Sous la direction de Michèle de Monte et Virginie Vallet, Presses Universitaires François-Rabelais, Tours, 2022, 352 p. (36 €)
Fruit de la collaboration de vingt-cinq spécialistes, cet imposant manuel, extrêmement détaillé, fournira, à tous ceux qui sont concernés par l’expérimentation animale, des précisions nombreuses. En ce sens, il constitue un très utile complément au Guide de l’évaluation éthique de projets impliquant l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques (Gircor éditeur, Paris, 2021) destiné à guider les comités d’éthique locaux.
Les chapitres du présent livre peuvent être lus de manière indépendante ou consultés sur un point précis. Ils traitent principalement de données purement scientifiques ou techniques, mais n’excluent pas le rappel fréquent des préoccupations éthiques, dans l’esprit de l’évolution moderne nécessaire de la discipline, et qui ne manqueront pas d’intéresser particulièrement nos lecteurs. Chaque chapitre est suivi d’une riche bibliographie et le livre est complété par des annexes, comme un glossaire, qui le rend accessible par les non-spécialistes.
En ce qui concerne les éléments scientifiques et techniques, on pourra trouver nombreuses informations sur la réglementation en cours, sur la manière dont sont formés les acteurs de la recherche – chercheurs, techniciens, animaliers ou vétérinaires inspecteurs –, sur les différents modèles animaux utilisés, sur les normes nécessaires des animaleries, auxquelles l’ouvrage consacre plusieurs chapitres, ou sur les pathologies dont peuvent être victimes les animaux de laboratoire.
Un modèle est une population animale qui permet d’étudier, en le simplifiant, un problème biologique ou pathologique particulier, même si « le modèle n’est pas la cible, c’en est toujours une image imparfaite » (Philippe Chambrier, Sylvie Chalon et Eric Péan, p. 230). La plupart des modèles animaux utilisés proviennent de rongeurs, et particulièrement de souris, qui en constituent l’écrasante majorité, mais il existe aussi des modèles issus de primates, de poissons ou d’autres animaux. Le présent ouvrage est bien loin d’épuiser le sujet. La quatrième de couverture annonce d’ailleurs que ce livre « sera suivi d’un second volume à visée plus pratique » et consacré notamment aux spécificités des diverses espèces animales utilisées. Chaque espèce pose, en effet, des problèmes scientifiques (et éthiques) particuliers qu’il importera d’analyser en détail, même si, d’ores et déjà, la question du traitement des primates non humains est posée dans le présent livre : « Les protocoles d’anesthésie et d’analgésie proposés chez les primates non humains sont équivalents à ce qu’on peut proposer chez l’humain » (Manon Dirheimer et al., p. 330). Enfin, les animaleries « doivent assurer un environnement qui répond aux besoins physiologiques et éthologiques des espèces hébergées » rappellent Bruno Bacon, Laurent Chazalviel et Jérôme Montharu (p. 245), qui en détaillent les nombreux impératifs sanitaires et sécuritaires.
Pour ce qui est de la dimension éthique, Michèle de Monte et Pierre Mormède rappellent, fort justement, face à la discontinuité philosophique prônée par Descartes et ses successeurs entre homme et l’animal, l’apport, favorable à davantage de continuité, du darwinisme et de la philosophie utilitariste, qui vise à déterminer le bilan des bénéfices moraux par rapport aux préjudices éventuels, pour trouver le « bonheur optimal ». Les aboutissements modernes de cet apport sont la reconnaissance de la sensibilité animale jusque dans le code civil en 2015, la règle philosophique dite des trois R (Remplacer, Réduire, Raffiner), qui vise à améliorer l’expérimentation animale et fait l’objet de plusieurs chapitres du livre, la directive européenne 2010/63/EU relative à la protection des animaux utilisés à des fins scientifiques, et, finalement, la création des comités d’éthique, nationaux et locaux, dont De Monte et Mormède nous relatent l’historique. Mais « une évaluation scientifique n’est pas une évaluation éthique » (p. 54). Il importe donc, selon les auteurs, de déterminer, dans un esprit utilitariste, si les bénéfices pour l’homme de chaque expérimentation animale « en valent la peine » (p. 54) sur le plan moral, c’est-à-dire si, au nom de la santé et de la médecine humaines, il est licite ou non d’infliger aux animaux des contraintes, voire des douleurs graves. C’est bien là le dilemme philosophique fondamental que rencontre de nos jours, dans toute son acuité, l’expérimentation animale. Sur le plan éthique, le présent manuel nous offre, à ce propos, une riche base de documents propices à la réflexion, même s’il ne mène pas, bien sûr, à la résolution finale du dilemme, liée à l’évolution même, imprévisible, des pratiques humaines, et que seul l’avenir éclairera.
Georges Chapouthier