Le 14 décembre 2022, trois sociétés spécialisées dans le tourisme balnéaire, ainsi que leurs représentants légaux, comparaissaient devant le tribunal correctionnel de Grasse pour des faits de perturbation volontaire d’espèce animale non domestique protégée et pratique commerciale trompeuse. Ils proposaient à des touristes de les guider dans le sanctuaire Pelagos à la rencontre de dauphins afin de leur permettre de nager avec eux.
Par les trois jugements rendus le 26 janvier 2023, le tribunal a eu l’occasion de revenir sur la récente évolution de la règlementation propre aux espèces protégées marines et ses incidences sur les activités de whale whatching.
Le whale whatching ou le développement d’un commerce lucratif au détriment de la biodiversité
Réparti sur une surface de près de 87 500 km2 entre les eaux territoriales françaises, monégasques et italiennes, le sanctuaire Pelagos recense plus de 8 500 espèces animales macroscopiques. Il constitue ainsi une réserve de biodiversité remarquable en Méditerranée, notamment s’agissant de la mégafaune marine.
Afin de protéger les cétacés qui y vivent, un accord tripartite a été signé à Rome le 25 novembre 1999 entre la France, l’Italie et la principauté de Monaco afin de créer le sanctuaire Pelagos pour les mammifères marins en Méditerranée. L’accord impose aux États parties de prendre les mesures appropriées pour garantir un état de conservation favorable des populations de mammifères marins dans le sanctuaire. Il s’agit pour cela de les protéger, ainsi que leur habitat, des impacts négatifs directs ou indirects des activités humaines, notamment en luttant contre la pollution du site, la perturbation des individus ou encore certaines activités touristiques.
Malheureusement, cette richesse faunistique attire une vive curiosité et certains entrepreneurs y ont vu l’opportunité de développer de nouvelles activités touristiques lucratives. De plus en plus d’opérateurs proposent ainsi à des touristes de partir en bateau à la rencontre de pods (groupe de cétacés) de dauphins, de les approcher directement, voire même de se mettre à l’eau pour nager avec eux.
Pourtant, ces opérations de whale whatching, qui désignent l’observation de baleines et plus largement de cétacés dans leur milieu naturel, ne sont pas sans conséquences sur le bien-être de ces animaux, malgré leur comportement avenant et joueur, surtout lorsqu’il s’agit de s’approcher très près d’eux. En effet, outre les risques de collision parfois mortelle avec les navires, l’exposition répétée des cétacés aux humains implique de nombreux changements dans leur comportement : augmentation de la dépense énergétique, développement de stress chronique, perturbation de l’alimentation et du repos, interférence dans leur communication par l’émission de sons couvrant les vocalises des animaux…
Un cadre règlementaire renforcé…
Face au développement de ces activités, le cadre juridique applicable à certains mammifères marins a été renforcé.
Depuis l’introduction de la notion d’espèces protégées par l’adoption de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, certaines espèces bénéficient d’un régime de protection particulier en raison de leur intérêt scientifique particulier ou des nécessités de la préservation du patrimoine biologique national.
Reprises à l’article L.411-1 du code de l’environnement, ces dispositions interdisent notamment, sauf dérogation, la mutilation, la destruction, la capture ou l’enlèvement de ces espèces mais également, de manière plus générale, leur « perturbation intentionnelle ». En application du 1° de l’article R.415-1 du code de l’environnement, ces faits sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, dont le montant est fixé au plus à 750 euros pour les personnes physiques et à 3 750 euros pour les personnes morales.
Conformément à un arrêté du 1er juillet 2011, certaines espèces de siréniens et de cétacés, dont le dauphin commun, ont été reconnus comme des espèces protégées au sens de l’article L.411-1 du code de l’environnement. Sont ainsi strictement interdites leur destruction, mutilation, capture ou enlèvement intentionnels, ainsi que leur perturbation intentionnelle dont le texte précise qu’elle inclut « la poursuite ou le harcèlement des animaux dans le milieu naturel ».
Par un arrêté du 3 septembre 2020, la ministre de la Transition écologique et la ministre de la Mer ont modifié l’article 2 de l’arrêté précité du 1er juillet 2011 qui dispose désormais que :
« Pour les espèces de cétacés et de siréniens dont la liste est fixée ci-après, sont interdits sur le territoire national, et dans les eaux marines sous souveraineté et sous juridiction, et en tout temps :
I. − La destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement intentionnels incluant les prélèvements biologiques, la perturbation intentionnelle incluant l’approche des animaux à une distance de moins de 100 mètres dans les aires marines protégées mentionnées à l’article L. 334-1 du code de l’environnement, et la poursuite ou le harcèlement des animaux dans le milieu naturel. » En d’autres termes, l’arrêté a renforcé la protection des cétacés non plus seulement en raison de leur espèce, mais également de leur habitat, dès lors qu’il interdit d’approcher ces animaux dans le périmètre d’une aire marine protégée.
