Le 20 mars 2023, le Conseil d’État a enfin ordonné au Gouvernement de fermer temporairement des zones de pêche pour mettre fin au massacre des dauphins dans le golfe de Gascogne.
Les cétacés meurent en masse
Cela fait de nombreuses années que les organisations de défense des animaux et de l’environnement alertent les autorités sur le nombre de décès de dauphins et autres petits cétacés causés par des captures accidentelles dans le cadre des activités de pêche dans la zone du golfe de Gascogne. En effet, et plus particulièrement pendant l’hiver, les cétacés s’approchent des côtes pour se nourrir de poissons de petite ou moyenne taille, également recherchés par les pêcheurs. De ce fait, les dauphins se retrouvent pris au piège dans les filets de pêche, sont remis à l’eau blessés et finissent par mourir.
En février 2023, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) avait déjà comptabilisé plus de 400 cadavres de dauphins échoués sur les plages de la façade atlantique depuis le début de la saison hivernale de pêche. Mais, comme le soulignent les scientifiques, la plupart des cadavres de dauphins coulent au fond de l’océan et ne sont jamais retrouvés. Le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) a estimé que le niveau des décès par capture accidentelle est de l’ordre de 9 000 par an. Sea Shepherd a précisé qu’après des années de surmortalité en raison de la pêche, la population de dauphins du golfe de Gascogne serait réduite à environ 40 % de sa taille d’origine.
Contexte juridique
Les organisations non gouvernementales ont tenté à maintes reprises de saisir les juridictions et d’alerter les autorités nationales et européennes sur ce sujet. Face à l’inaction du gouvernement français et des juridictions qui ont jusqu’alors refusé de donner droit aux ONG, ces dernières avaient notamment saisi la Commission européenne qui avait alors engagé une procédure d’infraction contre la France. La Commission a considéré que le Gouvernement français ne prenait pas les mesures nécessaires pour lutter contre la mort des cétacés, en violation du droit de l’Union européenne.
Le CIEM, à la demande de l’Union européenne, avait proposé différents scénarios pour faire baisser le nombre de captures accidentelles, dont notamment la fermeture des zones de pêche concernées pendant trois mois en hiver et un mois en été. Par ailleurs, les scientifiques indiquent que le contrôle de dauphins, basé jusqu’à présent sur un principe purement déclaratif des pêcheurs, ne permettait pas de recouper le nombre réel de prises estimées, et préconise ainsi une intensification des observations en mer, avec si besoin un contrôle des captures par caméra embarquée.
La décision du Conseil d’État
Fortes de ces nouveaux développement, et considérant l’urgence de la situation, Sea Shepherd France, Défense des Milieux Aquatiques et France Nature Environnement ont déposé des recours devant le Conseil d’État en 2021, en demandant notamment que l’État prenne « toutes les mesures permettant de limiter de manière effective les captures accidentelles de mammifères marins », à savoir notamment la « fermeture spatio-temporelle des pêcheries concernées (…) dans le golfe de Gascogne », ainsi que « l’obligation d’équiper les navires de pêche de systèmes de caméras (…) et d’assurer la présence d’observateurs à bord ».
Alors que ces mesures étaient réclamées par les ONG depuis plusieurs années, le Conseil d’État leur a donné raison pour la première fois. Le Conseil d’État a enfin compris l’urgence de la situation en relevant que, depuis 2018, le nombre de décès des cétacés par capture accidentelle « dépasse chaque année la limite maximale permettant d’assurer un état de conservation favorable en Atlantique Nord-Est ».
Ainsi, la haute juridiction administrative a notamment ordonné au gouvernement, sous six mois :
- de fermer des zones de pêche pendant « un temps approprié ».
L’équipement des bateaux de pêche en dispositifs de dissuasion acoustique ne permet pas actuellement de réduire suffisamment les captures accidentelles. Il est donc nécessaire de prendre des mesures plus efficaces, à savoir la fermeture de la pêche dans certaines zones et pendant des périodes appropriées.
- d’obtenir des données plus précises sur les captures accidentelles.
D’après le Conseil d’État, le système de contrôle des captures accidentelles mis en place, dont notamment le dispositif d’observateurs en mer reposant sur du volontariat, demeure insuffisant pour connaître précisément leur ampleur et « laisse persister des niveaux élevés d’incertitude sur la fréquence et les causes des captures accidentelles des cétacés ». Pour cette raison, des mesures complémentaires devront être mises en place pour permettre d’estimer au mieux le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d’observation en mer. La haute juridiction administrative indique que ces mesures permettront de garantir un état de conservation favorable du dauphin commun, du grand dauphin et du marsouin commun, conformément aux obligations issues du droit européen. Pour les ONG, il s’agit d’une victoire historique.
Conclusion
Cette décision constitue une réelle avancée pour la protection des cétacés, dont le nombre de morts continue de croître chaque année. Si les ONG regrettent que les autorités aient pris autant de temps à réagir, elles se réjouissent de cette victoire de bon augure pour mettre fin au massacre des dauphins.
Reste à savoir comment le gouvernement exécutera cette décision, et s’il suivra les recommandations du CIEM sur les durées de fermeture des zones de pêche. En tout état de cause, le Conseil d’État dispose d’un pouvoir de contrôle à posteriori qui lui permettra de vérifier que ses préconisations ont bien été suivies. Les ONG, elles, ne manqueront pas de vigilance.
Talel Aronowicz