Georges Chapouthier, ISTE Éditions, Collection TC, Ebook 74 p. (PDF), 2023 (25 €)
L’homme, l’animal et l’éthique est un ouvrage relativement court qui, comme son sous-titre l’indique, va à l’essentiel. Nos lecteurs connaissent bien Georges Chapouthier, ainsi que sa plume légère et pédagogue. Il cherche à nous éclairer sur l’histoire, la science et les enjeux éthiques de la relation entre les humains et les autre animaux.
L’auteur porte une double casquette de biologiste et de philosophe. Aujourd’hui retraité du CNRS, il est toujours très actif, notamment au sein de la LFDA. Sa multidisciplinarité lui permet une lecture du sujet bien ancrée dans la réalité scientifique, autant au niveau fondamental que pratique, et empreinte d’éthique.
Il commence par nous rappeler la dichotomie majeure dans la considération de l’animal par l’humain. « Se distinguent notamment deux grands mouvements, l’un qui prône la discontinuité, l’autre la continuité entre l’homme et les (autres) espèces animales » (p. 2). Il précise d’ailleurs dès le début que quand il parle des « animaux », il s’agit bien sûr des « animaux non-humains ». Nous possédons des capacités intellectuelles extraordinaires, mais nous restons à 100 % des primates. Chapouthier rappelle également qu’« aucune espèce n’est globalement supérieure aux autres, chacune étant parfaitement adaptée à son mode de vie » (p. 15).
L’ignorance, le déni, l’irresponsabilité, voire même le vice, sont les sources de la maltraitance trop généralisée des autres animaux. « La question du traitement moral des animaux s’inscrit dans le contexte de violence exercée par l’espèce humaine » (p. 2). La science nous montre qu’un grand nombre d’animaux qui nous côtoient sont capables de sentience – de ressentir notamment la douleur et de souffrir. Par exemple, l’existence d’une conscience a été démontrée chez tous les vertébrés.
La question majeure de l’ouvrage est bien celle de la responsabilité des humains envers les animaux. Pourquoi se soucier de leur protection et de leur bien-être ? « Au nom de quoi cette espèce savante devrait-elle ménager les autres espèces » (p. 19), elle qui ne ménage pas toujours les membres de sa propre espèce ?
L’être humain n’est pas le seul animal à agir selon des règles morales. Celles-ci sont particulièrement utiles pour vivre en société. On en trouve chez nos cousins primates, notamment. Elles permettent de « limiter les conflits à l’intérieur du groupe et accroître l’entraide entre les individus » (p. 25). La spécificité de notre espèce est peut-être sa capacité à manier la morale discursive, c’est-à-dire la morale basée sur le raisonnement et la théorie, et non pas uniquement sur une approche empirique, qui s’acquiert par tâtonnement.
« Si l’homme est bien en continuité biologique avec les (autres) animaux, ses exceptionnelles capacités intellectuelles et langagières le distinguent clairement, sur ce point, des autres animaux. […] C’est [la] conjonction de la morale discursive et des connaissances scientifiques qui amène l’être humain à rechercher des normes éthiques à appliquer aux animaux » (p. 28). C’est aussi sa puissance technologique – il pourrait littéralement oblitérer toute vie sur Terre, y compris la sienne – qui pousse l’humain à ériger des contraintes pour auto-contrôler son pouvoir.
Et c’est ainsi que naissent les « droits des animaux ». S’il est difficile de contester la vision « continuiste » entre l’humain et les autres animaux – « la seule compatible avec la science d’aujourd’hui » (p. 6) –, accorder des droits aux animaux n’est pas encore chose acquise. Il n’est pas question d’accorder aux animaux des droits équivalents à ceux des humains : il faut qu’ils soient adaptés à leurs besoins spécifiques, et à la hauteur de notre impact sur leur mode de vie.
Pour Chapouthier, « les droits de l’animal doivent donc être bien compris comme des droits attribués aux animaux par les êtres humains et visant à protéger les animaux dans leurs rapports avec l’espèce humaine. Et ce, uniquement. Les droits de l’animal se réfèrent à la responsabilité de l’espèce humaine envers les animaux qu’elle côtoie, en aucun cas au comportement des animaux entre eux » (p. 32). En effet, pour lui « sur le plan moral, l’homme n’a pas à se prendre pour l’organisateur de l’univers, le « moraliste du monde » et vouloir réformer à sa guise l’ordre de la nature ».
L’application concrète est quelquefois complexe, y compris dans la formulation des droits à accorder aux animaux. Plusieurs courants philosophiques cohabitent et, quelquefois même, s’affrontent. Les deux courants de pensée les plus connus sont celui de l’abolitionnisme, qui souhaite mettre un terme à toute exploitation des animaux, et celui du welfarisme (issu du terme anglophone pour « bien-être » animal). Ce second courant accepte une certaine exploitation des animaux (pour l’alimentation, en particulier). L’obligation morale, en échange de l’utilisation des animaux pour notre bénéfice, est alors de les protéger de la souffrance et de leur permettre d’être en état de « bien-être ».
La question est encore plus difficile dès qu’il s’agit d’expérimentation animale. « Plus pragmatique, l’éthique utilitariste considère qu’une action est moralement bonne si ses bénéfices sont globalement supérieurs à ses inconvénients, pour aboutir au plus grand bonheur pour le plus grand nombre » (p. 33). Chapouthier explique le conflit moral particulièrement vif sur ce sujet. « De fait, la plupart des êtres humains n’envisagent pas de renoncer à l’usage des médicaments mis au point par l’expérimentation animale » (p. 39).
L’utilisation d’animaux pour des spectacles cruels rencontre, par contre, une réponse bien plus expéditive. « Quand un animal (sentient) en souffre et que l’homme n’en retire qu’un amusement, la réponse morale est très simple : leur suppression » (p. 44).
Au final, Georges Chapouthier nous permet, avec cet ouvrage, de faire un point sur les raisons qui nous poussent à vouloir (et devoir) octroyer des droits aux animaux. Il le fait de façon convaincante, sans jugement, en donnant au lecteur les clés pour se faire sa propre opinion. Revenir aux sources est toujours utile.
Sophie Hild