus insensible à la question du bien-être animal. David Cormand, député européen du groupe les Verts/Alliance libre européenne est ainsi revenu sur les engagements pris par l’institution, et notamment sur son dernier rapport annuel dans lequel figure l’objectif de cesser de soutenir des modèles d’exploitation ne respectant pas les normes de bien-être animal.
Toutefois, le processus d’invisibilisation des animaux dans la société, exposé par Isabelle Doussan, directrice de recherche à l’Inrae, fait entrave à la conduite d’une réflexion commune sur leurs conditions de vie et de mise à mort, et de manière plus globale, sur les effets de notre système économique sur le traitement réservé aux animaux.
Identification de techniques juridiques pertinentes pour contribuer à l’amélioration du traitement des animaux
Face à un droit économique encore lacunaire sur la question animale, certaines disciplines juridiques, au sein desquelles cette notion se développe progressivement, constituent des leviers d’action pour améliorer le traitement des animaux.
Sur le plan du droit du travail, Jérôme Porta, professeur à l’université de Bordeaux, a procédé à une analyse des liens entre maltraitance animale et maltraitance des travailleurs dans les abattoirs. En particulier, le manque d’effectif et de formation nuisent au respect du bien-être des animaux au moment de leur mise à mort. Si les normes relatives à la protection des animaux et celles relatives à la protection des travailleurs peuvent parfois se contredire, il ressort néanmoins que l’amélioration des conditions de travail permettrait, à certains égards, de renforcer la bientraitance animale au moment de l’abattage.
En droit de la concurrence, Sophie Bresny, cheffe du service investigation de l’Autorité de la concurrence, a expliqué que le bien-être animal est une composante de la notion de développement durable, qui, s’il constitue un objectif poursuivi par des entreprises, peut, sous certaines conditions, justifier la mise en œuvre de pratiques restrictives de concurrence.
Dans la même veine, cette fois-ci dans le domaine de l’investissement responsable, maître Clémentine Baldon, avocate au barreau de Paris, a démontré en quoi les intérêts des animaux peuvent être défendus au titre de la protection de l’environnement, au risque d’user d’une corrélation parfois contestée entre ces deux notions et de ne jamais aborder le bien-être animal comme une notion à part entière.
Par ailleurs, comme l’a analysé Anne-Laure Meynckens, juriste et formatrice-consultante sur la question animale chez Drôle de zèbre, en droit de la commande publique, le bien-être animal est devenu un critère autonome de notation des entreprises, constituant un moyen d’action efficace dont les collectivités territoriales peuvent désormais s’emparer.
Parmi d’autres leviers, Romain Espinosa, économiste et chargé de recherches au CNRS, a proposé la suppression des subventions sur la viande et sa taxation. Il ressort de ses explications que ce sujet ne fait pas encore l’objet de débats sur le plan politique en France. Cependant, un document d’analyse portant sur le transport des animaux vivants a été publié par la Cour des comptes européenne le 17 avril 2023. Ce rapport suggère d’« attribuer une valeur monétaire à la souffrance animale pendant le transport et de l’intégrer dans le coût de celui-ci et le prix de la viande », et témoigne du caractère prometteur de cet outil. Enfin, Aude-Solveig Epstein s’est exprimée sur la nécessité de renforcer la réglementation quant à la qualité de l’information aux consommateurs, de sorte que ces derniers puissent, dans une certaine mesure, influencer les modes de production en faveur du bien-être animal.
La fabrique du droit de l’animal : la nécessité d’une approche multidisciplinaire
Au cours du colloque, Philippe Grégoire, éleveur de vaches laitières, ainsi que Solène Kerisit et Ilyana Aït Ahmed, étudiantes en Master 2 à l’École de droit de Sciences Po, sont intervenus sur la domination économique des coopératives dans le domaine de l’élevage. Fortement dépendants des coopératives agricoles, il est ressorti du témoignage de M. Grégoire que les éleveurs sont souvent privés de pouvoir de décision et de négociation, y compris en matière du traitement à réserver aux animaux qu’ils ont sous leur garde. Ilyana Aït Ahmed et Solène Kerisit ont procédé à un exercice de qualification minutieux de l’ensemble des pratiques problématiques des acteurs des filières agro-alimentaires au regard du droit économique, ainsi que des nombreuses défaillances du droit européen et français à remédier à de tels déséquilibres entre éleveurs et transformateurs. Cette intervention fut ainsi l’occasion de souligner les effets délétères d’un droit économique défaillant sur les animaux, mais aussi les éleveurs.
Parmi les pistes de réforme du droit, il apparaît donc que la fabrique du droit de l’animal ne saurait se passer de la contribution de ceux qui sont quotidiennement au contact des animaux, ainsi que de celle des juristes, des économistes, et des chercheurs en sciences humaines et sociales. Il reste à espérer que le législateur européen saura s’inspirer de cette recommandation dans le cadre de la réforme du droit européen à venir en matière de bien-être animal.
Charlotte Deneuville
Valentine Labourdette
Pauline Koczorowski