Le gouvernement a publié la liste des espèces animales qui pourront être tuées toute l’année par tous moyens. La raison ? Ces animaux seraient nuisibles pour les humains.
Maître Corbeau risque de perdre de sa superbe. Maître Renard va devoir redoubler de malice. Et pour cause, les deux espèces ont à nouveau été classées « nuisibles » par l’État, aux côtés de trois autres mammifères et quatre oiseaux. Voici le résumé de la fable des nuisibles concoctée par le Gouvernement. Morale de l’histoire : mieux vaut s’en remettre aux ONG et à la justice plutôt qu’à l’État pour protéger les animaux.
Les neuf espèces à abattre
Établie pour trois ans, la liste des espèces « susceptibles d’occasionner des dégâts » (ESOD) – selon les termes du code de l’environnement – définit les modalités de « destruction » de neuf espèces d’animaux sauvages : la belette d’Europe, la fouine, la martre des pins, le renard roux, le corbeau freux, la corneille noire, la pie bavarde, le geai des chênes et l’étourneau sansonnet.
Tuer ces animaux toute l’année par tir, par piégeage, ou encore par déterrage pour le renard, voilà ce que prévoit l’arrêté du 3 août 2023 fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts. En annexe, l’arrêté liste les modalités géographiques de destruction des espèces par département.
En comparaison avec l’arrêté triennal précédent, celui-ci a légèrement évolué, consécutivement aux actions en justice d’associations. Ainsi, le putois d’Europe disparaît enfin de la liste des nuisibles à la suite de la décision du Conseil d’État de juillet 2021, résultat d’une action de l’Aspas. Le renard n’est plus considéré nuisible dans l’Yonne, mais le reste dans 88 départements. Notons que l’Ardèche et l’Hérault n’autorisent plus son déterrage.
Un raisonnement foireux qui ne résiste pas à un examen rationnel
Prévenir des dégâts sanitaires, agricoles et la disparition de la biodiversité
Les « ESOD », auparavant qualifiées de nuisibles, sont jugées coupables de contrarier des activités humaines. L’article R. 427-6 du code de l’environnement autorise de tuer ces espèces pour l’un au moins des motifs suivants :
- pour des raisons sanitaires ou de sécurité publique ;
- pour assurer la protection de la flore et de la faune ;
- pour prévenir des dommages importants aux activités agricoles, forestières et aquacoles ;
- pour prévenir les dommages importants à d’autres formes de propriété.
Par exemple, le renard peut attaquer des volailles et donc gêner l’élevage avicole. Il en va de même pour les trois autres petits mammifères, qui pourraient aussi causer du tort au petit gibier d’élevage, comme les perdrix. Les oiseaux pourraient causer des dégâts aux cultures, aux vergers notamment. Détruire ces espèces permettrait, selon le ministère de la Transition écologique et la cohésion des territoires, « de limiter les perturbations et les dégâts qu’elles peuvent provoquer ».
Des mesures sans fondement scientifique
Pourtant, ce classement serait « sans fondement scientifique », selon la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB). À la demande de la LPO et de l’Aspas, la FRB a évalué la littérature scientifique disponible relative aux effets des prélèvements d’animaux classés « ESOD » sur la réduction des dégâts qui leur sont imputés. Dans son rapport publié en septembre 2023, elle conclut que « ces destructions n’ont majoritairement aucun effet sur les dégâts, ni, dans certains cas sur les populations d’ESOD elles-mêmes ». Globalement, « les destructions des ESOD n’ont pas augmenté ou réduit le déclin des populations des espèces de faune à préserver », même si des variations peuvent exister en fonction du contexte local. Quant à l’abondance des renards roux, le fait d’en tuer environ un demi-million par an n’a visiblement pas d’effet sur la population de l’espèce. Si leur niche écologique existe, l’espèce se reproduira jusqu’à l’occuper au mieux. Pour les corvidés, il semblerait que la perte d’individus soit compensée par l’immigration de nouveaux individus sur les territoires concernés. Enfin, la FRB note le manque cruel de littérature en ce qui concerne l’impact des espèces sur l’agriculture, la santé et la sécurité publiques et sur la faune pour certaines de ces neuf espèces. Le rapport de la FRB dénonce donc la destruction de ces espèces animales comme étant « une solution peu efficace » et estime que « d’autres mesures existent et pourraient être mises en place ». Enfin, la FRB note que la prise en compte des services rendus par les espèces incriminées (par exemple, les renards qui régulent les populations de petits rongeurs), ainsi que des considérations éthiques et les coûts économiques et psychologiques associés à la destruction de ces animaux, devraient être pris en compte.
Sollicitée par le ministère sur l’impact sanitaire potentiel du renard, dont la destruction est également justifiée par la propagation de maladies, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) conclut, dans un avis rendu en juin 2023, que « sauf situations sanitaires très particulières nécessitant des mesures locales et ciblées, la réduction de populations de renards ne peut pas être envisagée comme option globale pour lutter contre un agent pathogène. Par conséquent, en l’état actuel des connaissances, l’Anses considère que le motif sanitaire ne justifie pas le classement ESOD des renards ». Qu’est-ce qu’il faut de plus à l’État pour en finir avec cette ignominie ?
Les vraies raisons derrière le classement ESOD
Ce qu’il faut, c’est que le gouvernement cesse son clientélisme envers les chasseurs. Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce dossier : donner la possibilité aux chasseurs de tirer ou piéger quelques espèces toute l’année. Prenons le cas de la belette : elle n’est donc « susceptible d’occasionner des dégâts » que dans le Pas-de-Calais, qui n’est autre que le département où Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs, exerce une fonction de conseiller municipal.
En ce qui concerne les dégâts agricoles, ils font l’objet de simples déclarations de la part des agriculteurs, sans contrôle de la réalité des dégâts, que ce soit en valeur, ou bien concernant les véritables coupables. C’est sur cette base que l’État justifie de tuer des espèces pour dégâts agricoles.
Le gouvernement s’est donc assis sur 71 % des plus de 49 000 contributions à la consultation publique qui a eu lieu en juin, lesquelles s’exprimaient en défaveur de ce classement des ESOD.
Conclusion
Les alertes sur la disparition ou le déclin des espèces sont de plus en plus nombreuses et alarmantes. Cependant, le gouvernement lance un jeu à gratter sur la biodiversité (dont seuls 43 centimes sur 3 euros vont à l’OFB), tout en continuant à faire la sourde-oreille et à détourner le regard des vrais enjeux. Cette liste des espèces animales considérées nuisibles en est l’illustration parfaite. Elle sera attaquée en justice par des ONG, seul moyen identifié actuellement pour tenter de réduire la pression sur les animaux sauvages.
Nikita Bachelard