La 19e édition de la conférence des Parties (COP19) de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et flore sauvages menacées d’extinction (dite CITES ou Convention de Washington) s’est tenue du 14 au 25 novembre 2022 au Panama. Son bilan reste positif avec plus 500 nouvelles espèces inscrites dans les annexes de la convention, en particulier les requins et les raies. Toutefois, des questions émergentes ont été soulevées durant les débats.
Le commerce d’une soixantaine d’espèces de requins sera encadré par la CITES
Parmi ces progrès notables figure l’inscription de 54 espèces de requins requiem (Carcharhinidae) et de 6 espèces de requins marteaux (Sphynidae) dans l’annexe II de la CITES. Ces deux propositions ont été soutenues par l’Union européenne alors qu’elle occupe une responsabilité majeure dans la capture de requins. Toutefois, l’inscription des Carcharhinidae n’entrera en vigueur qu’à partir du 25 novembre 2023.
La gestion des requins a connu des améliorations depuis que la question a été soulevée pour la première fois à la COP9 (1994). Ces mesures demeurent insuffisantes.
Apparu il y a 450 millions d’années, le requin est un super-prédateur. La diversité des requins est remarquable. Pourtant, ils sont menacés par les activités humaines (perte et dégradation de l’habitat, changement climatique, pollution), en particulier la surpêche. Alors que les évaluations mondiales de 2014 ont révélé que 24 % des espèces de requins et de raies étaient menacées par la surpêche, ce chiffre a atteint 33 % en 2021. Le rapport d’Ifaw en 2022 révèle que la moitié des requins est menacée d’extinction.
En effet, la demande internationale des pays consommateurs de produits dérivés (principalement en Asie) augmente, tandis que la capture et le commerce ne sont pas suffisamment encadrés dans les pays de pêche. Selon l’étude de Traffic de janvier 2022, les produits commercialisés des requins sont essentiellement les ailerons, les corps, les branchies et la viande.
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Description
Le requin est un animal vertébré à mâchoire (embranchement des Gnathostomes). Il est un poisson à squelette cartilagineux (classe des Chondrichthyens) et fait partie du même groupe que les raies (la sous-classe des Elasmobranches).
Le requin se caractérise par ses denticules cutanées (une peau couverte de « dents ») favorisant son déplacement. Il est doté de sept sens, tous utilisés différemment durant la chasse. En plus de ses cinq sens traditionnels particulièrement développés, il peut également détecter les basses fréquences électriques de ses proies, en particulier la contraction de leurs muscles. Il peut aussi ressentir les variations de pression, les vibrations et les courants de l’eau lui permettant de « visualiser » son environnement.
Le requin, comme tout grand prédateur, revêt un rôle essentiel dans l’équilibre de la chaîne alimentaire marine. Il élimine les proies faibles renforçant ainsi leur patrimoine génétique et régulant leur population, ce qui a pour effet de préserver coraux et plancton.
L’incohérence des critères d’inscription des requins dans la CITES
Un commerce autorisé mais contrôlé pour une exploitation durable
La question des inscriptions des requins dans la convention a suscité de nombreux débats. Elle revêt un enjeu majeur à la fois pour la survie des requins et pour celle des communautés de pêcheurs dépendant des ressources halieutiques.
L’annexe II de la convention concerne les espèces qui ne sont pas menacées d’extinction mais qui pourraient le devenir si leur commerce n’était pas encadré. Leur commerce est donc autorisé mais contrôlé par les États parties dans le but d’une exploitation durable et compatible avec la survie de ces espèces.
Pourtant, la majorité des espèces de requins inscrites en annexe II fait déjà partie de la liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). En pratique, les requins qui sont inscrits dans la CITES ont un statut de conservation déjà détérioré au point que leur exploitation durable n’est plus envisageable, et que les autorités de gestion des pêcheries ont déjà mis en place des mesures restrictives, voire d’interdiction.
Une inscription trop tardive au regard du cycle de vie des requins
Pour inscrire des espèces dites « aquatiques exploitées à des fins commerciales », telles que les requins, il faut notamment un seuil de déclin de leur population. Or, ce critère s’applique difficilement aux requins qui ont une croissance lente, une maturité tardive et une faible fécondité. Leur cycle biologique est plus proche de celui de grands mammifères que de celui des autres poissons. Le temps nécessaire pour reconstituer des populations de requins en cas de fortes pêches est également bien plus long que celui des autres espèces aquatiques. Si les États attendent que les requins aient atteint un certain déclin pour les inscrire, la pêche durable, visée par l’annexe II, sera fortement compromise.
Ce décalage entre le texte et la réalité des inscriptions marque une incohérence dans les objectifs visés par les annexes. En effet, les requins nouvellement inscrits en annexe II répondent en fait aux critères d’inscription pour l’annexe I, qui interdit le commerce, sauf dérogation, des espèces menacées d’extinction affectées par le commerce.
Le nombre croissant d’espèces de requins inscrits dans la CITES témoigne surtout de la vulnérabilité grandissante des requins. La préservation des requins passera donc soit par leur inscription en annexe II avant que leur pêche ne s’effondre et qu’ils ne soient menacés, soit par leur inscription en annexe I pour mettre un terme au commerce.
In fine, la COP19 a permis de révéler la difficulté même de l’application de la CITES au regard des menaces pesant sur la biodiversité tandis que les connaissances scientifiques des espèces s’améliorent.
Fanny Marocco