… encore peu respecté.
Malgré l’entrée en vigueur le 1er janvier 2021 de ces nouvelles dispositions, les activités de whale watching illégales n’ont pas cessé et l’association France Nature Environnement PACA a ainsi pu mettre en évidence les stratégies utilisées par trois entrepreneurs pour repérer et attirer les dauphins près de leurs navires afin de permettre à leurs clients de nager auprès des cétacés.
En effet, il ressortait des images captées par l’association que certains opérateurs réalisaient volontairement des vagues importantes à l’approche de pods de dauphins afin d’attirer ces derniers dans le sillage du navire et inciter leurs clients à se mettre à l’eau avec les animaux.
Saisi de cette affaire, le tribunal correctionnel de Grasse a ainsi eu à appliquer pour la première fois les nouvelles dispositions de l’arrêté du 1er juillet 2011 et en à préciser la portée. Il a pour cela rappelé que, depuis le 1er janvier 2021, il est strictement interdit, d’une part, de perturber intentionnellement un mammifère appartenant à une espèce protégée, notamment en le poursuivant et le harcelant dans son milieu naturel et, d’autre part, s’agissant spécifiquement des espèces localisées dans des aires maritimes protégées, de les approcher à moins de 100 mètres.
Surtout, le tribunal a précisé que l’arrêté du 3 septembre 2020 ne faisant pas la distinction entre la présence de navires ou de nageurs, « les clients de l’opérateur sont donc bien concernés par cette interdiction ».
Partant, il en a conclu que, dans le sanctuaire Pelagos, qui revêt le statut d’aire marine protégée au sens de l’article L. 334-1 du code de l’environnement, les prévenus pouvaient commercialiser soit une activité de nage avec des espèces marines non protégées, soit une activité d’observation de mammifères protégés au-delà d’une distance de 100 mètres. Ils n’étaient aucunement autorisés à permettre à leurs clients de nager avec des dauphins.
Lutter contre la désinformation
Le tribunal correctionnel de Grasse ne s’est pas contenté de sanctionner les entrepreneurs au visa du code de l’environnement mais les a également condamnés pour pratique commerciale trompeuse. En donnant au consommateur « l’impression qu’il allait bénéficier d’une activité ludique, sécurisée et parfaitement légale, alors qu’à aucun moment il n’était amené à s’interroger sur la licéité de l’activité à laquelle il allait participer », les entrepreneurs avaient procédé à une présentation trompeuse de leurs services. L’apport majeur de ces jugements ne se limite ainsi pas aux amendes qu’ils prononcent, mais au signal envoyé tant aux entrepreneurs qu’à leurs clients quant aux conséquences néfastes de certaines activités touristiques sur les cétacés.
Concilier la découverte de la biodiversité avec la préservation des espèces protégées
Il existe toutefois des initiatives pour favoriser le développement d’un tourisme marin plus écologique et respectueux des animaux permettant d’observer certaines espèces dans leur milieu naturel sans les perturber.
À ce titre, le Sanctuaire Pelagos a mis en place depuis 2012 des sessions de formation à destination d’opérateurs de whale whatching afin de les sensibiliser aux enjeux écologiques et éthologiques de leurs pratiques.
Surtout, le sanctuaire et l’Accord sur la conservation des cétacés de la mer Noire, de la Méditerranée et de la zone Atlantique adjacente (ACCOBAMS) ont mis en place, en 2014, le label « High Quality Whale Watching » afin de recenser les opérateurs s’engageant à suivre une formation, à respecter un code de bonne conduite pour l’observation des cétacés prohibant la nage avec eux et leur repérage aérien, à participer à la recherche scientifique et à délivrer un message de qualité aux passagers sur les cétacés rencontrés et sur les activités de l’ACCOBAMS.
Par ce label, le sanctuaire vise à réinscrire les activités de whale whatching dans une démarche avant tout naturaliste et éducative en favorisant une observation respectueuse des cétacés, en permettant aux clients de réaliser leur rêve tout en respectant la biodiversité.
Alice Schott